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LETTRE CL.

A BROSSETTE.

Paris, 27 avril 1708.

Je voudrois bien, monsieur, n'avoir que de mauvaises raisons à vous dire du long temps que j'ai été sans vous donner de mes nouvelles. Je n'aurois qu'à les habiller de termes obligeants, et je suis assuré que votre bonté pour moi vous les feroit trouver bonnes; mais la vérité est que j'ai été depuis trois mois attaqué d'une infinité de maux, qui ont enfin abouti à une espèce d'hydropisie, dont je ne me suis tiré que par le secours du médecin hollandois'. Enfin, me voilà, si je l'en crois, hors d'affaire; et le premier usage que j'ai cru devoir faire de ma santé, c'est de vous avertir, comme je fais, que je suis vivant, et que le ciel vous conserve encore en moi, dans Paris, l'homme du monde qui vous aime et vous honore le plus. Je suis avec toute sorte de re

connoissance....

'Adrien Helvétius, dont le nom primitif étoit Helvez, né en 1661, vint à Paris, où il acquit une grande réputation, en guérissant la dyssenterie par le moyen de l'ipécacuanha, dont l'usage étoit encore ignoré. Il mourut en 1727, laissant un fils premier médecin de la reine Marie Leckzinska, femme de Louis XV, et père du trop célèbre auteur De l'Esprit.

LETTRE CLI

AU MÊME.

Paris, 16 juin 1708.

Je ne vous ferai point d'excuses, monsieur, de ce que j'ai été si long-temps sans faire réponse à vos deux dernières lettres, puisque c'est par ordre du médecin que je me suis empêché d'écrire, et que c'est lui qui m'a défendu de faire aucun effort d'esprit (même agréable), jusqu'à ce que ma santé fût entièrement confirmée. Mais enfin me voilà presque tout-à-fait en état de réparer mes négligences, et il n'y a plus de traces en moi de l'aquosus albo corpore languor, Quelquefois, même à l'heure qu'il est, je me persuade que je suis encore ce même ennemi des méchants vers, qui a enrichi le libraire Thierry, et il me semble que soixante et dix ans n'ont pas encore tellement appesanti ma plume, que je ne fisse avec succès une satire contre l'hydropisie, aussi bien que contre l'équivoque. Je doute néanmoins que celle que j'ai composée contre ce dernier monstre voie le jour avant ma mort, parceque je fuis autant aujourd'hui de faire parler de moi, que j'en ai été avide autrefois. La vérité est pourtant que je l'ai mise par écrit, qu'elle ne sera point perdue, et que si vous venez à Paris, comme vous me HORAGE, liv. II, ode 1, v. 15-16.

le promettez, je vous la lirai autant de fois que vous le souhaiterez.

Mais, à propos de ce voyage, savez-vous bien que vous êtes obligé de le faire en conscience, puisque c'est un des meilleurs moyens de me rendre ma santé, qui ne sauroit être mieux affermie que par le plaisir de voir un homme que j'estime et que j'honore autant que vous? Je vous prie donc de faire trouver bon à madame votre chère épouse que vous vous séparicz pour cela deux ou trois mois d'elle, sauf à racquitter, au retour de votre voyage, le temps perdu.

Je ne vous parle point ici de M. Vaginai', ni de tous vos autres célèbres magistrats, parcequ'il faudroit un volume pour vous dire tout le bien que je pense d'eux, et que je n'oserois encore vous écrire qu'un billet, que je cacherai même à Helvétius. Vous ne sauriez manquer de réussir auprès de M. Coustard 2, qui n'a fait graver mon portrait que pour le donner à des gens comme vous. Adieu, mon cher monsieur, aimez-moi toujours, et croyez que je suis très sincèrement....

M. Vaginai, ancien prevôt des marchands, procureur-géné» ral en la cour des monnoies de Lyon.

'M. Coustard, conseiller au parlement, avoit fait peindre Despréaux, son ami, par le célèbre Rigaud; et de plus il avoit fait graver ce portrait. Brossette, sans le connoître, l'avoit prié de lui en envoyer quelques épreuves. (Lettre du 8 mai 1708.)

LETTRE CLII.

BROSSETTE A BOILEAU,

Lyon, 26 juin 1708,

De toutes les lettres que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire, monsieur, il n'en est aucune qui m'ait fait plus de plaisir que celle que je viens de recevoir. Non seulement vous m'y donnez des assurances du rétablissement de votre santé, mais encore vous m'en donnez des preuves sensibles par un certain air de gaieté et de contentement qui est répandu dans votre lettre, et qui s'est communiqué à mon cœur, par la conformité de mes sentiments avec les vôtres. Quand l'envie que j'ai de vous aller voir ne seroit pas aussi forte qu'elle l'est, vous me T'auriez donnée par l'invitation que vous m'en faites. Si l'entier affermissement de votre santé dépendoit de mon voyage, comme votre politesse vous le fait dire, soyez assuré, monsieur, que je l'entreprendrois dès ce moment, malgré quelques affaires indispensables qui me retiennent ici; mais je compte qu'elles seront finies dans peu de temps, et rien ne pourra m'empêcher d'aller jouir bientôt de votre présence et de votre entretien.

Je vous envoie une nouvelle traduction en vers latins de votre satire sixième. L'auteur de cette tra

duction est le P. du Treuil de l'Oratoire 1; il demeure à Soissons, et est frère de M. du Treuil qui a eu l'honneur de vous voir quelquefois de ma part. Cette traduction m'a paru exacte, à quelques endroits près; et pour la versification, elle n'est pas des plus mauvaises. Quand vous m'écrirez, vous aurez la bonté de m'en dire votre sentiment.

Toute la ville de Lyon a été depuis quelques jours dans un mouvement qui ne lui est pas ordinaire. Le duc de Savoie nous menaçoit de ses approches; et nous avons travaillé pour notre sûreté intérieure, tandis que M. le maréchal de Villars 3 travailloit au-dehors pour notre défense. Ce maréchal nous envoya, il y a dix jours, M. de Dillon et M. de Saint

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Cizeron-Rival nous apprend, dans une note, que le père du Treuil, né à Lyon, en 1684, mourut en 1754; et qu'il a laissé des sermons, publiés, après sa mort, en deux volumes in-12, qui ne sont pas sans mérite,

* Victor Amédée II, né en 1666, mort en 1732; il étoit père de la duchesse de Bourgogne, mère de Louis XV.

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Louis-Claude duc de Villars, qui prit le nom d'Hector, maréchal en 1702, eut la gloire de conclure la paix avec le prince Eugène, à Rastadt, en 1714. Il fut président du conseil de guerre en 1715, représenta le connétable au sacre de Louis XV en 1722, et mourut à Turin, le 17 juin 1734, ne regrettant que l'honneur de périr sur un champ de bataille, (S. S. )

4 Arthur, comte Dillon, né en Irlande, en 1670, suivit les chances de la destinée de Jacques II, roi d'Angleterre. A l'époque où Brossette écrit, il étoit lieutenant-général des armées en France. Après avoir fait différentes actions d'éclat, il mourut en 1733, dans le château royal de Saint-Germain-en-Laye, laissant une nombreuse famille. Le dernier archevêque de Narbonne étoit l'un de ses fils, et le général Arthur Dillon, qui périt en

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