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plus heureuse que d'autres, peut-être faut-il l'attribuer à ce que, plus rapprochée de la capitale et sous les yeux du Châh, elle est, plus que d'autres, ménagée par la rapacité de ceux à qui son administration est confiée.

De tous côtés s'élevaient des monticules, que les Persans appellent Tepèh, ou Tell. Ces éminences sont aujourd'hui isolées et sans objet. Les habitants y attachent plusieurs idées celle du culte du feu, au temps de la religion ignicole, et celle de postes militaires. Rien d'ailleurs n'indique que l'une ou l'autre de ces explications soit juste; la dernière cependant paraît assez probable. On conçoit, en effet, que, dans les guerres de conquête et d'usurpation qui ont désolé, dans les derniers siècles, principalement le nord de la Perse, les envahisseurs du pays aient eu besoin, pour le surveiller et le garder, d'établir des petits forts de distance en distance. Leur élévation, au milieu de ces vastes plaines, les mettait à l'abri d'un coup de main, en même temps qu'elle donnait à leurs garnisons les moyens de se prévenir mutuellement des dangers qui pouvaient les menacer.

Nous étions encore à plus d'une farsak de Kazbin, dont nous apercevions les dômes et les minarets, quand nous vîmes déboucher tout à coup, en face de nous, une troupe de cavaliers. C'était une députation d'honneur qu'envoyait le Beglier-Bey au-devant de l'ambassade. Le Vekil du gouverneur marchait en tête, accompagné de tous les hauts fonctionnaires; ils étaient entourés par une cavalerie nombreuse, qui nous escorta en se livrant à ses jeux favoris du Djerid et de combats simulés. Les fréquentes décharges de mousqueterie que faisaient ces cavaliers, en courant à toute bride, témoignaient de la considération qu'ils avaient pour

l'ambassade. Nous fûmes tout à fait ravis de la manière honorable dont on nous accueillait, quand nous vîmes aux portes de la ville une population immense, que de doubles haies de Serbas avaient peine à contenir. Le prince résidant à Kazbin, désireux de nous faire honneur selon les usages, avait donné l'ordre à tous les gens du bazar de quitter leurs boutiques et leurs ateliers pour aller au-devant de l'Elchi. Ils étaient, comme dans les grands jours, armés de pied en cap; les uns avaient leurs sabres et des pistolets dans la ceinture; les autres portaient sur leurs épaules des fusils à mèche ou de fortes massues en bois, garnies de pointes de fer, avec des boucliers. Il n'y avait pas jusqu'aux femmes qui ne fussent venues, et qui, pour satisfaire leur curiosité, n'eussent enfreint la loi sévère du harem.

CHAPITRE XIII.

-

Entrée à Kazbin. - Description de cette ville. - Imâm-Husseïn.
- Solimanyèh.- Courses de chevaux. Kent.. Grande dispute.
du Chah. Istakball.

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Arrivée à Téhérân.

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Ce fut au milieu de ce concours de peuple, de cette foule bigarrée de costumes de toutes couleurs, d'accoutrements de tous genres, que nous fimes notre entrée à Kazbin. Entourés, comme je l'ai dit, des cavaliers et des officiers du ChahZadèh, nous étions précédés par un nombre considérable d'hommes armés. On voyait, à leur tournure et à leurs armes, que ce n'étaient point des soldats réguliers, et qu'ils étaient sortis de leurs habitudes pour venir nous faire honneur. Ces pauvres gens, tous artisans ou marchands, arrachés à leurs occupations et à leurs boutiques, se prêtaient, du reste, d'assez bonne grâce, à la cérémonie dont ils faisaient les frais. Il fallait leur en savoir d'autant plus de gré, qu'il n'était pas certain qu'ils partageassent complétement la courtoisie tout à fait exceptionnelle avec laquelle le gouverneur nous accueillait. Peut-être bien les mots de Allah et Ali, que nous entendions sortir de côté et d'autre du milieu des groupes, étaient-ils des invocations de pénitence prononcées

à voix basse par les plus fanatiques, honteux de céder à l'autorité du prince plutôt qu'à leurs préjugés.

Mais ces expressions de repentir qui auraient pu nous blesser, si nous en avions bien compris la portée, étaient étouffées par le bruit du canon passant par-dessus la foule. Son roulement prolongé semblait bondir sur ces mille têtes, et nous arriver en refoulant leurs pensées peu sympathiques. Pour nous rendre au logement que le prince avait fait préparer pour nous, nous traversâmes la ville presque tout entière, au milieu de la multitude grossissant, à chaque pas, des curieux et de ceux qui s'étaient trouvés en retard pour venir au-devant de l'ambassadeur. Nous suivions de grandes et larges rues, beaucoup plus spacieuses et plus droites qu'aucune de celles que nous avions vues dans les villes précédentes. L'une d'elles surtout, qui aboutissait à la grande porte du palais, était vraiment remarquable par ses proportions. Longue de sept à huit cents pas et large de soixantedix, deux longues lignes d'arbres parallèles ombrageaient les boutiques qui la bordaient de chaque côté. Les édifices que nous avions entrevus dans cette première course nous donnèrent une idée avantageuse de cette ville, que je visitai plus en détail, grâce au jour de repos que nous y prîmes.

Kazbin est située au fond d'une immense plaine, presque au pied de la chaîne de l'Elbours qui s'étend jusqu'à Téhérân. Ces montagnes séparent l'Irak-Adjemi des provinces qui bordent la mer Caspienne. Quelques géographes ont voulu voir dans Kazbin l'ancienne Arsacie, capitale des rois parthes; d'autres la Rhagès dont il est question dans l'Écriture. Des historiens persans ont écrit qu'elle avait été fondée par Châ

pour qui lui donna son nom. On verra plus tard que les restes de la ville de Châpour sont au sud de la Perse, dans la province de Fars, et que ceux de Rhagès, aujourd'hui Rhey, sont également attestés par une immense étendue couverte de décombres, dans le voisinage de Téhérân. Quoi qu'il en soit de l'antiquité apocryphe de Kazbin, je dois dire que je n'ai retrouvé, ni dans son enceinte, ni dans ses environs, aucuns vestiges qui aient pu appartenir à d'anciens édifices. Il faudra donc se contenter de faire remonter, selon la tradition la plus digne de foi, l'origine de cette grande cité au VIII° siècle de notre ère, en l'attribuant à Haroun-el-Rechid. Ce prince voulut en faire une place de guerre et un puissant rempart contre les Hyrcaniens et les Dilémites, qui ravageaient cette belle province de l'empire des Khalifes.

Kazbin eut, ainsi que Sultanyèh, sous les Monghols, et Tabriz, sous Châh-Ismaïl, l'honneur d'être la capitale du royaume de Perse. Lorsque les Turcs se furent emparés de la dernière de ces villes, Châh-Thamas établit sa résidence à Kazbin, vers le milieu du xvI° siècle. Elle resta celle des successeurs de ce monarque jusqu'à l'avénement de ChâhAbbas-le-Grand qui transporta à Ispahan le siége du royaume. Depuis, elle fut, à différentes fois, le séjour des rois de Perse, mais temporairement. On lui a conservé, à cause de cela, le nom de Dar-el-Seltenet, ou siége de la royauté.

Les phases de l'existence de cette ville furent très-diverses; elle dut nécessairement s'en ressentir. Souvent ravagée par les guerres, remuée par les tremblements de terre, on conçoit qu'elle n'a pu conserver un cachet originel.. Plusieurs fois reconstruite, ses édifices ne sont pas d'ancienne date.

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