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des saints; le peuple les suit; les grands les recherchent; ils sont l'objet de l'admiration publique.

Cependant un gentilhomme, ancien amant d'Hélène, connoissant parfaitement Montufar, vient à Séville pour ses affaires : il rencontre à la porte d'une église l'hypocrite dont le peuple s'empressoit de baiser les habits. Indigné de cette nouvelle manière de faire des dupes, il aborde Montufar, lui rappelle son ancienne conduite, et le frappe. Aussitôt le peuple se soulève contre le gentilhomme, qu'il regarde comme un sacrilége. On le renverse, on l'outrage, et sa vie est en danger. Montufar, qui ne perd pas la tête, profite de cette occasion pour augmenter sa réputation de sainteté. Il arrête le peuple, soustrait le gentilhomme à sa fureur, et, se prosternant comme Tartuffe, lorsqu'il dit s

Oui, mon frère, je suis un méchant, un coupable,

il parle ainsi au peuple :

« Oui, je suis le méchant, je suis le pécheur, je suis celui «< qui n'ai jamais rien fait d'agréable aux yeux de Dieu. Pensez«< vous, parce que vous m'avez vu vêtu en homme de bien, « que je n'aie pas été toute ma vie un larron, le scandale des « autres, et la perdition de moi-même? Vous êtes trompés, « mes frères, faites-moi le but de vos injures et de vos pierres, « et tirez sur moi vos épées. >>

Le peuple, comme Orgon, se passionne davantage pour Montufar il n'ajoute aucune foi aux accusations dirigées contre lui, et les regarde comme d'horribles calomnies. Le gentilhomme lui-même se retire confus, et n'ose plus se

montrer.

On se rappelle que, dans la cinquième scène du second acte du TARTUFFE, le poëte s'étend beaucoup sur la sensualité

et l'excessive recherche des faux dévots. 11 est à croire que l'idée de cette peinture lui a été aussi fournie par Scarron, qui, dans la nouvelle des HYPOCRITES, trace d'une manière très-comique le genre de vie de Montufar et des deux filles !

« Leurs lits, dit-il, fort simples, n'étoient le jour couverts << que de nattes, et la nuit de tout ce qu'il falloit pour dormir « délicieusement. Leur porte, en hiver, se fermoit à cinq «< heures, en été à sept, avec autant de ponctualité qu'en un « couvent bien réglé alors les broches tournoient, la casso« lette s'allumoit, le gibier se rôtissoit, le couvert se mettoit << bien propre; et l'hypocrite triumvirat mangeoit de grande « force, et buvoit valeureusement à la santé de ses dupes. « Montufar et Hélène couchoient ensemble, de peur des es«< prits, et leur valet et leur servante, qui étoient de même <«< complexion, les îmitoient en leur façon de passer la nuit. Il « ne faut pas demander s'ils avoient de l'embonpoint menant <«<< une si bonne vie. Chacun en bénissoit le Seigneur, et ne « pouvoit trop s'étonner de ce que des gens qui vivoient si aus« tèrement avoient meilleur visage que ceux qui vivoient dans « le luxe et dans l'abondance. »

Ces hypocrites ne tardent pas à être démasqués, mais d'une manière différente de celle qui prépare la punition de Tartuffe.

La réponse continuelle que fait Orgon aux détails que lui donne Dorine sur la vie de Tartuffe pendant son absence, a été fournie à Molière par Louis XIV. Ce prince, en 1662, étoit à la tête d'une armée campée en Lorraine : l'évêque de Rhodez, son ancien précepteur, se trouva près de lui au moment du souper. La journée ayant été pénible, le roi invita l'évêque à prendre quelque nourriture. « Je ne ferai qu'une collation, répondit le prélat, parce que c'est aujourd'hui vigile et jeûne;». et il se retira. Quelques courtisans avoient ri de

cette réponse; et Louis XIV voulut savoir pourquoi. Alors on lui raconta en détail comment se nourrissoit habituellement cet évêque, qui n'étoit rien moins que sobre. A chaque plat excellent qu'on nommoit, le roi s'écrioit : Le pauvre homme! Molière, qui étoit du voyage, fut témoin de cette scène, et en tira parti.

On vient de voir que Molière n'a emprunté à quelques au teurs qu'un petit nombre de détails, et qu'il a su parfaitement se les approprier. L'ensemble de ce bel ouvrage lui appartient, ainsi que la conception de tous les caractères, et la manière dont ils sont mis en jeu. Cette comédie est là mieux intriguée, la plus habilement conduite, et peut-être la mieux écrite de toutes ses pièces. La curiosité est excitée dès les premières scènes, et l'intérêt est porté très-loin à la fin du quatrième acte. Le dénoûment a été mal à propos critiqué : c'étoit le seul praticable; il étoit indiqué par le sujet; et la surprise qu'il cause contribue à l'effet, loin de l'affoiblir. Je ne parlerai ici ni de l'espèce de gens que Molière a voulu peindre dans ce chef-d'œuvre, ni des rapports qu'il peut avoir avec les mœurs du temps. Ces détails se trouvent dans le Discours prélimi naire.

AMPHITRYON,

COMÉDIE

EN TROIS ACTES ET EN VERS LIBRES,

Représentée à Paris, sur le théâtre du Palais-Royal, la 12 janvier 1668.

MOLITRE. 4.

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