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l'avaient poussé vers l'Asie pour y chercher fortune. De position en position, il était arrivé à obtenir à la cour du Chah, celle de général du génie. Derrière M. Seminot s'avançait une troupe considérable de cavaliers; ceux qui marchaient en avant portaient de riches costumes. A leurs magnifiques robes de cachemire, jetées par-dessus de petites redingotes à la franque, nous les reconnûmes pour des personnages d'un rang élevé. En effet, c'étaient des ChahZadèhs que le Roi envoyait pour complimenter de sa part l'Elchi-Bey. Ils s'en acquittèrent d'une façon excessivement gracieuse; ils allongeaient d'interminables flatteries sur le bonheur que l'Iran ressentait à avoir pour hôte l'ambassadeur du roi de France. Tout en débitant leurs compliments, du reste parfaitement tournés, les princes nous conduisirent vers des tentes dressées sur le bord de la route, à l'entrée desquelles ils nous firent mettre pied à terre. Dans ces tentes on avait installé des tapis et des coussins pour nous asseoir autour de plusieurs plateaux chargés de friandises. Quand nous fùmes tous rangés en cercle, les compliments recommencèrent de plus belle et s'échangèrent, dans le langage le plus aimable et le plus fleuri, entre les Châh-Zadèhs et l'ambassadeur, avec le secours de l'interprète. M. Kazimirski paraissait s'acquitter de son rôle avec beaucoup d'intelligence et de savoir, car les beli, les khoûb, khaïli-khoûb des Persans, c'est-à-dire bien, très-bien, et la manière dont ils l'écoutaient, nous prouvaient qu'ils étaient très-satisfaits des traductions, probablement un peu amplifiées, qu'il leur faisait des paroles de l'Elchi. Après que les pâtisseries, le thé, le café et les kalioûns eurent suffisamment circulé ; après l'échange de toutes les politesses que comportent la réception

d'un envoyé diplomatique et les mœurs persanes, nous remontâmes à cheval, escortés des princes et de plus de trois cents cavaliers.

Au fur et à mesure que nous avancions vers la ville, la foule grossissait et les piétons se mêlaient aux chevaux. Les goulams qui ouvraient la marche avaient beaucoup de peine à faire place à notre cortége qui produisait un effet trèsimposant et paraissait inspirer à la multitude une considération toute respectueuse.

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En approchant d'Ispahan, sa silhouette incertaine, que nous cherchions à voir de Guez, prit peu à pen des formes plus distinctes. La teinte bleuâtre et vaporeuse, dans laquelle se confondaient les divers plans, se nuança selon les couleurs qui leur étaient propres.

Cette ville nous parut avoir une très-grande étendue. Mais, comme toutes celles que nous connaissions déjà, le peu de hauteur de ses édifices l'empêchait de se présenter sous un aspect grandiose. C'était donc une longue ligne de constructions basses en avant desquelles s'allongeait une muraille grise, et que surmontaient çà et là quelques dômes avec quelques minarets émaillés. Des groupes d'arbres clairsemés ajoutaient, par intervalles, leur verdure aux tons de ce tableau qui avait pour fond de grandes montagnes âpres et sévères très-rapprochées. Le soleil ne les éclairait plus de notre côté, tandis que ses rayons frappaient de toute leur ardeur les coupoles luisantes des mosquées miroitant

au travers d'une poussière d'or dont toute la ville semblait enveloppée. Ispahan, tout lumineux et reflété, ressortait merveilleusement sur le bleu sombre des pentes du Roustâm-Khoû.

La campagne qui s'étendait jusqu'au pied des murs était peu cultivée là où nous passâmes. Des ruines de villages accusaient l'émigration de la population qui s'en était retirée.

Il était deux heures quand nous atteignîmes la première porte de ville.-Là un concours immense de peuple, de gens de toutes sortes et de toutes classes, nous attendait. Nous y rencontrâmes aussi une escouade d'officiers royaux, les Nazaktchis du Châh, espèce d'exécuteurs de ses volontés, ou de hérauts qui assistent près de lui à toutes les cérémonies et lui forment une avant-garde quand il change de place; ils étaient vêtus de longues robes rouges traînantes, et avaient sur la tête un turban très-élevé formé d'un châle également rouge. Après les saluts d'usage, ils se mirent sur deux rangs et, précédés du Nazaktchi-bachi armé d'une longue baguette, ils ouvrirent la marche de ce pompeux cortége.

Ce fut ainsi, entourés et pressés par les gens du roi et la population d'Ispahan, que nous fimes, le 5 avril 1840, notre entrée dans cette grande et belle ville.

Après avoir dépassé la première porte, qui n'offre rien de remarquable, nous nous trouvâmes engagés dans une espèce de longue rue plantée d'arbres. Elle est bordée, de chaque côté, de longs murs qui nous parurent clore des jardins dont les vignes et les figuiers jetaient leurs rameaux de notre côté. Leur vigueur et leur précocité nous prouvaient que le printemps d'Ispahan était commencé depuis longtemps. De distance en distance, nous passions devant des bassins;

mais les grandes herbes qui les envahissaient nous disaient assez que l'eau n'y venait guère. En effet, nos yeux étaient frappés de l'air d'abandon et de ruine répandu partout.

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Vers le milieu de cette avenue, se voyait une charmante petite mosquée qui me parut être un bijou de l'architecture persane. Pourquoi fallait-il qu'en admirant sa structure et les dessins variés de ses émaux, nous eussions le regret de voir déjà ses abords semés de décombres? — Cette mosquée s'appelle Baba-Souctah ou le Père-Brûlé. Je n'ai pu savoir l'origine de ce surnom. Non-seulement la coupole et le minaret sont couverts de briques émaillées, mais encore toutes les faces de cet édifice étaient, de haut en bas, revêtues de la même manière. Aujourd'hui ces revêtements sont très-endommagés et la brique ordinaire des murs s'aperçoit de tous côtés. On peut néanmoins juger encore l'effet de cette ornementation élégante de grandes étoiles vertes et blanches se dessinent sur le fond azuré du dôme au-dessus duquel, entre des bandes bleues, se lit une inscription dont les caractères en blanc, sur un fond vert, font le tour de la frise. Le minaret, qui est d'une forme extrêmement gracieuse et svelte, présente une suite de spirales vertes et blanches qui s'enroulent autour de sa surface d'émail bleu.

Il était impossible d'avoir, par un monument plus délicat et plus gracieux, un avant-goût plus séduisant des splendides mosquées qu'Ispahan doit à ses monarques Sophis.

Après avoir dépassé celle-ci, entraînés par notre cortége, nous trouvâmes, au bout de la longue allée que nous suivions, une seconde porte flanquée de deux lions de marbre grossièrement sculptés. C'était là que commençait Après quelques pas faits dans une

réellement la ville.

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