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Pourra, pour son recours, m'épouser, s'il lui plaît.
C'est toujours même sang, et presque même chose.
Mais le voici. Souffrez qu'un peu je le dispose.
Il tient quelque moineau qu'il a pris fraîchement :
Et voilà ses amours et son attachement.

SCÈNE V.

ÉROXÈNE, DAPHNÉ ET LICARSIS, Dans le
FOND DU THÉÂTRE; MYRTIL.

MYRTIL,

se croyant seul, et tenant un moineau dans une cage. INNOCENTE petite bête,

Qui contre ce qui vous arrête

Vous débattez tant à mes yeux,

De votre liberté ne plaignez point la perte :
Votre destin est glorieux,

Je vous ai pris pour Mélicerte;

Elle vous baisera, vous prenant dans sa main;
Et de vous mettre en son sein

Elle vous fera la grâce.

Est-il un sort au monde et plus doux et plus beau?
Et qui des rois, hélas! heureux petit moineau,
Ne voudroit être en votre place?

LICARSIS.

Myrtil! Myrtil! un mot. Laissons là ces joyaux,
Il s'agit d'autre chose ici que de moineaux.
Ces deux nymphes, Myrtil, à la fois te prétendent,
Et tout jeune déjà pour époux te demandent;

MOLIÈRE. 4.

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GENT

Je dois par un hymen t'engager à leurs vœux,

Et c'est toi que l'on veut qui choisisses des deux.

Ces nymphes?

MYRTIL.

LICARSIS.

Oui. Des deux tu peux en choisir une.

Vois quel est ton bonheur, et bénis la fortune.

MYRTIL.

Ce choix qui m'est offert peut-il m'être un bonheur, S'il n'est aucunement souhaité de mon cœur?

LICARSIS.

Enfin qu'on le reçoive; et que, sans se confondre,
A l'honneur qu'elles font on songe à bien répondre.
ÉROXÈNE.

Malgré cette fierté qui règne parmi nous,

Deux nymphes, & Myrtil, viennent s'offrir à vous;
Et de vos qualités les merveilles écloses

Font

que nous renversons ici l'ordre des choses.
DAPHNÉ.

Nous vous laissons, Myrtil, pour l'avis le meilleur,
Consulter sur ce choix vos yeux et votre cœur ;
Et nous n'en voulons point prévenir les suffrages
Par un récit paré de tous nos avantages.

MYRTIL.

C'est me faire un honneur dont l'éclat me surprend; Mais cet honneur pour moi, je l'avoue, est trop grand. A vos rares bontés il faut que je m'oppose:

Pour mériter ce sort, je suis trop peu de chose;

Et je serois fâché, quels qu'en soient les appas,

Qu'on vous blâmât pour moi de faire un choix trop bas.

ÉROXÈNE.

Contentez nos désirs, quoi qu'on en puisse croire;
Et ne vous chargez point du soin de notre gloire.
DAPHNE.

Non, ne descendez point dans ces humilités,
Et laissez-nous juger ce que vous méritez.

MYRTIL.

Le choix qui m'est offert s'oppose à votre attente,
Et peut seul empêcher que mon cœur vous contente.
Le moyen de choisir de deux grandes beautés,

Égales en naissance et rares qualités!
Rejeter l'une ou l'autre est un crime effroyable,
Et n'en choisir aucune est bien plus raisonnable.
ÉROXENE.

Mais en faisant refus de répondre à nos vœux,
Au lieu d'une, Myrtil, vous en outragez deux.

DAPHNÉ.

Puisque nous consentons à l'arrêt qu'on peut rendre, Ces raisons ne font rien à vouloir s'en défendre.

MYRTIL.

Hé bien! si ces raisons ne vous satisfont pas,

Celle-ci le fera: J'aime d'autres appas;

Et je sens bien qu'un cœur qu'un bel objet engage

Est insensible et sourd à tout autre avantage.

LICARSIS.

Comment done! Qu'est-ce ci? Qui l'eût pu présumer? Et savez-vous, morveux, ce que c'est que d'aimer?

MYRTIL.

Sans savoir ce que c'est, mon cœur a su le faire.

LICARSIS.

Mais cet amour me choque, et n'est pas nécessaire.

MYRTIL.

Vous ne deviez donc pas, si cela vous déplaît,
Me faire un cœur sensible et tendre comme il est.

LICARSIS.

Mais ce cœur que j'ai fait me doit obéissance

MYRTIL.

Oui, lorsque d'obéir il est en sa puissance.

LICARSIS.

Mais enfin, sans mon ordre il ne doit point aimer.

MYRTIL.

Que n'empêchiez-vous donc que l'on pût le charmer?

LICARSIS.

Hé bien! je vous défends que cela continue.

MYRTIL.

La défense, j'ai peur, sera trop tard venue.

LICARSIS.

Quoi! les pères n'ont pas

des droits supérieurs?

MYRTIL.

Les dieux, qui sont bien plus, ne forcent point les cœurs.

LICARSIS.

Les dieux... Paix, petit sot. Cette philosophie

Me...

DAPHNÉ.

Ne vous mettez point en courroux, je vous prie.

LICARSIS.

Non, je veux qu'il se donne à l'une pour époux,
Ou je vais lui donner le fouet tout devant vous.
Ah! ah! je vous ferai sentir que je suis père.

DAPHNÉ.

Traitons, de grâce, ici les choses sans colère.
ÉROXÈNE.

Peut-on savoir de vous cet objet si charmant
Dont la beauté, Myrtil, vous a fait son amant?

MYRTIL.

Mélicerte, madame. Elle en peut faire d'autres.
ÉROXÈNE.

Vous comparez, Myrtil, ses qualités aux nôtres!

DAPHNÉ.

Le choix d'elle et de nous est assez inégal!...

MYRTIL.

Nymphes, au nom des dieux, n'en dites point de mal.
Daignez considérer, de grâce, que je l'aime;
Et ne me jetez point dans un désordre extrême.
Si j'outrage, en l'aimant, vos célestes attraits,
Elle n'a point de part au crime que je fais;
C'est de moi, s'il vous plaît, que vient toute l'offense.
Il est vrai, d'elle à vous je sais la différence :

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