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sophe, et marcher sur les pas d'Archimède, qu'on trouva faisant une démonstration géométrique dans le temps qu'on prenoit d'assaut la ville de Syracuse ou il étoit enfermé. Nous nous sentons à Paris de la famine aussi bien que vous, et il n'y a point de jour de marché où la cherté du pain n'y excite quelque sédition; mais on peut dire qu'il n'y a pas moins de philosophie que chez vous, puisqu'il n'y a point de semaine où l'on ne joue trois fois l'opéra, avec une fort grande abondance de monde, et que jamais il n'y eut tant de plaisirs, de promenades, et de divertissements.

Mais laissons là la joie et la misère publique, et venons aux questions que vous me faites dans votre dernière lettre.... Pour ce qui est du livre de Meteoris orationis, je vous dirai que je l'ai reçu et presque lu tout entier. Il est assez bien écrit. Ce que j'y ai trouvé à redire, c'est qu'il représente Meteora orationis comme un terme reçu chez les rhéteurs, pour dire les excès du discours; et cependant ce n'est qu'une figure, à mon avis, hasardée par Longin, pour exprimer le style guindé. Aussi ne l'ai-je pas rendu par un mot exprès; mais je me suis contenté de dire du rhéteur que Longin accuse: « Il ne s'élève « pas proprement, mais il se guinde si haut, qu'on « le perd de vue. » Adieu, mon illustre monsieur; pardonnez mes ratures, et la précipitation avec la quelle je vous écris; et prenez-vous-en à l'obligation où je me trouve de ne me point fatiguer l'es

(

L'hiver si rigoureux de 1709 causa une famine générale

prit, et de ne pas irriter mes tournoiements de tête. Du reste, soyez bien persuadé que je suis avec plus. de passion que jamais....

Je vous conjure instamment de faire de nouveau mes recommandations à tous vos illustres magistrats, et de leur bien marquer le respect que j'ai

pour eux.

LETTRE CLVII.

AU MÊME.

Paris, 21 mai 1709.

Vous m'avez fait un plaisir infini, monsieur, de me mander avec quelle ardeur M. Perrichon1 prend mes intérêts vis-à-vis messieurs du consulat 2. Je vois bien qu'il ne compte pas pour un médiocre avantage un peu de mérite qu'il croit voir en moi, et qu'il ne regarde pas comme indigne d'être aimé des honnêtes gens, l'ennemi déclaré des méchants auteurs. Je vous prie de le bien charger de remerciements de ma part, et de le bien assurer que si Dieu rallume encore en moi quelques étincelles de santé, je les emploierai à faire voir dans mes dernières poésies la recounoissance que j'ai de toutes ses bontés, aussi bien que de celles de tous vos au

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* Relativement à la rente que la ville de Lyon devoit à notre

auteur.

tres illustres magistrats, en qui je reconnois l'esprit de ces fameux ancêtres, devant qui pâlissoit

Lugdunensem rhetor dicturus ad aram '.

Mais à quoi je destine principalement ma poésie expirante, c'est à témoigner à toute la postérité les obligations particulières que je vous ai. J'espère que T'envie de m'acquitter en cela de mon devoir me tiendra lieu d'un nouvel Apollon; mais en attendant, trouvez bon que je me repose, et que je ne vous en dise pas même davantage pour cette fois. Au surplus, croyez qu'on ne peut être plus sincèrement et plus fortement que je le suis, etc.

LETTRE CLVIII.

BROSSETTE A BOILEAU.

Lyon, ce 24 juin 1709.

Je crois, monsieur, que vous ne faites pas mal d'accepter l'offre qui vous a été faite par M. Bronod, et d'attendre quelque temps pour recevoir l'entier paiement de votre rente. Par ce moyen vous êtes bien éloigné de l'inconvénient que vous aviez d'abord appréhendé, puisqu'au lieu d'être incertain si l'on vous paieroit votre demi-année, vous voyez que la ville de Lyon, cette bonne mère, vous fait JUVENAL, Sat. 1, V. 44.

* Avocat au conseil, chargé des affaires de la ville de Lyon.

par avance le paiement de l'année entière. C'est une distinction que vous méritez bien, vous, monsieur, qui êtes le plus illustre et le plus cher de tous ses nourrissons. Oserois-je m'applaudir d'avoir pu contribuer au succès d'une chose qui vous fait quelque plaisir? Les occasions me manqueront souvent, elles me manqueront peut-être toujours; mais le zéle et la boune volonté ne me manqueront jamais. Les promesses flatteuses que vous me faites, pour marquer votre reconnoissance, valent mieux cent fois que mes services les plus signalés,

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Souviens-toi qu'en mon cœur tes écrits firent naître '
L'ambitieux desir de voir et de connoître
L'arbitre, le censeur du Parnasse françois,
Le digne historien du plus grand de nos rois.
Je te vis, je t'aimai. Mon heureuse jeunesse,
Boileau, ne déplut point à ta sage vieillesse.
Tu souffris que j'allasse écouter tes leçons;
Tu daignas m'enrichir de tes doctes moissons;
Tu m'instruisis à fond de tes divins ouvrages,
Et tes écrits pour moi n'eurent plus de nuages.
Tu fis plus : secondant ma curieuse ardeur,
Tu commis à ma foi les secrets de ton cœur.
Souvent tu m'entretius de tes mœurs, de ta vie,
Des puissants ennemis que t'opposa l'envie,
Des honneurs éclatants où tu fus appelé :
Tes chagrins, tes plaisirs, tout me fut révélé.

Mon esprit, enchanté de toutes ces merveilles,

Occupoit tout entier mes avides oreilles;

Voyez, tome V de notre édition des OEuvres complètes de J. B. Rousseau, avec Commentaires, les Lettres relatives à cette

épître adressée par Brossette à Despreaux.

Et, dans les traits naïfs de ce vivant tableau,
Je vis à découvert l'ame du grand Boileau,
Mais dans quelque haut rang que ta muse te mette,
Je vis l'homme d'honneur au-dessus du poëte.
O toi! qui peux transmettre à la postérité
Des vers marqués au coin de l'immortalité;
Tôi, qui, dans tes écrits chantés sur le Parnasse,
Est moins l'imitateur que le rival d'Horace;
Toi, dont le dieu des vers prend le ton et la voix
Pour régler son empire et dispenser ses lois,
Vois le comble de gloire où mon esprit aspire!
Quand tu dis qu'Apollon en ma faveur t'inspire,
Boileau, tu me promets un honneur éternel:

Le moindre de tes vers peut me rendre immortel.
Fais qu'un long avenir de mon nom s'entretienne;
Qu'il connoisse ma gloire, en admirant la tienne;
Et que ma renommée, emplissant l'univers,
Puisse aller aussi loin que le bruit de tes vers.

J'ai l'honneur d'étre, monsieur, etc.

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