ACTE PREMIER. SCENE I. SOSIE. QUI ui va là? Hé! ma peur à chaque pas s'accroît! Messieurs, ami de tout le monde. Ah! quelle audace sans seconde De marcher à l'heure qu'il est! Que mon maître, couvert de gloire, Me joue ici d'un vilain tour! Quoi! si pour son prochain il avoit quelque amour, Ne pouvoit-il pas bien attendre qu'il fût jour? Tes jours sont-ils assujettis! Notre sort est beaucoup plus rude Ils veulent que pour eux tout soit, dans la nature, Jour et nuit, grêle, vent, péril, chaleur, froidure, Le moindre petit caprice Nous attire leur courroux. Cependant notre âme insensée S'acharne au vain honneur de demeurer près d'eux, Qu'ont tous les autres gens que nous sommes heureux. Un ascendant trop puissant, Et la moindre faveur d'un coup d'oeil caressant Mais enfin, dans l'obscurité, Je vois notre maison, et ma frayeur s'évade. Quelque discours prémédité. Je dois aux yeux d'Alcmène un portrait militaire Si je ne m'y trouvai pas? N'importe, parlons-en et d'estoc et de taille, Comme oculaire témoin. Combien de gens font-ils des récits de bataille Pour jouer mon rôle sans peine, Je le veux un peu repasser. Voici la chambre où j'entre en courrier que l'on mène; Et cette lanterne est Alcmène, A qui je me dois adresser. (Sosie pose sa lanterne à terre.) Madame, Amphitryon, mon maitre et votre époux... (Bon! beau début!) l'esprit toujours plein de vos charmes, M'a voulu choisir entre tous Pour vous donner avis du succès de ses armes, Et du désir qu'il a de se voir près de vous. « Ah! vraiment, mon pauvre Sosie, A te revoir j'ai de la joie au cœur. » (Bien répondu!) « Comment se porte Amphitryon? >> Dans les occasions où la gloire l'engage. « Quand viendra-t-il, par son retour charmant, Le plus tôt qu'il pourra, madame, assurément, Et fait trembler les ennemis. (Peste! où prend mon esprit toutes ces gentillesses?) «Que font les révoltés? dis-moi, quel est leur sort?» Ils n'ont pu résister, madame, à notre effort; Mis Ptérélas leur chef à mort, Pris Télèbe d'assaut; et déjà dans le port Tout retentit de nos prouesses. « Ah! quel succès! ô dieux! Qui l'eût pu jamais croire: << Raconte-moi, Sosie, un tel événement. » Je le veux bien, madame; et, sans m'enfler de gloire, Je puis parler très-savamment. Figurez-vous donc que Télèbe, Madame, est de ce côté; (Sosie marque les lieux sur sa main.) C'est une ville, en vérité, Aussi grande quasi que Thèbe. La rivière est comme là. Nos ennemis l'occupèrent. Sur un haut, vers cet endroit, Étoit leur infanterie; Et plus bas, du côté droit, Après avoir aux dieux adressé les prières, Tous les ordres donnés, on donne le signal : Les ennemis, pensant nous tailler des croupières, 1 Tailler des croupières à quelqu'un, expression populaire, poursuivre quelqu'un vivement. Firent trois pelotons de leurs gens à cheval; Mais leur chaleur par nous fut bientôt réprimée, Voilà notre avant-garde à bien faire animée; Là, les archers de Créon, notre roi; Et voici le corps d'armée, (On fait un peu de bruit.) Qui d'abord... Attendez, le corps d'armée a peur; J'entends quelque bruit, ce me semble. SCENE II. MERCURE, SOSIE. MERCURE, sous la figure de Sosie, sortant de la maison d'Amphitryon. Sous ce minois qui lui ressemble, Chassons de ces lieux ce causeur, Dont l'abord importun troubleroit la douceur Que nos amants goûtent ensemble. SOSIE, sans voir Mercure. Mon cœur tant soit peu se rassure, Crainte pourtant de sinistre aventure, MERCURE, à part. Tu seras plus fort que Mercure, Ou je t'en empêcherai bien. SOSIE, sans voir Mercure. Cette nuit en longueur me semble sans pareille. MOLIÈRE. 4. 17 |