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UNE FAMILLE D'ARTISTES RURAUX

LES DIENIS DE FRESNAY

Au cours de nos recherches historiques dans les archives du pays, il nous a été donné, à plusieurs reprises, de relever des noms d'artistes, peintres et verriers, qui ont travaillé, aux XVII et XVIIIe siècles, à Fresnay ou dans les environs. La famille des Dienis mérite d'occuper une place spéciale parmi ces modestes artisans qui ont tant contribué, depuis la Renaissance, à la décoration de nos églises rurales. Nous sommes heureux de la faire connaître à tous ceux qui s'intéressent à l'histoire de l'art dans le Maine.

Il paraît établi, pour l'honneur de Fresnay, que les Dienis étaient originaires de cette cité.

Malheureusement, on ne peut préciser à quelle école ils appartenaient ni où ils se sont formés.

Nous n'avons pas la prétention de donner ici une biographie, mais nous pouvons poser quelques jalons et produire. quelques documents qui serviront, espérons-le, à compléter les recherches d'érudits plus privilégiés que nous.

Les noms des Dienis sont souvent cités dans les comptes des églises de Fresnay, d'Assé-le-Boisne et des paroisses voisines. Ils y sont désignés tantôt comme verriers, tantôt comme peintres.

L'art du peintre verrier, il est vrai, demande à la fois la science du dessinateur et celle du coloriste.

Peut-être la résurrection du nom fera-t-elle retrouver leurs œuvres et permettra-t-elle de leur attribuer des tableaux dont nous ignorons les auteurs. Le fait que les Dienis ont travaillé à Fresnay ou dans les environs, peut être une présomption en leur faveur dans des cas douteux.

Les verrières ou les objets d'art, désignés dans nos archives, n'existent plus, à part quelques tableaux, et les débris, s'il en reste, ne portent pas leur signature.

L'œuvre la plus importante, exécutée par F. Dienis dans notre pays, est, sans aucun doute, le tableau qui se trouve dans l'église de Sougé-le-Ganelon, au-dessus de l'autel de la chapelle N.-D. de Pitié.

Il est peint sur panneaux de bois et représente la mort de la Sainte Vierge, entourée des Apôtres.

Il a 1m 80 de largeur sur 0m 80 de hauteur, porte la date de 1584, en chiffres d'un caractère très pur, et le monogramme [F et D entrelacés] de François Dienis.

Ce tableau, échappé à bien des causes de destruction, a subi, en mars 1890, une retouche discrète et habile de la part de M. Renouard, dont l'éloge n'est plus à faire, sur l'initiative des autorités locales et avec le secours de la Commission départementale des monuments historiques (1).

La Sainte Vierge étendue sur son lit naviforme, surmonté d'un baldaquin, n'offre pas l'expression vulgaire de la souffrance; on sent que ce n'est pas la mort d'une femme ordinaire que l'artiste a voulu représenter, mais celle de la mère de Dieu qui, à l'instant même, est enlevée au ciel par les anges.

Saint Jean étend la main droite bénissante sur la tête de la Vierge, dont il ramène le voile sur la poitrine; saint Pierre,

(1) D'après M. Renouard, ce tableau aurait subi une première retouche depuis 1787, comme semblent l'indiquer l'emploi de jaune de chrôme et la race manifeste de deux pinceaux différents dans le dessin des arabesques.

porte un cierge dans la main droite et un livre ouvert dans la main gauche. Un apôtre, assis au pied du lit, tient un encensoir doré, d'une forme élégante et rare, et appuie l'autre bras sur un livre fermé. Tous les personnages sont drapés dans des vêtements riches en couleurs: l'un d'eux présente le type juif très caractérisé.

Au sommet de l'angle droit se dessine, dans un ovale, un ex-voto représentant l'Assomption de la sainte Vierge, enlevée au ciel par quatre anges, au milieu des nuages. Là, comme dans beaucoup de tableaux du même genre, le donateur s'est fait représenter à genoux, tenant à la main une banderolle rouge ou phylactère, avec inscription.

L'ensemble du tableau est bien agencé; l'artiste a su rendre la scène avec un vrai sentiment chrétien; il a suivi les règles iconographiques de son temps. Nous pourrions même dire qu'il excelle dans l'art de draper ses personnages. Quant à l'expression de leurs physionomies, elle offre un peu de monotonie. Détail intéressant la Vierge est figurée avec le costume des dames du temps d'Henri III, cheveux relevés sur le front, fraise et corsage serré à la taille.

En étudiant deux autres tableaux sur bois, qui se trouvent dans la chapelle sainte Anne du cimetière de Saint-Paul-leGaultier, il serait possible, par comparaison avec celui de l'église de Sougé, de les considérer aussi comme des productions locales, sorties du pinceau des Dienis.

L'un mesurant 1m 10 de hauteur sur 1m 72 de largeur, représente Jésus en croix, entouré de saint Jean, de la SainteVierge et des saintes femmes.

Dans le panneau de gauche, apparaît saint Françoisd'Assise. en extase; dans celui de droite saint René, en costume épiscopal, mitre en tête.

Comme le tableau de Sougé, ce groupe qui saisit le spectateur, est caractérisé par un sentiment religieux très profond.

A l'un des angles se voit un écusson, parti de Courtarvel,

« d'azur au sautoir d'or, accompagné de seize lozanges de même, posés en fasce, au chef et à la pointe »; parti de Ferré, trois fers à cheval ». Cet écusson nous fait connaître les donateurs du tableau : François de Courtarvel sieur des Loges, en Saint-Paul-le-Gaultier, et Renée de Ferré, sa femme. Ils vivaient à la fin du XVIe et dans la première partie du XVIIe siècle.

L'artiste a concentré toute son attention sur les deux personnages, du reste, assez bien traités, tandis que les saintes femmes, qui se trouvent au second plan, laissent à désirer.

Le second tableau, mesurant 0m 90 de hauteur sur 1m 74 de largeur, représente la mort de la Sainte Vierge, entourée du Collège apostolique, ayant à sa tête saint Pierre, vêtu en ecclésiastique du XVIIe siècle. Un des apôtres tient un livre ouvert et on lit sur la première page: Ave, Maria, gratia...

Le lit sur lequel repose la Sainte Vierge est supporté par quatre pieds; des rideaux descendent d'un baldaquin et sont rangés de chaque côté du lit.

Un évêque mitré et couvert d'un manteau rouge se tient debout, en face de la scène.

Les notes dont nous faisons suivre cet article semblent établir, à l'honneur de la ville de Fresnay, que la famille Dienis à donné de véritables artistes, s'intitulant modestement peintres, verriers. De leurs mains on vit sortir des tableaux, des statues, et de nombreux travaux sur bois, rétables ou panneaux sculptés.

I

Extraits des comptes de fabrique de l'église Notre-Dame de Fresnay.

1563.

«A Maistre Françoys Dyenis, painctre, pour avoir racoustré la croix de ladite église, a esté payé cinquante sols (1).

(1) Les huguenots avaient occupé pendant trois jours, en juillet 1562, la ville de Fresnay et pillé l'église Notre-Dame.

1568-1572. « A Me Françoys Dienis, paintre, pour avoir rabillé l'une des vitres de ladite églize au chanseau devers la chappelle Sainte-Barbe, xv sols » (1).

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1575. << La vigille du jour et feste de Pentecoste mil v cent soixante et quinze, fut payé à Me Françoys Dyenis, paintre, pour avoir mys sept pieds et demy de vairre, à troys sols chascun pied et pour quatre losenges, trente et huict sols ».

« A Me Françoys Dienys pour deux portraicts du grand aultel par luy faict par l'ordonnance de M. le Bailly et des dits habitants, a esté payé trente sols » (2).

<< Audit Dienys pour avoir racoustré et rapplacié les vittres de ladite église a esté payé quatre escus dix sols ».

1579-1580. « A Me Françoys Dyenis, paintre, payé suivant l'ordonnance de messieurs les habitans dudit Fresnay, pour avoyr rafraischy et repainct l'image de Nostre-Dame et aultres causes mentionnées par ladite ordonnance, la somme de sept livres dix sols tournoys... >>

<< Audit Me Françoys Dyenis payé deux escus deux sols six deniers, pour avoyr mis et employé aux vittres de ladite. église huict lozanges et relevé deux panneaulx relevés et fourny de plomb, et pour son sallaire d'avoir ce faict... ».

<< Audit Me Françoys Dyenis pour avoyr faict les tableaux en painture et une fenestre servant au sacre estant en ladite église, ensemble la patte dorée servant à porter le Corpus Domini, avoyr payé suyvant l'ordonnance de messieurs les eschevins et habitans, troys escus et demy... »

<< A Me Françoys Dyenis pour avoir racoustré les vittres de ladite église, payé cent sols tournoys... >>

1597. << Plus auroyt esté payé par ledit compteur à Michel Dienys, peintre, la somme de quatre escus, pour son

(1) Ce même compte mentionne à plusieurs reprises la femme de François Dienis qui achète des aubes à la fabrique.

(2) Le grand autel, endommagé par les huguenots, fut refait à cette époque.

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