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qui porte le nom d'Abbas-Abad. Elle est traversée dans toute sa longueur par un torrent. L'impétuosité de ses eaux dit assez qu'il descend par une pente rapide des sommets de la montagne, couverts d'une neige éternelle. On remonte ce ravin en passant plusieurs fois le torrent qui serpente au milieu de nombreux vergers parfaitement cultivés, plantés de vignes et d'arbres fruitiers de toute espèce.

Le charme et la fraîcheur de cette vallée faisaient, à la fin de juin, un agréable contraste avec la chaleur de la plaine. Au lieu de cet air de feu et de ce vent qui semble pousser la mort devant lui dans les campagnes brûlées que nous avions traversées, nous trouvions là une température printanière qui ranimait les êtres et la végétation de son souffle vivifiant. Mais, au fur et à mesure que nous montions, la riante verdure des jardins faisait place à des rocs sauvages que blanchissait encore une neige épaisse. Des roches escarpées se rapprochaient et ne laissaient plus qu'un passage étroit aux eaux qui, arrêtées par elles et furieuses, bondissaient de l'une à l'autre avec un fracas assourdissant.

Il n'y avait plus de chemin tracé, il fallait escalader les rochers. Nos guides nous en firent remarquer un partagé en deux, disaient-ils, avec un accent pénétré de vénération, par Ali, leur grand Imâm, qui l'avait fendu d'un coup de son cimeterre.-Les Persans ont une foule de fables de cette force, qu'ils débitent avec un imperturbable sang-froid et une religieuse crédulité.—Quelques jours avant, on m'avait fait remarquer, sur la route que nous suivions, une pierre sur laquelle était une trace profonde ayant la forme d'un gigantesque fer de cheval. Il n'en fallut pas davantage pour l'attribuer aussi au sabot du coursier d'Ali.

Après mille obstacles produits par la nature des lieux, nous arrivâmes enfin à un espace peu étendu, mais dégagé, situé à environ cinq kilomètres de l'entrée de cette gorge. Là, au pied d'une cascade qui se précipite du haut des sommets successifs d'une suite de pyramides gigantesques de granit, entre lesquelles le soleil cherche vainement à fondre la neige, est un rocher sur la face méridionale duquel sont plusieurs tablettes d'inscriptions. Après les difficultés qu'il faut vaincre pour arriver en ce lieu, on se demande pourquoi et dans quel but les anciens y avaient placé ces caractères. Dans ce site sauvage, il n'y a point d'autre apparence du séjour des hommes; il ne semble pouvoir être hanté que par les bêtes fauves et les oiseaux de proie; et si quelque chose a pu y attirer dans l'antiquité, comme dans les temps modernes, cela n'a dû être que le désir d'y venir chercher la fraîcheur et la solitude. Sans doute ces inscriptions auront été gravées là par l'ordre de l'un des monarques qui y trouva cette double jouissance, et voulut y perpétuer le souvenir des excursions qu'il y faisait loin de la pompe et du faste de sa cour. -Les Persans appellent ces inscriptions Guintch-Nȧmèh. Ils entendent par là qu'elles indiquent l'endroit où est caché de l'argent; d'où ils concluent, avec assez de logique, que nous ne les recherchons qu'afin de trouver le trésor.

Nous passâmes là plusieurs heures sans pouvoir copier tout; il fallut y retourner le lendemain. Nous emportâmes cette fois ce qui était nécessaire pour faire un estampage. Nous espérions pouvoir ainsi, indépendamment de nos copies, avoir un fac-simile des monuments mêmes. Mais cela ne fut pas possible. Nous nous contentâmes, en con

séquence, d'achever exactement la copie de ces textes antiques

Pendant que M. Coste et moi nous nous livrions à ce travail difficile, nos Persans s'étaient retirés dans un creux de rochers au-dessus de la cascade, pour causer et déjeuner à leur aise. Nous avions emmené, pour nous servir de guide, un Arménien qui avait, sous les plis de son Abbah, ou grand manteau, emporté une énorme bouteille d'arak, eau-de-vie anisée du pays. Loin des regards de leurs coreligionnaires, dans ce petit coin oublié des hommes et des Mollahs, nos Musulmans s'étaient laissé entraîner à enfreindre les préceptes de Mahomet. La dame-jeanne, passée de mains en mains, s'était vidée, et, Chrétiens ou Musulmans, tous étaient ivres.

Nous n'avions plus d'intérêt à prolonger notre séjour à Hamadan, et nous voulions en partir dès le 15. Mais la difficulté de remplacer notre malencontreux tchervâdar d'Ispahan nous fit, malgré nous, retarder notre départ jusqu'au 17. - - J'employai le temps qui nous restait jusque-là à chercher encore de tous côtés quelque chose qui eût un intérêt quelconque.

On m'avait indiqué une source d'eau, à laquelle on attribuait des propriétés hygiéniques. Je la visitai, et je fus très-étonné de la trouver excessivement froide. Elle n'avait pas plus de deux ou trois degrés au-dessus de zéro, et nous étions au milieu de juin. Cette fontaine singulière était le gagne-pain d'un pauvre homme qui l'avait entourée d'un mur et couverte d'une coupole. On y prenait des bains qui, dans l'été, étaient fort appréciés par les Hamadanis. Il est douteux cependant qu'outre la jouissance que

les baigneurs éprouvaient à y rafraîchir leur corps, ils pussent en ressentir aucun bien pour leur santé. Néanmoins, et par curiosité de la sensation procurée par un bain aussi froid, j'en pris un auquel je trouvai une vertu tonique et réconfortante qui me sembla devoir combattre les effets énervants de la chaleur.

CHAPITRE XXV.

Départ d'Hamadân. - Mauvaise rencontre. - Kingavar. - Ancien temple de Konkabar. Tombeau antique à Sahnèh. Marécages. Arrivée à Bi-Sutoun.

Le 17 juin nous sortîmes d'Hamadân, à 7 heures du matin, après mille ennuis de toutes sortes et des contestations sans fin avec un nouveau tchervadâr. Les difficultés soulevées par cet homme tenaient à ce que, contrairement aux habitudes du pays, nous voulions le prendre au jour, au lieu de le retenir seulement pour transporter nos bagages à un point donné. Devant séjourner à Bi-Sutoun, à Kermancháh, à Serpoul, pour étudier les ruines de ces localités, il nous convenait mieux, en effet, d'avoir des mules à nos ordres et de les garder indéfiniment. Mais cet arrangement insolite était un prétexte pour soulever des prétentions et des exigences qui donnaient lieu à des négociations interminables. Nous parvînmes cependant, après bien des peines, à nous entendre, et nous partimes.

Nous nous dirigeâmes vers l'Ouest, à travers une campagne qui, semblable à celle que nous avions déjà vue en venant

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