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AVANT-PROPOS

Longtemps avant que la politique eût porté ses vues sur la Perse, la propagande religieuse avait fixé sur elle son attention. Les premiers qui allèrent dans ce royaume, et y firent connaître l'Europe, furent

des missionnaires français. A leur exemple, quelques moines portugais et italiens s'y aventurèrent. Ces diverses missions séjournèrent à Ispahan, sous le règne des Sophis. Favorablement accueillis par ChâhAbbas d'abord, puis soutenus par ses successeurs, elles y vécurent plusieurs années, protégées et même considérées. Parmi les religieux qui espérèrent vainement convertir au christianisme les Persans, que le fanatisme d'un schisme nouveau exaltait plus encore que n'avait fait l'orthodoxie mahométane, figurèrent des jésuites, des capucins et des dominicains. Mais rebutés par le peu de succès qu'ils obtinrent, effrayés par la conquête du farouche Mahmoud Affghân qui s'était emparé du trône des Sophis, ils abandonnèrent leur œuvre et quittèrent la Perse, vers la fin du xvIIe siècle.

Plus tard, à de longs intervalles, le souvenir de ce grand pays se réveilla dans l'esprit des personnages politiques ou des savants de l'Europe. De tous les hommes d'État qui portèrent leurs yeux sur la Perse, l'empereur Napoléon fut celui qui les y fixa le plus sérieusement. Il voulait la rattacher à un plan qu'il avait conçu, plan gigantesque comme tout ce qu'il entreprenait. Il ne s'agissait de rien moins que de persuader au châh qu'il était de son intérêt de faire alliance avec la France et d'attaquer la Grande-Bretagne dans ses possessions

de l'Inde. Si cette idée n'avait pas été suggérée à l'ennemi si redouté de l'Angleterre, par le Châh lui-même qui avait à se défendre contre cette puissance, il faut dire que le prince qui régnait alors sur la Perse l'avait provoquée par une demande de secours adressée à Napoléon, dans le cours de l'année 1805. Ce fut vers cette époque que, désireux de connaître les ressources de ce pays, et ce qu'il avait à en attendre comme puissance militaire, l'Empereur y envoya M. Jaubert pour y prendre tous les renseignements qui pouvaient le mettre à même d'apprécier l'importance d'une alliance avec Feth-Ali-Châh. L'Empereur, pensant que les gouvernements de Pétersbourg et de Londres avaient les yeux ouverts sur les moindres démarches de ses agents de ce côté, jugea prudent d'envoyer simultanément un second messager à Téhéran. Le général Romieu partit donc aussi pour cette destination. Il y était à peine arrivé, qu'il périt mystérieusement sans que depuis on ait jamais su la vraie cause de sa mort. (1)

En inquiétant les possessions de la Compagnie des Indes, auxquelles la révolution française avait permis d'atteindre un grand degré de prospérité par l'anéantissement de la marine de France, Napoléon espérait faire une diversion qui aiderait à l'accomplissement de ses grands projets. Les renseignements qui étaient parvenus lui ayant paru de nature à lui permettre de compter sur l'appui de la Perse, il se décida à y envoyer, en qualité de ministre plénipotentiaire, le général Gardanne dont un des ancêtres (2) avait représenté autrefois la France dans ce même pays. Le général se rendit, en 1807, auprès de FethAli-Châh, alors sur le trône de Perse, avec la mission de faire ressortir à ses yeux tous les avantages qui pourraient résulter, pour lui et l'agrandissement de ses États, de l'alliance que lui offrait le souverain qui remplissait alors le monde de sa gloire, et de l'exécution des projets dont il lui transmettait le plan. Cet ambassadeur, très-bien accueilli d'abord à la cour de Téhéran, ne tarda pas à y rencontrer de grandes résistances. Il vit arriver bientôt un antagoniste redoutable 1 Voir les notes à la fin du volume.

dans la personne de sir John Malcolm, envoyé par le gouvernement anglais pour contrecarrer ses démarches. La lutte ne fut pas de longue durée. Soit que M. Gardanne fût moins persuasif que M. Malcolm, soit que les moyens employés par ce dernier eussent plus de valeur aux yeux des Persans que ceux moins sonores (3) mis en œuvre par le général, il arriva que celui-ci échoua presque complétement dans sa mission. Les Anglais restèrent maîtres du terrain.

Ce résultat n'a rien qui doive étonner. La forte position que les Anglais avaient prise dans l'Inde, leur voisinage de la Perse, leur marine qui pouvait inquiéter les côtes du royaume dans le golfe Persique et s'emparer, presque sans coup férir, de plusieurs points du littoral, leur donnaient nécessairement dans les relations diploma-tiques avec ce pays une prépondérance contre laquelle la France ne pouvait lutter avec avantage. Malgré ses victoires récentes d'Austerlitz et d'léna, les Persans comprenaient très-bien qu'ils avaient tout à redouter de leurs dangereux voisins, sans avoir rien à espérer de la France trop éloignée pour leur prêter le moindre secours.

Depuis l'année 1809, que les derniers attachés à la mission de M. le général Gardanne avaient quitté la Perse, aucun diplomate français n'avait été dirigé vers ce pays. Trente ans s'étaient écoulés sans qu'aucune relation diplomatique eût été renouée entre la France et la Perse. Cependant les intérêts de la politique européenne en Orient avaient grandi pendant ce laps de temps. La longue paix dont l'Europe avait joui avait laissé aux Russes et aux Anglais le loisir de gagner du terrain aux deux extrémités de l'Asie. Au nord, la Russie avait fait des progrès considérables. Les défilés de la Circassie, défendus pied à pied par ses héroïques guerriers, avaient été forcés. L'aigle russe avait pris son vol des cimes les plus élevées du Caucase et était venue s'abattre sur les plaines de la Géorgie. Dans l'est, l'Angleterre avait marché à pas de géant. Elle s'était avancée jusqu'au delà de l'Hymalaïa, d'où elle menaçait le Pendjâb, que la mort de Rundjet - Sing devait faire tomber dans ses mains, et l'Affghanistân où elle entretenait

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des intrigues qui, en favorisant tour à tour les ambitions des divers princes de ce pays, devaient y entretenir la guerre civile à l'aide de laquelle elle espérait en devenir maîtresse, dans un espace de temps qu'elle calculait avec une sorte de précision machiavélique.

Depuis longtemps la France jouissait d'une grande prospérité. Son gouvernement se raffermissait de jour en jour à l'intérieur. La vue de ses hommes d'État pouvait, avec plus de liberté, s'étendre au loin. Son pavillon, honorablement promené sur toutes les mers, avait été successivement arboré sur tous les rivages où les intérêts du commerce appelaient de nouveaux établissements. La Perse seule était restée en dehors du cercle sur tous les points duquel la France se trouvait représentée. Cependant ce vaste pays, peu producteur, exploité presque exclusivement par les Anglais, pouvait offrir des débouchés nouveaux à l'industrie française ; il était donc désirable de lui ouvrir les portes de ses bazars. Mais, pour cela, il était indispensable de reprendre avec le gouvernement de la Perse les relations au point où elles étaient restées; il fallait faire un traité dont les bases devaient être dignes de la France, et par lequel on assurerait les droits de ses nationaux qui viendraient s'établir et trafiquer en Perse. En un mot, la France avait à prendre pied dans un pays où elle était demeurée trop longtemps en oubli.

Pour atteindre ce but, il était nécessaire d'envoyer au Châh un ambassadeur chargé de lui demander la faveur d'entretenir avec son gouvernement des relations diplomatiques nouvelles, dont le premier acte devait être de réclamer, pour les Français qui formeraient des établissements dans son royaume, des droits égaux à ceux dont jouissaient les sujets des nations les plus favorisées.

Indépendamment des raisons déterminantes que le gouvernement français trouvait dans ces questions politiques et commerciales, il en était d'autres qui tenaient à plusieurs circonstances du moment, paraissant favorables. L'une d'elles était le différend qui, à la suite, ou plutôt à cause du siége d'Herat, s'était élevé entre le Châh et le

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