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deux heures que nous étions partis quand nous vimes venir à nous, au galop, deux cavaliers que, de loin, à leurs bonnets pointus, nous reconnûmes pour des Persans. Ils venaient au-devant de l'ambassadeur, le saluer et le prévenir que le fils et le neveu du gouverneur de la province de Perse limitrophe du territoire de Bayazid, l'attendaient à la frontière dont nous n'étions éloignés que d'une heure environ.

Nous fîmes une pause au village de Sulhân, à deux agatchs de Bayazid. Là, l'ambassadeur adressa ses remerciements aux deux officiers turcs Abdoullah-Bey et son compagnon, qui nous firent leurs adieux pour retourner auprès d'HafizPacha à qui ils portèrent un dernier témoignage de notre reconnaissance des soins hospitaliers dont il n'avait cessé d'entourer l'ambassade.

Au moment de passer d'un pays dans l'autre, nous changeâmes de guides, et nous suivîmes les deux Persans venus au-devant de nous. Nous quittions l'Arménie sans regrets; elle ne nous avait partout présenté qu'un aspect sauvage et triste, des montagnes rudes et difficiles, couvertes de neiges inabordables, une nature désolée, grande seulement de solitude, et des huttes inhospitalières peuplées d'habitants farouches. L'Arménie nous avait fait désirer la Perse; le moment était venu pour celle-ci de réaliser nos espérances.

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désagréable. Rencontre d'un Meïmandar. - Arrivée à Khoï.

Aventure

Ce fut le 11 janvier 1840, à trois heures de l'après-midi, que nous mîmes le pied sur le territoire de la Perse. A la limite des deux pays, une troupe de cavaliers nous attendait; elle avait pour chefs le fils et le neveu du commandant de la frontière, qui les avait envoyés au-devant de l'ambassadeur. Ces deux personnages portaient une espèce d'uniforme européen. L'un, qui était à peine âgé de quatorze ans, avait une petite redingote verte avec des boutons en argent, un collet et des parements en velours amarante. Il avait chargé ses épaules d'une paire d'épaulettes d'or, dont la grosseur démesurée était disproportionnée avec sa taille. A sa ceinture pendait un grand sabre soutenu par des agrafes en émail; ses petites jambes, enfermées dans de larges pantalons, se perdaient dans d'énormes bottes à cœur et à glands.

Le second avait le même costume, sauf que sa capote était en drap écarlate. Celui-ci avait le grade de colonel, quoiqu'il ne fût pas beaucoup plus âgé que l'autre.

Autour d'eux étaient groupés une centaine de cavaliers. Quand nous n'en fûmes plus qu'à quelques pas, les deux

jeunes gens se détachèrent de leur troupe, s'avancèrent vers l'ambassadeur et le complimentèrent de l'air le plus aimable, avec une aisance et une politesse qui nous charmèrent. Puis, nous invitant à les suivre, ils nous montrèrent un village qui n'était pas éloigné et où nous devions passer la nuit.

Pendant que les compliments s'échangeaient entre l'Elchi et les deux jeunes Persans, les cavaliers qui accompagnaient ceux-ci étaient restés immobiles et dans une attitude respectueuse. Ils nous avaient considérés avec des yeux où la curiosité la plus avide se mêlait à l'étonnement de voir des hommes d'un autre pays et habillés différemment qu'eux.

Au moment où les salamaleks (15) cessèrent, il se fit un grand mouvement dans cette masse d'hommes jusque-là compacte et immobile. Ils vinrent se ranger derrière nous, en nous débordant de chaque côté, de manière à former un grand arc de cercle; ce fut sous cette escorte que nous avançâmes sur les terres du Châh. Il faut dire que nous avions plutôt l'air d'être emmenés prisonniers par une troupe de brigands que d'être accompagnés par des gens qui voulaient rendre hommage à des étrangers de distinction. Leurs costumes étaient des plus bizarres et des plus pittoresques que nous eussions encore vus. Ainsi qu'il arrive à la limite de pays divers, ils portaient des vêtements particuliers à chacun d'eux; les Kurdes surtout se faisaient remarquer par la sauvage originalité de leur accoutrement. Ils avaient des vestes de couleur tranchante, bleu clair, rouge ou jaune vif, pardessus des gilets rayés serrés autour des reins par un châle ou par une large ceinture de cuir brodé. Sur leur hanche droite pendait un petit bouclier en peau de rhinocéros, bombé, dont le fond brun était orné de dessins en or, que le

temps et les coups reçus avaient fort endommagés; du côté gauche, ils avaient un sabre d'une courbure très arquée, sans garde, et dont la lame était enfermée dans un fourreau en peau de chagrin noir. Quelques-uns portaient dans leur ceinture, par derrière, un pistolet retenu au cou par un cordon en sautoir; à côté figuraient deux ou trois petits sacs en cuir qui renfermaient de la poudre et des balles. Leurs larges pantalons blancs flottaient sur le coude-pied, ou étaient serrés par de larges rubans au-dessus de la cheville. Les bottes des uns, comme les souliers des autres, se terminaient par une pointe allongée et relevée à la manière chinoise. Leur tête était couverte d'un haut bonnet pointu, en feutre fauve, ou d'une longue calotte autrefois rouge, que retenait sur le front un turban dont la couleur variait autant que la forme et l'ampleur. Une lance démesurée se balançait appuyée sur leur épaule; elle était faite d'un long bambou, terminée par un fer extrêmement effilé, autour duquel voltigeaient deux houpettes noires en plumes d'autruche.

Quelques Persans en costume plus grave se mêlaient à eux; ils se distinguaient par leurs longues robes sur lesquelles se drapaient d'amples manteaux à larges manches plissées jusqu'au coude, ou tombant sur le côté. Leur longue barbe semblait faire suite au bonnet pointu national en peau d'agneau noir qui couvrait leurs oreilles et devait être un excellent préservatif contre le froid. Ils portaient presque tous de longs fusils dont quelques-uns étaient à mèche; ils les tenaient suspendus, par la bretelle, à leur épaule ou devant eux en travers de leur selle.

Peu à peu cette masse, d'abord calme, s'ébranla, et quelques cavaliers se détachant, commencèrent à courir de droite

et de gauche, les uns en brandissant leur flexible bambou, les autres en maniant leur fusil avec beaucoup d'adresse ; puis ils se couraient sus, s'évitant, se rejoignant, exécutant avec la hardiesse d'excellents cavaliers, et une grande agilité, un simulacre de combat. On voyait un Kurde s'élancer à la poursuite d'un Persan, en le menaçant de sa lance qu'il agitait à la hauteur de son épaule; le Persan, couché sur sa monture, cherchait à éviter le coup, puis, se retournant sur ses étriers, en abandonnant les rênes à son cheval lancé, il lâchait un coup de fusil à son adversaire.—C'est ainsi que Quinte-Curte raconte que les Parthes combattaient, tirant toujours leurs flèches de loin, en fuyant.-Les cavaliers se croisaient en tous sens, se rapprochaient, se dispersaient pour se réunir et s'éparpiller de nouveau avec une étonnante promptitude.

On ne nous laissa pas ignorer que c'était une marque de grande distinction qu'ils nous donnaient ainsi. C'était pour nous rendre hommage qu'ils cherchaient à faire ressortir leur adresse, leur habileté et la souplesse de leurs chevaux, dont nous avions remarqué toute la docilité. Cependant, à voir certain sentiment de vanité et de contentement de soimême qui s'épanouissait sur la physionomie de quelques-uns de ces hommes, il était permis de croire que, si l'Elchi était pour quelque chose dans leurs exercices militaires, ils n'étaient pas fàchés de trouver une occasion de faire briller Ja supériorité qu'ils s'attribuaient dans ces sortes de passesd'armes.

Nous étions passés subitement des habitudes graves et indolentes des Turcs aux jeux animés et aux fanfaronnades des Persans. Nous ne pouvions pas ne point nous aperce

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