Page images
PDF
EPUB

un exemple admirable, je vous dirai qu'un grand prince, qui avoit dansé à plusieurs ballets, ayant vu jouer le Britannicus de M. Racine, où la fureur de Néron à monter sur le théâtre est si bien attaquée, il ne dansa plus à aucun ballet, non pas même au temps du carnaval. Il n'est pas concevable de combien de mauvaises choses la comédie a guéri les hommes capables d'être guéris: car j'avoue qu'il y en a que tout rend malades. Enfin, monsieur, je vous soutiens, quoi qu'en dise le père Massillon, que le poëme dramatique est une poésie indifférente de soi-même, et qui n'est mauvaise que par le mauvais usage qu'on en fait. Je soutiens que l'amour, exprimé chastement dans cette poésie, non seulement n'inspire point l'amour, mais peut beaucoup contribuer à guérir de l'amour les esprits bien faits, pourvu qu'on n'y répande point d'images ni de sentiments voluptueux; que s'il y a quelqu'un qui ne laisse pas, malgré cette précaution, de s'y corrompre, la faute vient de lui, et non pas de la comédie. Du reste, je vous abandonne le comédien et la plupart de nos poëtes, et même M. Racine en

[ocr errors]

VAR. « Qu'un très grand prince. »

A l'âge de trente-deux ans, ce prince cessa de figurer dans les ballets de la cour, dès qu'il eut entendu ce que Narcisse fait dire aux Romains à l'égard de Néron.

Pour toute ambition, pour vertu singulière,
Il excelle à conduire un char dans la carrière;

A disputer des prix indignes de ses mains;
A se donner lui-même en spectacle aux Romains.

Acte IV, scène iv.

plusieurs de ses pièces, Enfin, monsieur, souve nez-vous que l'amour d'Hérode pour Mariamne, dans Josèphe, est peint avec tous les traits les plus sensibles de la vérité. Cependant quel est le fou qui a jamais, pour cela, défendu la lecture de Josèphe? Je vous barbouille tout ce canevas de dissertation, afin de vous montrer que ce n'est pas sans raison que j'ai trouvé à redire à votre raisonnement. J'avoue cependant que votre satire est pleine de vers bien trouvés 1. Si vous voulez répondre à mes objections, prenez la peine de le faire de bouche, parceque autrement cela traîneroit à l'infini mais sur-tout, tréve aux louanges; je ne les mérite point, et n'en veux point. J'aime qu'on me lise, et non qu'on me loue. Je suis, etc. 4

[ocr errors]

« Je vous sais bon gré, dit Monchesnai dans sa replique a Despréaux, de m'abandonner le comédien et nos poctes mo6 dernes, et même M. Racine en plusieurs de ses pièces. Lau « même est convenu avec moi que sa férénice étoit très dange« reuse pour les mœurs, a Ce dernier aveu nous a paru digne d'être recueilli. (S. S.)

* VAR. « Qui est le fou, a * Bien tournés, a

4 M. de Monchesnai avoit fait des satires, et dans sa lettre de plaiute à Boileau sur les plaisanteries qu'il avoit faites à l'orrasion du ramoneur, il lui rappeloit que dans ses satires son nom se trouvoit souvent avec éloge. Sa longue réponse à cette lette de Boileau se trouve dans les Mémoires de littérature donnés par le révérend père Desmolets, tome VII - (L. R. )

LETTRE CXLVII.

A BROSSETTE.

Paris, 24 novembre 1707.

Je ne vous cacherai point, monsieur, que j'ai été attaqué depuis plus de quatre mois d'un tournoiement de tête qui ne m'a pas permis de m'appliquer à rien, ni même à répondre à des lettres aussi obli- . geantes que les vôtres. J'avois prié M. Falconnet qui me vint voir, il y a assez long-temps, de votre part, à Auteuil, de vous mander mon incommodité, et il s'en étoit chargé; mais je vois bien qu'il n'a pas jugé la chose assez importante pour vous l'écrire, et j'en suis bien aise, puisqu'il est médecin et qu'il n'a pas mauvaise opinion de ma maladie. Il m'a paru homme de savoir et de beaucoup d'esprit '. Graces à Dieu, me voilà en quelque sorte guéri, et

Camille Falconnet, né à Lyon, le 1o mars 1671, descendoit d'une famille où l'art de guérir étoit héréditaire : son père, son aïeul, son bisaïeul, se distinguèrent tous dans la médecine. Il embrassa la même profession, cultiva les sciences, et son cabinet fut le berceau de l'académie de son pays. De toutes les collections de livres faites par des particuliers, la sienne étoit l'une des plus nombreuses : elle se composoit de quarante-cinq à cinquante mille volumes. Plein de reconnoissance pour les bontés dont Louis XV l'avoit honoré, il supplia Sa Majesté, au mois de décembre 1742, d'accepter tous les livres de son cabinet qui ne se trouveroient pas dans la bibliothèque royale, s'en réservant l'usage jusqu'à sa mort, arrivée en 1762. Cette disposition valut

I

je ne me ressens plus de mon mal, si ce n'est en marchant qu'il me prend quelquefois de petits tournoiements que j'attribue plutôt à mes soixante-dix années que j'ai entendu sonner le jour de la Toussaint, qu'à aucune maladie. Je ne me sens pas encore si bien remis, que j'ose m'engager à vous écrire une longue lettre.

Permettez, monsieur, que je me contente de répondre très succinctement à ce que vous me demandez. Je vous dirai donc que pour le livre du P. Jean Barnès, je n'en ai point besoin, puisque je sais assez de mal de l'équivoque, sans qu'on m'en apprenne rien de nouveau, et que j'ai même peur d'en avoir déja trop dit.

Pour ce qui est du prétendu bon mot qu'on m'attribue sur M. Racine, il est entièrement faux, et sûrement de la fabrique de quelque provincial, qui ne sait pas même ce que nous avons fait M. Racine et moi3. Et où diable M. Racine a-t-il jamais rien

au public la jouissance de onze mille volumes recueillis avec beaucoup de soins.

C'est-à-dire soixante et onze. Nous avons donné ailleurs (Précis historique, p. 21), les raisons et l'excuse de ce prétendu rajeunissement.

"Jean Barnès, bénédictin anglois, né dans le Lancastre, vers la fin du seizième siècle, a composé entre autres ouvrages, une Dissertation contre les équivoques: Dissertatio contra æquivocationes, Paris, 1625; elle fut traduite en françois la même année. «Voici un bon mot qu'on vous attribue ... Bertaud n'auroit "pas cru avoir obligation à M. Racine, pour l'avoir loué sur le théâtre. Vous compariez, dit-on, Bertaud, musicien de chez le roi, avec Atys, parcequ'il étoit eunuque; mais je ne vois pas

44

[ocr errors]
[ocr errors]

composé qui regarde Atys, ni sur - tout Bertaud, dont je suis sûr qu'il n'avoit jamais ouï parler?

Pour ce qui est du sonnet', la vérité est que je le fis presque à la sortie du collège, pour une de mes nièces, environ du même âge que moi, et qui mourut entre les mains d'un charlatan de la faculté de médecine, âgée de dix-huit ans. Je ne le donnai alors à personne, et je ne sais pas par quelle fatalité il vous est tombé entre les mains, après plus de cinquante ans qu'il y a que je le composai. Les vers en sont assez bien tournés, et je ne les désavouerois pas même encore aujourd'hui, n'étoit une certaine tendresse tirant à l'amour qui y est marquée, qui ne convient point à un oncle pour sa nièce, et qui y convient d'autant moins que jamais amitié ne fut plus pure ni plus innocente que la nôtre. Mais quoi! je croyois alors que la poésie ne pouvoit parler que d'amour. C'est pour réparer cette faute, et pour montrer qu'on peut parler en vers même de l'amitié enfantine, que j'ai composé, il y a environ quinze ou seize ans, le seul sonnet qui est dans mes ouvrages, et qui commence par :

"

Nourri dès le berceau près de la jeune Orante, etc.”

« bien encore toute la force de cette plaisanterie.... Je ne conçois «pas pourquoi M. Racine se trouve placé là, puisque c'étoit

M. Quinault qui avoit fait l'opéra d'Atys. » (Lettre de Brossette, du 19 novembre 1707.)

[ocr errors][merged small][merged small][merged small]
« PreviousContinue »