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Après avoir franchi le pont qui, sur trois arches, traverse le Gamasiah, nous marchâmes presque aussitôt sur un terrain jonché des débris de constructions disparues. La route, ou plutôt les sentiers qui la divisaient en plusieurs parties frayées, serpentaient en tous sens au milieu des roches échappées à la montagne et roulées à son pied. Nous cheminions sur une pente douce qui formait la base du mont Bi-Sutoun; et, à quelques centaines de pas du pont, nous rencontrâmes des bas-reliefs sculptés sur les rochers. C'était là le point désigné à notre étude dans cette localité; nous nous y arrêtames.

A Bi-Sutoun, il n'y a point de village. Un caravansérail, où l'on ne trouve aucune ressource, est le seul abri que les voyageurs y rencontrent. Mais, près d'une fontaine qu'on voyait sourdre au milieu des pierres, il y avait quelques arbres et même une espèce de jardin; nous y fimes disposer

nos tentes.

Nos compagnons de voyage, MM. Delort et Breuilly, continuèrent leur route vers Kermanchah, où ils pouvaient arriver le soir. Nos adieux furent tristes, car nous ne devions plus nous revoir qu'en France. Ils empruntaient quelque chose de solennel au lieu où nous nous trouvions. Au milieu de ce désert, au pied de ces rochers vieux comme le monde, en face de ces témoins immobiles, antiques figures du temps de Cyrus, nos impressions étaient plus puissantes et réagissaient fortement sur nous, condamnés à rester seuls, à errer si longtemps encore dans ces contrées.

Nous venions d'organiser notre petit camp, lorsqu'un cavalier nous présenta une lettre de M. de Sercey. — L'ambassadeur et ses compagnons de route nous adressaient un dernier souvenir en quittant la Perse. Arrivés sans accident à Kermanchâh, ils en étaient partis le 20 au soir pour Bagdad. A dater de notre séjour à Bi-Sutoun, de cette nombreuse troupe qui, de Toulon jusqu'à Ispahan, avait si joyeusement supporté les tribulations d'un long voyage, nous étions donc les seuls restant en arrière et chargés d'une mission dont nous ne pouvions prévoir le terme. Nous n'avions d'autre ressource pour nous soutenir que nos études laborieuses, d'autres distractions que celles d'une pérégrination où tout était inattendu et nouveau.

Le mont Bi-Sutoun s'élève en forme pyramidale, noir et sauvage. C'est l'un des sommets les plus élevés de la chaîne qui, de ce point, se prolonge jusque vers les monts Zagros, à l'ouest de Kermanchâh. Le sol sur lequel sa base s'élargit est jonché de ruines qui s'étendent de chaque côté de la rivière, à une très-grande distance: ce sont des décombres de maçonnerie, des pans de murs enterrés, des briques, de

la pierre, du fer, qui pêle-mêle et altérés par le feu dont la trace se retrouve partout, sont presque méconnaissables. Mélangés ensemble, incrustés les uns aux autres, ils paraissent avoir été mis en fusion; ce qui porterait à croire qu'un vaste incendie a ravagé cette contrée et réduit en cendres la ville dont l'existence se révèle d'une manière évidente sur un très-grand espace de terrain.

De notables morceaux, échappés à la destruction, sont encore là pour attester l'existence de monuments dont ils ne font que désigner la place. Parmi les débris reconnaissables que l'on y retrouve, y retrouve, sont un grand nombre de tablettes de marbre blanc couvertes d'inscriptions couffiques, d'ornements sculptés avec beaucoup d'art, qui indiquent que là s'est assise aussi quelque temps la civilisation moderne, celle que les Arabes ont apportée chez les Persans à l'ombre de l'étendard de Mahomet. Puis, à côté, représentants de l'antiquité, on voit un mur très-bien construit en belle pierre, des fragments de profils dans le style grec, des tronçons de colonnes dont une est en marbre rose. Près de là, deux chapiteaux en marbre blanc, de même dimension, montrent leurs quatre faces couvertes de sculptures. Sur l'un des côtés est une figure d'homme revêtu d'une tunique ornée de perles; il tient devant lui une longue épée; son visage est mutilé et méconnaissable; mais, aux traces qui sont restées sur le haut de la tête, on reconnaît qu'il portait la coiffure généralement adoptée par les princes Sassanides. Le côté opposé représente une figure qui semble être une femme; elle tient une couronne dans sa main droite. Il paraît assez probable que ces sculptures représentent Khosro, ou le Chosroës des Grecs, et la princesse Chirin.

Sur les deux autres faces de ces

chapiteaux sont sculptées des écailles ou des feuilles; cette ornementation est d'une très-grande élégance.

En face de ces débris de colonnes, on se rend difficilement compte de la raison qui a fait donner à ce lieu le nom de Bi-Sutoun dont la signification littérale est sans colonnes. Pour justifier cette dénomination actuelle, il faut croire qu'elle a été donnée à la suite d'un acte de dévastation et d'incendie qui aurait été commis sur les monuments de cette localité, et dont le résultat aurait été la disparition complète de ses édifices ornés de colonnes.

Parmi toutes ces ruines tombées çà et là, différant d'âge et d'espèce, restes d'une grande cité disparue, les objets les plus remarquables sont deux bas-reliefs sculptés sur les rochers et faisant face au sud-est. Le premier est placé à la base de la montagne au-dessus d'une source d'eau trèsabondante. Il a près de douze mètres de longueur; mais sa surface a été si usée par le temps, et les figures qu'il représente sont tellement rongées que ce n'est qu'avec les plus grandes peines qu'on parvient à y deviner quelques formes. On reconnaît néanmoins les silhouettes de plusieurs personnages de haute taille, surmontés d'autres plus petits parmi lesquels se distinguent un cavalier armé d'une lance et une espèce de Gloire ou de Renommée couronnant un autre guerrier à cheval. Au-dessus était une longue inscription grecque également mutilée. Un certain Hadji-Ali-Khân, gouverneur de la province, il y a quelques années, non content de voir les ravages que les siècles avaient exercés sur cette sculpture, lui porta le dernier coup en faisant creuser, au milieu même, une profonde niche dans laquelle il a fait graver une longue inscription en langage moderne.

La main sacrilége qui a fait subir ce nouvel outrage à ce monument en a mutilé la portion la plus précieuse, une longue inscription grecque de deux lignes placée au-dessus du cadre, et qui a dû être gravée à l'époque de son exécution. On y retrouve le nom de Gotarzès, l'un des satrapes qui gouvernaient cette partie de l'empire légué par Alexandre à ses successeurs.

L'autre bas-relief, placé dans un angle rentrant de la montagne, et à une hauteur qui le met à l'abri de l'ignorance brutale d'un imitateur du vaniteux gouverneur, ne s'aperçoit que très-difficilement d'en bas. Pour le dessiner, il faut s'en rapprocher en escaladant quelques-uns des blocs qui encombrent le pied de la montagne, ce qu'on ne peut faire que jusqu'à une certaine hauteur, et il reste encore à une élévation assez grande pour qu'il soit nécessaire de se servir d'une longue - vue. L'escarpement du rocher audessous de cette sculpture en rend l'accès presque impossible, en contribuant à sa conservation. Il représente une suite de neuf prisonniers qui ont les mains attachées par derrière, et qui sont liés entre eux par une chaîne ou une corde passée au cou; leurs vêtements diffèrent, et la figure qui occupe le troisième rang porte une jupe sur laquelle sont gravés des caractères cuneiformes. Devant ces captifs, la face tournée de leur côté, est un personnage qui porte une couronne, tient un arc de sa main gauche, et élève la droite en signe de commandement; il foule à ses pieds un individu qui élève ses bras vers lui en suppliant; derrière, sont deux gardes tenant un arc et une lance. Dans la partie supérieure de ce cadre, le corps passé dans un anneau attaché à des ailes, une figure symbolique,

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