Page images
PDF
EPUB

froyable de poitrine que j'ai, et qui est causée par les glaces de la vieillesse, commence à redoubler. Permettez donc que je me borne à ce court billet, et soyez bien persuadé que toutes vos lettres me font grand plaisir, quoique j'y réponde si peu exac

tement.

O mihi præteritos referat si Jupiter annos'!

quelles longues lettres n'auriez-vous pas à essuyer! Je vous donne le bonjour, et suis parfaitement....

2

LETTRE CLV.

AU MÊME.

Paris, 7 janvier 1709.

Vous êtes, monsieur, l'ami du monde le plus cominode, et avec lequel on peut le plus impunément faillir. Dans le temps que je m'épuise à chercher vainement dans mon esprit des raisons pour excuser ma négligence à votre égard, c'est vous-même qui vous déclarez le négligent; et peu s'en faut que vous ne me demandiez pardon de tous mes crimes. Je vois bien ce que c'est : vous me regardez comme un malade qu'il ne faut point chagriner, et vous ne vous trompez pas, monsieur; je suis malade et vraiment malade. La vieillesse m'accable de tous côtés. L'ouïe me manque, ma vue s'éteint, je n'ai plus de jambes, Énéide, VIII, v. 560.

[ocr errors]

et je ne saurois plus monter ni descendre qu'appuyé sur les bras d'autrui. Enfin je ne suis plus rien de ce que j'étois; et, pour comble de misère, il me reste un malheureux souvenir de ce que j'ai été. Aujour d'hui pourtant il faut que je fasse encore le jeune, et que je réponde à deux objections que vous me faites dans quelques unes des lettres que vous m'avez écrites l'année précédente. Je les ai relues ce matin, et il ne sera pas dit que je n'y aie rien répliqué.

La première est sur la musique, dont j'ai eu tort, dites-vous, de ne pas employer les termes dans la description que Longin fait de la périphrase. Mais est-il possible que vous me fassiez cette objection, après ce que vous avez lu dans mes remarques, où je dis en propres termes que ce que dit Longin peut signifier les parties faites sur le sujet, mais que je ne

· Traité du sublime, ch. xxiv (sect. XXVIII et XXIX), tome III, P. 131.

44

*« Un très habile musicien..... m'a fait observer qu'en termes « de musique on ne disoit pas ordinairement le son principal (le « texte dit à xúpraç płozyas, sonus primarius; et Boileau a bien traduit, « mais il n'a point éclairci la difficulté; il l'avoue franchement; « mais éluder n'est pas répondre); mais que l'on disoit le sujet ou « la principale partie, pour exprimer cette suite mesurée de sons « variés, lesquels étant soutenus par d'autres sons, qui sont les « parties d'accompagnement, forment un air, un sujet, un con« cert, une pièce de musique. Car un son tout seul, accompa«gué de ses parties, produit à la vérité une harmonie, mais non « une mélodie, comme disent les musiciens. J'ai cru que vous me « permettriez de vous faire part de cette petite remarque, » ( Lettre du 22 septembre 1708.)

décide pas néanmoins, parcequ'il n'est pas sûr que les anciens connussent dans la musique ce que nous appelons les parties; que je penchois cependant vers l'affirmative, mais que je laissois aux habiles en musique à décider plus précisément si le son principal veut dire le sujet? Ajoutez que par la manière dont j'ai traduit, tout le monde m'entend, au lieu que, si j'avois mis les termes de l'art, il n'y auroit que les musiciens proprement qui m'eussent bien entendu.

L'autre objection est sur ce vers de ma poétique :

De Styx et d'Achéron peindre les noirs torrents.

Vous croyez que

Du Styx, de l'Achéron peindre les noirs torrents seroit mieux. Permettez-moi de vous dire que Vous avez en cela l'oreille un peu prosaïque, et qu'un homme vraiment poëte ne me fera jamais cette difficulté, parceque de Styx et d'Acheron est beaucoup plus soutenu que du Styx et de l'Acheron. Sur les bords fameux de Seine et de Loire seroit bien plus no ble dans un vers que sur les bords fameux de la Seine et de la Loire. Mais ces agréments sont des mystères qu'Apollon n'enseigne qu'à ceux qui sont véritablement initiés dans son art.

Je viens maintenant à votre dernière lettre. Vous m'y proposez une question qui a, dites-vous, agité beaucoup de gens habiles dans votre ville, et qui, pourtant, à mon avis, ne souffre point de contesta

tion: car, qu'est-ce que l'ouïe au prix de la vue! Vivre, et voir le jour, font deux synonymes. Les

yeux au défaut des oreilles entendent; mais les oreilles ne voient point. J'ai vu un homme sourd de naissance, à qui, par la vue, on faisoit entendre jusqu'aux mystères de la Trinité, Mais, monsieur, il me semble que, pour un vieillard malade, je m'engage dans de grands raisonnements.

Le meilleur est, je crois, de me borner ici à vous remercier de vos présents. Je les partagerai ce matin avec M. Le Verrier, chez qui je vais diner; et je vous réponds que votre santé y sera célébrée, Mille remerciements à madaine votre chère et illustre épouse, de la bonté qu'elle a de se souvenir de moi. J'ai, sur le peu que vous m'en avez dit, une idée d'elle qui passe de beaucoup les Pénélope et les Lucréce. Il ne me reste plus qu'à vous demander pardon de la précipitation avec laquelle je vous écris, et qui est cause d'un nombre infini de ratures, que je ne sais si vous pourrez debrouiller, Mais quoi! je serois perdu s'il falloit récrire mes lettres, et il arriveroit fort bien que je ne vous écrirois plus. Le moindre travail me tue, et meme, dans le moment que je vous parle, il me vient de prendre un tournoiement de tete, qui ne me laisse que le temps de vous dire que je vous aime et vous respecte plus que jamais, et que je suis parfaitement, etc.

LETTRE CLVL

AU MÉME.

Paris, 15 mai 1709.

Je voudrois bien, monsieur, n'avoir que de mauvaises excuses à vous faire du long temps que j'ai été sans répondre à vos obligeantes lettres, puisque, de l'humeur dont je vous vois, vous ne laisseriez pas de les trouver bonnes; mais la vérité est que ines tournoiements de tête continuent toujours; que je ne puis plus monter ni descendre que soutenu par un valet; que ma mémoire finit, que mon esprit m'abandonne, et qu'enfin j'ai quatre-vingts ans à soixante-onze. Cependant je vous supplie de croire que j'ai toujours pour vous la même estime, et que je reçois toujours vos lettres avec grand plaisir.

Je ne saurois assez vous admirer, vous et vos confrères académiciens, de la liberté d'esprit que vous conservez au milieu des malheurs publics; et je suis ravi que vous vous appliquiez plutôt à parler des funérailles des anciens, qu'à faire les funérailles de la félicité publique, morte en France depuis plus de quatre ans. Cela s'appelle être philo

« Permettez-moi de vous rendre compte aujourd'hui de nos conférences académiques. J'ai été charge de parler des funé «railles des anciens, et ce discours a tenu les deux dernières « séances.» (Lettre sans date).

« PreviousContinue »