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PRÉFACE.

Nous avons eu une de ces bonnes fortunes littéraires de plus en plus rares par ce temps de chercheurs qui rendent le neuf et l'inédit à peu près introuvables. Grâce à la bienveillance de M. le duc de la Rochefoucauld et de Liancourt, nous avons pu pénétrer dans les riches archives du château de la Roche-Guyon, qui, jusqu'à ce jour, n'avaient été ouvertes à personne, et nous avons eu le bonheur d'y découvrir les manuscrits des diverses œuvres du duc de la Rochefoucauld, l'auteur des Maximes. La plus grande partie naturellement se compose des textes publiés, mais les manuscrits de la Roche-Guyon l'emportent sur toutes les copies que nous connaissions en ce qu'ils sont évidemment ceux que le duc avait fait mettre au net pour lui-même. Quelques pages cependant sont inédites: nous avons réuni ainsi un chapitre historique sur les événements de ce siècle, et onze réflexions morales; mais la découverte à laquelle nous croyons pouvoir attacher une incontestable valeur est celle du manuscrit autographe des Maximes, dans lequel, ainsi que j'espère le démontrer positivement, on doit reconnaître le premier jet du célèbre recueil.

Ces manuscrits forment un cahier broché et trois volumes in-folio, ces derniers richement reliés, uniformément, en maroquin rouge avec gaufrures et armes en or, et cotés A,

LA ROCHEF. — - I

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Bet D. Le premier renferme les Réflexions morales déjà imprimées et celles que nous publions aujourd'hui pour la première fois, toutes écrites d'une même belle écriture et portant plusieurs corrections de la main de M. de la Rochefoucauld, ce qui n'a pas peu d'importance, puisque jusqu'à ce jour rien ne prouvait que ces pages fussent réellement de l'auteur des Maximes. M. Sainte-Beuve, dans la préface dont il a doté l'excellente édition de la Bibliothèque elzevirienne (1859), formule encore très-positivement ce doute: « Je ne discute pas la question de savoir si ces Réflexions diverses sont certainement de la Rochefoucauld; il me suffit qu'elles lui soient attribuées, qu'elles soient dignes de lui et qu'elles exprimen. le meilleur goût et tout l'esprit du monde. >>

Le volume B, plus petit de format, comprend le fragment abrégé des mémoires sur la Régence donné dans toutes les éditions anciennes, écrit par le même copiste que le volume précédent, et le manuscrit des Maximes, entièrement autographe.

Le volume D contient les mémoires dont j'ai soigneusement collationné les textes, et qui ne présentent presque aucune variante avec l'édition de la collection Michaud et Poujoulat1. Quant au cahier broché, d'une écriture très-différente, il offre par son origine un intérêt tout particulier. Il renferme la partie des mémoires dite de la Guerre de Paris, et qui a été le plus vivement reprochée à M. de la Rochefoucauld, lors de la publication faite à Amsterdam, en 1662. Jusqu'à présent on a complétement refusé d'admettre le démenti formel donné par le duc à ces pages qui, en effet, parlent de madame de Longueville et du prince de Condé dans des termes amèrement regrettables. M. Cousin cependant reconnaît que «< sans doute il y a dans le petit volume si souvent réimprimé, des pages qui ne sont pas de la Rochefoucauld; mais, ajoute-t-il, celles qui dans le temps, révoltèrent le plus les

1. On conserve à la Bibliothèque impériale huit copies anciennes.

honnêtes gens, lui appartiennent incontestablement1.» La copie, que les archives de la Roche-Guyon possèdent, évidemment contemporaine du duc, écrite, comme je viens de le dire, d'une toute autre main que les précédents manuscrits, et qui n'est pas comprise dans le volume des véritables mémoires, porte pour titre : « Mémoires de M. de Vineuil. » Elle est parfaitement conforme au texte connu, sauf la page finale qui était demeurée inédite. M. Cousin constate que l'on ne connaît pas de manuscrit autographe des mémoires; dès lors, pourquoi ne pas attribuer autant de valeur aux manuscrits incontestablement contemporains du duc, et conservés dans les archives de la famille, qu'à ceux existant dans nos dépôts publics et qui peuvent, ce me semble, avoir été faits sur la copie qui a servi aux éditions hollandaises? L'existence de ce cahier vient très-sérieusement corroborer la puissance du démenti publié par M. de la Rochefoucauld: j'ajouterai encore qu'une note écrite assurément du vivant du duc, en tête de la copie des mémoires sur laquelle M. Petitot a collationné son édition, et qui est conservée à la Bibliothèque impériale, porte que « les mémoires imprimés en Hollande ont été compilés par Cerizay,» et que « partie de ces pièces, assez mal cousues ensemble, sont de MM. de Vineuil et de Saint-Évremont. » Cet avis, auquel de savants érudits ont attaché une grande importance en insistant sur la phrase finale, mais ceux-ci sont entièrement de lui,» ne me semble pas si capital contre M. de la Rochefoucauld, et je demanderai au moins qu'on accueille avec attention cette note écrite vers le milieu du siècle dernier sur la feuille de garde du tome D des manuscrits de la Roche-Guyon :

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« Ce volume contient les véritables Mémoires, c'est-à-dire ceux auxquels l'auteur a mis la dernière main. La première partie, de la page 1 à la page 112, n'a jamais été publiée : ce qui suit a seulement quelques mots changés.

1. Mme de Sablé, 1re édit., p. 205.

« La préface des mémoires imprimés et les citations de Tacite sont d'Amelot de la Houssaye.

« Le premier morceau, mémoires de la Régence1, est bien de M. de la Rochefoucauld, et en tête du volume B2, mais depuis l'auteur l'a bien changé.

« Le second morceau, la Guerre de Paris, qui lui a le plus nui, est de Vineuil. On en trouve la preuve : 1o dans le manuscrit même qui forme un cahier séparé.

« 2° Nulle trace n'en existe dans les manuscrits du duc; << 3o Le style est tout différent, beaucoup plus travaillé, cherchant à imiter celui de Tacite;

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4° Vineuil raconte en procédant par maximes générales, passant ensuite aux détails et réflexions: M. de la Rochefoucauld entre rondement en matière, raconte vite et ne commente jamais ce qu'il dit. Vineuil, de plus, a de fréquentes tournures de bel esprit.

<< 5° M. de la Rochefoucauld et Vineuil peignent les mêmes personnes différemment, comme, par exemple, le cardinal de Retz, monsieur le Prince, madame de Longueville : ces portraits sont très-satiriques dans les mémoires de Vineuil ; voyez les mêmes dans la partie inédite 3. Vineuil ne dit rien de ce qui concerne M. de la Rochefoucauld.

1. C'est le morceau qui est toujours joint aux grands Mémoires, dont il est, pour une partie du moins, le résumé.

2. C'est le volume où se trouve le manuscrit des Maximes que je publie aujourd'hui.

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3. C'est-à-dire la partie comprise entre les pages 1 à 112, publiée pour la première fois par l'éditeur Renouard. Le cahier des Mémoires de Vineuil se termine par cette page demeurée inédite :

<< II (Mazarin) attendit que la cour fût de retour à Compiègne où il reçeut plus de démonstrations d'amitié et de confiance que lorsqu'il en partit, soit pour le faire relascher sur le mariage qui estoit le point fatal de leur division, ou plus tôt afin qu'il se portât avec son ardeur accoustumée pour le retour du roy à Paris, qui estoit regardé de toute la province comme le siége de l'empire. En effet, lorsque Sa Majesté fit son entrée avec la reyne et toute la maison royale en un mesme carrosse, le cardinal estoit à une portière avec M. le Prince qui le rasseuroit par sa présence de la crainte qu'il pouvoit justement concevoir d'estre parmi une foule incroyable de peuples qui avoient tant d'horreur pour sa personne. Mais la

« La retraite du duc de Longueville en Normandie est de Saint-Évremont.

« Ce qui suit dans l'imprimé jusqu'au supplément de la relation des guerres de Guyenne est de M. de la Rochefoucauld.

<< Le surplus est de diverses mains : l'apologie de Beaufort est de Girard, auteur de la vie du duc d'Épernon. >

La présence de ce manuscrit des Mémoires dans les archives de la famille met suffisamment à néant, ce me semble, désormais, l'étrange doute formulé dans son édition des Mémoires du cardinal de Retz, par M. A. Champollion-Figeac. Cet honorable érudit, dans une note, parle « des mémoires publiés sous le nom de M. de la Rochefoucauld, non autographes et ne méritant pas confiance. Aujourd'hui l'hésitation n'est même plus permise.

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joye seule de revoir le Roy occupoit tous les esprits qui en bannissoit tous les malheurs et les inimitiés passées. Leurs Majestés, arrivées au Palais Royal, receurent la soumission du duc de Beaufort et du coadjuteur, et M. le Prince acheva une si belle journée en disant à la Reyne qu'il s'estimoit très-heureux d'avoir accomply la parole qu'il luy avoit donnée de ramener M. le cardinal à Paris, à quoi Sa Majesté respondit : << Monsieur, tout au long, ce service que vous avez rendu à l'estat est si grand que le Roy et moi serions des ingrats s'il nous arrivoit de l'ou<< blier jamais. » Un serviteur de M. le Prince, qui avoit ouy ce discours, dit qu'il trembloit pour luy de la grandeur de ce service, et qu'il craignoit que ce compliment ne passât un jour pour un repentir. M. le Prince repartit : « Je n'en doubte point, mais j'ay fait ce que j'avois promis. »

Dans le reste du manuscrit il n'y a que de rares variantes.

Au commencement (p. 409, édit. Michaud et Poujoulat), Il est quasy impossible, au lieu de : Il est presque, etc.

(P. 412). Il fut conduit en sûreté hors la ville avec le président de Blancmenil pour être transféré à ...., au lieu de : à Sedan.

(P. 425). En effet Vautorte, envoyé par la cour vers le ministre d'Espagne, pour insinuer quelques propositions de paix, n'avoit pas été favorablement écouté, et ils penchoient du côté du parlement pour relever ce parti qui alloit à son déclin; et bien que les offres de l'archiduc, etc., au lieu de Il penchoit, et de si bien que.

(P. 425). Le Prince avoit beaucoup perdu pour le cardinal, au lieu de : le Prince avoit beaucoup perdu du respect qu'il avoit pour le cardinal.

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