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CHAPITRE VIII.

Khoï. Le prince Mehemet-Rhaïm-Mirza.

le Châhzadèh. - Ah! vous dirai-je maman..... Départ de Khoï.

Diner envoyé à l'ambassadeur par

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d'Ourmyah. · M. Boré.

Instructeurs français. - Entrée à Tabriz.

Tout en regardant à droite et à gauche ces fantasias dont j'avais eu un avant-goût en Algérie, je cherchais des yeux Khoï qu'on nous avait annoncée comme une grande ville. Nous étions dans une plaine magnifique, bornée au loin par d'immenses et belles chaînes de montagnes. Devant nous s'étendait une longue muraille crénelée dont le ton brun tranchait fortement sur la blancheur de la neige; beaucoup d'arbres placés derrière surmontaient ses créneaux; mais, du reste, aucune maison, ni même aucun minaret n'accusaient là l'existence d'une ville. Nous traversâmes pourtant de larges fossés sur des ponts que dominaient d'un air assez martial des ouvrages de défense qui portaient l'empreinte de l'art européen.

En effet, lors de l'ambassade du général Gardanne, des officiers qui étaient à sa suite, et parmi lesquels figuraient MM. Trezel, Fabvier, Lami (17), avaient proposé des plans de fortifications au gouvernement persan. Ils ne

furent pas adoptés de suite; mais plus tard, avec son envie de bien faire, et, en même temps, son ignorance de la science militaire, le prince Abbas-Mirza, gouverneur de l'Azerbaïdjân, voulant défendre cette province contre les Russes, les fit exécuter en les modifiant. Il en était résulté que ces travaux, tout en valant mieux que ceux qui sont dus aux simples maçons du pays, étaient insuffisants pour protéger la ville contre un siége régulier fait par une armée européenne.

Nous passâmes une première porte, puis une seconde en retour, et nous nous trouvâmes dans les rues de la ville, où notre étonnement de ne point l'avoir aperçue de loin cessa quand nous pûmes voir de près les constructions. Toutes les maisons sont basses; elles n'ont qu'un rez-de-chaussée, et aucune ne s'élève même à la hauteur des murs d'enceinte. Contrairement à ce qui se voit dans les villes turques, les mosquées de celle-ci n'ont pas de minarets, et leurs coupoles s'élèvent à peine au-dessus des plus modestes maisons. Peu faits encore à l'usage persan de bâtir en briques, nous étions frappés de la monotonie et de la tristesse de l'aspect des rues dans lesquelles ne se voyaient d'ailleurs aucune fenêtre. Ces rues sont fort étroites, à l'exception de quelques-unes au milieu desquelles coulent des ruisseaux d'eau vive, ombragés par des saules dans toute leur longueur.

Autant qu'il est possible d'évaluer le chiffre d'une population en Orient, il faut porter celle de Khoï à environ vingt mille âmes. Elle a été, nous a-t-on dit, plus considérable jadis; mais les guerres civiles l'ont considérablement diminuée, notamment lors de l'usurpation des Kadjars. Les habitants passent pour être d'origine tartare, comme pres

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que tous ceux du nord de la Perse; mais parmi eux il y a un grand nombre d'Arméniens.

Le territoire de Khoï, que nous ne pouvions juger à cette époque de l'année, est un des plus fertiles du royaume, aussi est-ce un de ceux qui fournit au trésor du Châh un des plus forts tributs.

On ne peut savoir au juste quels sont les souvenirs historiques qui se rattachent à cette contrée. Les uns disent que c'est à Kerim-Khân le Zend, qui régna vers le milieu du siècle dernier, qu'il faut attribuer la première importance que prit Khoï comme cité. Il paraîtrait que les premières bases de son enceinte sont dues à ce prince; cependant ce point a dû, longtemps avant, au commencement du XVIe siècle, être un des plus importants de cette province. Ce fut là, en effet, que Châh-Ismaïl attendit l'armée du Sultan Selim Ier, pour lui livrer une bataille restée célèbre dans les fastes de la Perse.

Ce fut au milieu d'un grand concours de peuple accouru pour nous voir que nous fùmes conduits au logement que le prince avait fait préparer pour nous. Ce devait être autrefois un palais élégant, mais, alors tout délabré, il ne pouvait nous préserver que bien peu du froid, qui était toujours trèsintense. Au fond d'une vaste cour plantée de hauts platanes, dans laquelle un peloton d'infanterie avait été placé comme piquet d'honneur, s'élevait un édifice dont la façade indiquait plusieurs appartements. Les immenses vitrages qui leur servaient de fenêtres étaient composés de verres de couleur enchâssés dans un treillage de bois très-mince, sculpté et disposé avec beaucoup d'art, de manière à figurer des rosaces et d'autres dessins d'une combinaison gracieuse. Mais ces

fenêtres, qui étaient à coulisse et s'ouvraient de bas en haut, manquaient d'une très-grande partie de leurs carreaux que nous fumes obligés de remplacer par quelques morceaux de papier collés à la hâte. Cependant les cheminées dont ces appartements étaient munis et les énormes tas de bois que nous avions aperçus nous rassurèrent un peu.

Un nouveau personnage qui attendait l'ambassadeur l'introduisit dans l'appartement préparé pour lui. On y avait étendu de beaux tapis sur lesquels on avait placé une telle profusion de plateaux contenant du thé, des sorbets, des gâteaux, des bonbons et des fruits, qu'il nous fut. très-difficile de passer au milieu d'eux. Notre tenue de voyage, tant soit peu étoffée de pelisses et de fourrures, ne rendait pas notre circulation très-facile au milieu de toutes ces friandises persanes. De plus, nos grosses bottes couvertes de neige paraissaient être un objet de scandale pour nos hôtes habitués à traiter leurs tapis avec plus d'égards; mais nous n'avions pu encore adopter leur usage de laisser les chaussures à la porte. Néanmoins, nous fìmes comme eux, nous nous assîmes sur nos talons, faute de siéges, et goûtâmes, pour leur faire honneur, à toutes ces sucreries étalées devant nous. Nous n'en fûmes pas très-satisfaits; un goût de beurre un peu rance, de safran et de mauvais sucre mal raffiné, répondit mal aux essais qu'avec la meilleure volonté nous tentâmes successivement sur chaque plateau.

Peu après, un hachpass-bachi, ou cuisinier en chef du prince, parut dans la cour, précédé de gens portant des torches, et suivi par une douzaine de marmitons. Ceux-ci portaient t us sur la tête des plateaux recouverts de petits tapis à franges d'or, qui s'élevaient en cônes. Il en éma

nait un parfum culinaire auquel notre odorat n'était pas encore accoutumé, mais dont il ne laissa pas d'être flatté, vu que nous étions arrivés tard à Khoï, et que nous avions fait une longue route. C'était un dîner complet que nous envoyait le prince Mehemet-Rhaïm-Mirza. Le service se composait de plusieurs espèces de pilaus, ou plats de riz, aromatisés avec des épices ou des herbes; de viandes cuites dans des sauces assez bonnes, et de petits mets sucrés. Au milieu s'évasaient de grands bols de sorbets, ou cherbets, à la rose et au citron, dans lesquels nageaient de grandes cuillères en bois, très-creuses, dont les manches à jour étaient découpés comme de la dentelle. Ce dîner nous parut préférable aux pâtisseries.

Nazer-ali-Khân en faisait les honneurs avec beaucoup d'affabilité. Il disait avoir appris à Paris à bien boire, et l'on voyait qu'il avait avec succès continué une habitude qui semblait lui être très-douce. Le vin de l'ambassadeur avait mis le Meïmândar en gaieté, et après diverses historiettes qu'il nous raconta en écorchant cruellement quelques mots de français, il voulut nous prouver jusqu'où allaient sa mémoire et ses souvenirs, en nous chantant: Ah! vous dirai-je, maman..... Pour notre malheur, il se rappelait cet air jusqu'au bout, après trente-cinq ans, et il nous le répéta plusieurs fois, croyant sans doute flatter en même temps nos oreilles et notre patriotisme. C'était, du reste, à cette chanson et au goût du vin que paraissait se borner tout ce qu'il avait rapporté de la civilisation européenne. Mais, pour être tout à fait juste envers lui, il faut dire qu'il supportait l'un mieux qu'il ne chantait l'autre.

L'officier, qui avait attendu l'ambassadeur dans son loge

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