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serait la perfection; mais du moins, puisqu'elle entre dans l'ordre des choses d'ici-bas, l'adoucir est une grande et belle chose. Par l'Œuvre de la Croix rouge, Mesdames, vous n'avez point d'autre but.

Quand la poudre a parlé, comme l'on dit, et que ses premières victimes sont là tristement étendues sur le champ de bataille ou dans quelque recoin solitaire, attendant le secours qu'appellent les lèvres de tant de plaies béantes, c'est alors que votre rôle va battre son plein, si je puis dire. Mais il doit même devancer cette heure, pour que vous soyez plus aptes à en remplir toutes les exigences. Tout cela, en effet, demande d'abord l'étude des divers détails de ce rôle, cela d'ailleurs ne peut que mieux exciter tous vos dévouements, et pour tout résumer, laissez-moi vous le dire, à l'ambulance il faut que vous sachiez tenir la place des mères absentes.

Quand on veut être propre à remplir une fonction, il faut commencer par en bien connaître toutes les obligations. Or, on ne s'improvise pas dame d'ambulance, aujourd'hui surtout que les progrès matériels ont donné à votre œuvre une organisation très belle, mais assez complexe. Vos comités ont coutume de se répartir en diverses fractions, qui chacune ont leurs attributions très déterminées et d'une réelle importance pour la marche de l'ensemble. Que chacune de vous donc se tienne bien dans la part qui lui est confiée, qu'elle se pénètre de ce qu'elle lui impose, et qu'elle s'en acquitte avec intelligence et bon vouloir.

Dans l'Œuvre de la Croix rouge les services sont multiples. Il y a les ressources à trouver, et assurément ce n'est pas la mission qui exige le moins de bonne volonté et de savoir-faire. Il est vrai que vous avez en cela à toucher l'une des fibres les plus vibrantes du cœur français, celle du patriotisme; mais quand il faut renouveler cela chaque année, ce n'est pas sans mérite, autant, je dirai, pour celle qui sollicite le secours que pour celui qui l'octroie. Il y a ensuite la tenue du matériel de l'ambulance, et là vous êtes absolument dans votre élément. Aussi que de détails assez minutieux sollicitent vos soins pour que tout soit bien en règle, selon que les règlements l'exigent pour la bonne tenue d'une ambulance! Et quand bien même tous ces détails ne passeraient pas par vos mains, il y a la répartition à faire et la surveillance à exercer.

Si ensuite du matériel, nous en venons au personnel, voilà surtout ce qui réclame tous vos soins.

J'ai vu un soir de bataille; quel navrant spectacle ! Le souvenir m'en restera bien tant que je vivrai. Au loin le canon grondait, la fusillade crépitait, c'était pour nous l'angoisse. Mais ce qui d'instant en instant l'aggravait encore, c'étaient les blessés du combat qu'on nous apportait râlants ou horriblement mutilés. Eh bien, Mesdames, sans flatterie, cela m'a fait comprendre ce mot de l'Ecriture: Où la femnie n'est pas, le pauvre et le malade gémissent (1). Oui, malheur au

(1) Eccli., XXXVI, 27,

blessé qui n'a que des mains et des cœurs d'hommes autour de ses douleurs. Sans doute l'infatigable dévouement de nos médecins, là comme toujours, faisait l'impossible pour porter secours aux blessures les plus graves. Mais ce qu'ils avaient commencé, c'était à nos admirables religieuses et aux dames de l'ambulance de le poursuivre et de l'achever. Hélas! en ce temps-là on connaissait à peine les ressources merveilleuses de l'antiseptie, ou du moins on n'en avait point les moyens. Aussi ai-je vu de simples blessures à l'un des doigts de la main amener plus d'une fois la mort, par suite de la gangrène. Pauvres chers enfants, combien j'en ai vu ainsi partir pour le grand voyage d'où l'on ne revient plus. Aujourd'hui, Mesdames, vos soins les garderaient à la patrie et à leurs mères.

Mais pour cela encore, vous le pensez bien, n'est-ce pas? il faut plus que les soins matériels, il faut ce vrai dévouement qui va plus loin que le corps, et sait atteindre l'âme. Relever et soutenir le moral du blessé, quelle belle œuvre ! Quand l'âme est défaillante, comment un corps meurtri pourrait-il se relever? Lorsque le souffle de la tempête a passé, souvent il suffit d'un rayon d'en haut pour ranimer certaines fleurs et les relever. C'est bien cela aussi pour l'homme, n'en doutez pas un rayon du cœur lui redonne la vie.

A Bac-Ninh, au-delà d'Hanoï, nos troupes s'étaient heurtées aux Pavillons noirs et aux réguliers chinois; l'affaire fut chaude. Le service de secours s'organise, et une sorte d'ambulance volante est dressée non loin

encore

du champ de bataille; on apporte les blessés, une trentaine de malheureux atteints plus ou moins grièvement. Quelques projectiles arrivent jusqu'à cet hôpital improvisé. Tout à coup, au milieu même de l'ambulance, un obus s'abat; le moindre choc, la plus légère pression peuvent le faire éclater c'est la mort pour la plupart de ceux qui sont là. La Sœur de l'ambulance l'a compris. Avant qu'on ait pu deviner sa pensée, elle s'est baissée, a saisi entre ses bras le dangereux engin, et, le tenant appuyé contre sa poitrine, elle va le porter à cent mètres de là. Avec des précautions infinies elle le dépose sur le sol, mais pas assez doucement cependant pour l'empêcher d'éclater; elle n'a que le temps de se jeter à terre et reçoit une blessure à la tête. Puis, la première émotion passée, elle se relève et s'écrie: Allons, les enfants, je ne suis pas morte, ce n'est rien (1) ! Vous pensez, si avec un si cordial encouragement, le moral du soldat sait se soutenir. Voilà quel peut être le rôle d'une femme à l'ambulance.

Sans doute, Mesdames, ce n'est pas dans de telles conditions que vous aurez à le remplir; mais, du moins, près du blessé, quand il le faudra, ayez toujours l'entrain qui relève et la parole qui soutient. C'est bien de verser sur des plaies le vin qui les cicatrise, mais c'est mieux encore d'y ajouter l'huile qui

(1) La Quinzaine, n° 56; M. Arthur Dujardin, de l'Institut, dans son article Dieu et la Patrie, cite ce trait emprunté à l'ouvrage de M. J. Legoux, Pro Patria, p. 106,

les adoucit et amène plus sûrement leur guérison. Gagnez le cœur du soldat blessé, et vous aurez beaucoup fait pour lui assurer la vie. Le premier Consul disait à Joséphine de Beauharnais : « Je ne gagne que des batailles, mais vous gagnez les cœurs. » Que ce soit bien votre rôle à l'ambulance.

Aussi bien, en quoi se résume ce rôle, si ce n'est à remplacer, autant que possible, les mères absentes. Aussi, mon dernier mot, c'est de vous dire à l'ambulance soyez de vraies mères.

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Aux jours de la guerre de 1870, une femme en deuil entrait dans une ambulance de la frontière de l'Est, et, après avoir distribué de nombreux secours aux soldats blessés qui s'y trouvaient entassés, elle se disposait à se retirer, quand la religieuse, préposée à la garde de cette ambulance, lui dit : Madame, veuillez donc au moins me dire votre nom, que je puisse l'inscrire au registre de l'ambulance. — Mais cette noble femme se contente de lui dire : « Ma Sœur, inscrivez une mère; cela suffit. J'avais un fils, les Allemands me l'ont tué; j'ai apporté à vos blessés ce que je lui destinais. (1) »

Voilà le dévouement de la mère, et la discrétion de la chrétienne et de la française.

C'est ainsi que vous saurez le comprendre vousmêmes, Mesdames. Aussi, vienne le jour, si les événe

(1) Ce trait est cité par M. l'abbé d'Ezerville, dans un de ses opuscules.

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