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laissèrent passer. Nous en fûmes quittes pour la peur d'aller coucher au violon d'un corps de garde persan, et je rentrai chez moi, aussi content de ma soirée que fier de pouvoir raconter à mes camarades les féeries que j'avais vues.

CHAPITRE X.

Visite du Cheik-elCauses de sa ruine.

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- Son

M. Boré.
Islam.
commerce. Sa population.

Fondation d'une école française.- Instructeurs.

· Diners persans.

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Origine de Tabriz.
Sa langue.

Nous avions trouvé à Tabriz plusieurs Français qui y formaient une petite colonie à la tête de laquelle était M. Eug. Boré, installé dans cette ville depuis un an environ. Après un long voyage et des recherches dans le pays des Chaldéens, qui avaient conduit ce savant explorateur jusqu'aux bords du lac d'Ourmyah, il était venu s'arrêter dans la capitale de l'Azerbaïdjân. Tout ce que M. Boré avait vu sur sa route, tout ce qu'il avait recueilli sur les populations de ces contrées, lui avait fait désirer de leur prêter le flambeau de la civilisation en le tenant lui-même de sa main habile.

En conséquence, il avait, dès le mois de janvier 1839, préparé ce qu'il appelait une université humanitaire à Tabriz. La langue française devait en être la base, et il espérait, par son intermédiaire, communiquer aux Persans les connaissances européennes. Pour atteindre le noble but qu'il se proposait, il ne faisait exclusion de personne, et appelait au bénéfice de son enseignement toutes les religions, tous les dissidents. Il ne s'agissait point alors, pour M. Boré,

de faire du prosélytisme religieux. Il s'en reposait sur l'instruction pour détruire d'elle-même l'ignorance et les préjugés du mahométisme, aussi bien que l'erreur ou les fausses doctrines des chrétiens schismatiques. A son arrivée en Perse, et à son début, il posait donc une sage limite à son zèle de chrétien. Mais peu à peu la solitude, la vie contemplative à laquelle le condamnait son isolement, peut-être son contact avec les Arméniens schismatiques, exaltèrent ses idées religieuses, et l'esprit de propagande catholique remplaça la neutralité qu'il s'était imposée d'abord; c'est au moins ce qu'on devait penser en l'entendant lui-même se dire Pèlerin de la foi, plus encore que de la science.

Ses idées ainsi modifiées, il était impossible que ses plans ne le fussent pas. Une éducation laïque ne pouvait plus le satisfaire, et il pensa à la faire répandre en Perse par le secours des pères Lazaristes qui avaient un couvent à Constantinople. Ce fut dans cette vue qu'il demanda au gouvernement du Châh des concessions fort difficiles à obtenir, et en échange desquelles il offrait d'instruire gratuitement vingt jeunes gens choisis. Mais les Persans ne sont pas gens à apprécier les avantages que présentaient les offres de M. Boré, à un assez haut degré pour faire violence à leurs préjugés. Cette négociation fut sans résultat.

Cependant le prince Malek-Khassem-Mirza, qui était alors à Tabriz, était trop intelligent et trop porté vers les connaissances européennes, pour ne pas prendre sous sa protection l'œuvre de M. Boré. Aussi, notre compatriote trouvat-il dans ce Chahzadeh un protecteur zélé. Il dut à son intervention bienveillante de voir d'une façon inattendue s'aplanir les difficultés que l'établissement de son école ren

contrait. Il obtint des firmans conçus dans des termes tout à fait neufs, inusités, et qui semblaient de nature à faire prospérer son entreprise civilisatrice.

Les choses en étaient là quand nous arrivâmes à Tabriz. M. Boré avait déjà réuni dans son école quelques jeunes gens de la ville, et, plein d'espoir dans l'avenir de la mission qu'il s'était donnée, il pensait à l'étendre plus loin. La venue d'une ambassade française ne pouvait que le fortifier dans ses projets, en lui offrant l'appui d'une protection puissante. Ses forces s'en trouvèrent accrues, et son courage doublé. L'Azerbaïdjan ne suffit plus à sa propagande, et, résolu de la faire circuler dans toutes les parties de la Perse, il conçut le projet de déterminer un centre pour son rayonnement. Aucun point ne pouvait convenir mieux qu'Ispahan, qui était le centre du royaume. Il le choisit donc et se proposa de partir avec nous pour cette ville.

Les autres compatriotes que nous trouvâmes à Tabriz étaient des sous-officiers qui, à la suite de Husseïn-Khân, et sur les promesses de cet envoyé du Châh, en France, avaient quitté leurs régiments pour venir instruire les troupes persanes. Ils se plaignaient amèrement de tout ce qu'ils avaient eu à souffrir pendant leur voyage, de la hatıteur et de la mauvaise foi de Husseïn-Khân. Loin de remplir les engagements qu'il avait contractés envers eux, au nom de son gouvernement, il ne satisfaisait même pas à leurs premiers besoins. Leur solde était arriérée de plusieurs mois, et nous les vîmes dans un dénuement révoltant. Leur position et l'intérêt qu'ils excitèrent parmi nous tous, furent l'objet de la première affaire qu'eut à traiter l'ambassadeur. Mais que de paroles pressantes d'un côté, que de promesses

éludées de l'autre ! L'ambassadeur ne connaissait point encore tout ce qu'il y a de mauvaise foi sur la langue d'un Persan; il ne savait pas non plus que rien, en Perse, ne se paie intégralement et à son échéance. Il ignorait surtout, à son arrivée dans ce pays, les intrigues de toutes sortes qui devaient empêcher d'utiliser les services que des instructeurs européens pouvaient rendre à l'armée persane.

Les obstacles que ceux-ci rencontraient étaient de plusieurs natures et partaient de plusieurs points. La politique russe était en première ligne. Il ne pouvait convenir au Gouvernement impérial que les soldats persans, braves et naturellement disciplinés, complétassent leurs qualités militaires en acquérant celles que leur donnerait une éducation faite par des Français. Les Anglais, qui avaient aidé Abbas-Mirza dans la guerre qu'il soutint contre les Russes, afin de les empêcher de s'emparer de la Géorgie, ne se souciaient plus, alors que cette conquête était consommée, de voir les Persans devenir meilleurs soldats. Les différends qu'ils avaient eus avec le Châh, à propos du siége d'Hérat, et ceux qu'ils pouvaient avoir dans la suite, à cause des envahissements qu'ils préméditaient dans l'Affghanistân, leur faisaient redouter tout ce qui pouvait ajouter aux forces militaires de la Perse. On comprendra que le zèle des jeunes sous-officiers amenés par Husseïn-Khân, ainsi que la diplomatie française, étaient entravés par d'aussi puissants obstacles, et que plus tard ils devaient se briser complétement contre eux. (19)

A ces causes de refus d'employer les talents des instructeurs français venait se joindre l'orgueil des chefs de l'armée persane. Les généraux, comme les autres officiers, crai

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