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VOYAGE EN PERSE

CHAPITRE PREMIER.

Départ de Toulon.- Relâches à Palerme, Messine, Agosta, Milo, Athènes.- Visite au roi Othon. Dardanelles. - Arrivée à Constantinople.- La Belle - Poule et le prince de Joinville. Visite au sultan Abdoul-Medjid. — Départ de Constan

tinople. Le Bosphore. Trébizonde.

- La Mer Noire. Relâche à Sinope. - Arrivée à

Le jour du départ approchait. Le bâtiment qui devait porter tous les membres de l'ambassade attendait à Toulon. Il fallut s'y rendre sans retard. C'était le point de ralliement où chacun de nous devait se trouver à l'heure de l'embarquement.

Le Véloce était le navire à vapeur désigné pour nous porter à Constantinople. Bien que ce bâtiment fût d'une très-grande dimension, comme il était disposé pour la guerre, son aménagement n'était, en aucune façon, propre à recevoir des passagers. Ce ne fut pas sans peine que son commandant, M. Beichameil, résolut le problème de loger le nombreux personnel de l'ambassade. Pour qui connaît le peu d'espace qui se trouve à bord d'un bateau à vapeur, dans l'étroit carré compris entre celui des officiers du bord et la chaudière, il sera facile de comprendre à combien de difficultés donnaient lieu les combinaisons à faire pour improviser là

de petites chambres, et y loger une quinzaine de personnes. Ces préparatifs exigèrent quelques jours pendant lesquels nous restâmes à Toulon, très-impatients de partir.

Enfin, le 30 octobre, à cinq heures du soir, plusieurs canots quittèrent le quai, se dirigeant sur le Véloce.

Tous les membres de l'ambassade s'y trouvèrent bientôt réunis sur le pont. Ils regardaient déjà du côté de l'Orient et disaient gaîment adieu à la côte de France, peu soucieux encore de l'avenir qui devait apporter tant de fatigues et de peines.

Trois ou quatre seulement parmi nous avaient eu des relations ensemble; les autres étaient tout à fait inconnus de leurs compagnons de voyage. Nous allions tous partir et vivre en commun pendant bien des mois; comme il arrive en pareille circonstance et entre jeunes gens, la glace fut bientôt rompue.

Le temps s'était, depuis le matin, préparé à nous mal recevoir en haute mer. A peine avions-nous dépassé la grande rade, que nous l'éprouvâmes. Les moins solides s'empressèrent d'entrer dans leur chambre, si l'on peut appeler ainsi les six pieds cubes sans air ni lumière dans lesquels on nous avait entassés par quatre. Il y en eut pour jusqu'au lendemain à renoncer au plaisir de se retrouver sur le pont.

Le jour suivant la mer était très-houleuse. Nous étions arrivés à la hauteur du cap Corse, et nous longeâmes pendant toute cette journée la côte de l'île dont on apercevait, à une petite distance, les montagnes couvertes de neige. Les vents nous contrarièrent pendant plusieurs jours, et notre espérance de voir la Sicile vers la fin du quatrième se brisa contre les vagues énormes qui nous repoussaient loin d'elle.

Cependant, le 5 novembre au matin, à travers les éclairs d'un orage qui enveloppait la mer entière, nous commençâmes à distinguer la terre. Le cap Vito ne tarda pas à être reconnu. Nous doublâmes successivement plusieurs autres caps sans que l'orage cessât. Les heures s'écoulaient, et nous commencions à craindre de voir les ténèbres de la nuit succéder au jour blafard des éclairs, lorsque le cap San-Gallo vint enfin couronner les efforts du Véloce, en nous promettant Palerme, dont il protégeait la rade. Quelques nœuds encore et nous jetions l'ancre dans le port. Nous y restâmes deux jours. C'était peu pour la capitale de la Sicile, pour voir ses magnifiques monuments, sa belle cathédrale et ses palais, mais ce fut assez pour savoir que Palerme est la digne rivale de Naples, et peut-être le plus beau fleuron de la couronne des Deux-Siciles.

Le 7, nous quittâmes cette ville pour aller à Messine, où nous ne fîmes que toucher le 8.

Le 9, à la pointe du jour, nous levâmes l'ancre. Nous marchâmes tout le jour à petite distance de la côte. Nous reconnûmes successivement Taormina, Jassi, Catane, dont les dômes et les maisons blanches tranchaient sur les pentes verdoyantes de l'Etna. La cime du volcan, couverte de neige et surmontée de son panache de fumée, servait de fond au magnifique panorama qui se déroulait sous nos yeux.

Le soir, nous atteignîmes Agosta. Tous, mais principalement les officiers du bord, nous étions curieux de visiter ce petit port, célèbre par une des plus mémorables victoires qu'ait remportées la marine française. C'est dans les eaux d'Agosta, en effet, que, le 22 avril 1676, Duquesne livra aux flottes combinées d'Espagne et de Hollande, le brillant

combat dans lequel l'amiral Ruyter fut vaincu et blessé mortellement.

En partant d'Agosta, nous changeâmes de direction. Nous devions naviguer dans l'Est, afin de reconnaître le cap Matapan. Favorisés par un beau temps, nous traversâmes lestement l'embouchure du golfe Adriatique, et le troisième jour, 12, nous aperçûmes les côtes de Grèce. Nous entrâmes de bonne heure dans les eaux de l'Archipel, par le canal de Cerigo, l'ancienne Cythère, qui se trouvait à notre droite. Cette île n'est plus aujourd'hui qu'un rocher aride. Une plage rocailleuse et brûlée par le soleil a remplacé ses bosquets tant chantés par les poëtes. Plus d'ombrages mystérieux, plus de myrthes, de lauriers ni de roses; çà et là quelques herbes sauvages qui croissent péniblement dans les fentes des rochers telle est Cythère aujourd'hui.

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Le sillage du navire et la côte qui fuyait indiquaient que nous avancions rapidement vers Milo. Il fallait y prendre un Pilote, car les Grecs seuls, nés et habitués à vivre sur cette mer semée d'écueils, peuvent y naviguer sans crainte. Ce pilote devait nous mener au Pirée. Nous y entrâmes le 14 au matin.

Pressés de voir Athènes, nous ne fûmes pas longs à débarquer. Nous montâmes dans une petite calèche allemande, conduite par un Palikare. Pourquoi ce cocher était-il tout semblable à Canaris ou à Marc-Botzaris, ces héros de l'indépendance des Hellènes? Mais ne fallait-il pas nous habituer à voir même des Bavarois dans la ville de Périclès, comme on voit d'autres Allemands dans la patrie des Sforce et des Médicis?

Grâce à l'aiguillon dont notre moderne automédon était

armé, nous franchîmes lestement la grande plaine qui, du Pirée, s'étend jusqu'au pied de l'Acropole. L'ambassadeur nous avait accordé deux jours pour voir Athènes. Pour visiter les belles ruines du temple de Minerve, pour admirer les restes magnifiques de la patrie des arts, ces types qui en ont fait l'école du monde, deux jours, c'était bien peu. Cependant il fallut nous en contenter. Nous suppléâmes au temps qui nous manquait par la promptitude de nos courses. Nous vimes ce qu'il y avait de plus intéressant le temple de Thésée, celui de Jupiter, les Propylées, le Parthénon, l'Erecthéon, l'arc d'Adrien, le tombeau de Philopapus, et cette tribune célèbre du haut de laquelle Démosthènes lança contre le roi de Macédoine les foudres de ses éloquentes philippiques.

cœur,

:

Avant de partir, nous allâmes tous présenter nos hommages à Leurs Majestés le roi et la reine de Grèce, qui nous accueillirent avec une affabilité marquée. Nous emportâmes de cette visite la pensée que, si le roi Othon voulait être grec de il devait lui être facile de se faire aimer de son peuple. Le 17 au matin, nous appareillâmes par un vent frais et une mer houleuse. Les premières heures furent assez favorables à notre navigation. Nous eûmes bientôt laissé derrière nous les rivages de Salamine, et doublé le cap Sunium. Ses colonnes blanches ressortaient sur le ciel assombri dont les teintes noires nous présageaient un mauvais temps. En effet, la mer grossit de plus en plus, et des rafales de vent et de neige venaient incessamment battre la proue du navire. Il fallut chercher un abri que nous trouvâmes dans la petite baie de la Mandrie. La tempête nous y retint deux jours.

Le 20, la mer et le vent étaient tombés. La faible brise de

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