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On peut distinguer toutes ces écoles, qui se touchaient et se ressemblaient, en cinq groupes, dont les deux premiers, le Palestinien et le Syrien, ont moins d'importance que les suivants, l'Egyptien, l'Asiatique et le Sporadique.

LE GNOSTICISME PALESTINIEN ET SYRIEN.

Le groupe palestinien embrasse les origines, c'est-àdire les faits de l'ère mythologique du Gnosticisme. On y fait figurer des personnages dont la vie et les doctrines précises sont également incertaines, mais paraissent tenir au judaïsme plus qu'à l'hellénisme ou au christianisme. Ce sont Simon le Magicien, Cérinthe, Ménandre, Dosithée, qu'on peut regarder comme les précurseurs du Gnosticisme général, et les Nicolaïtes, qu'on peut considérer comme les précurseurs spéciaux de la secte des Atactites.

Ce qu'on sait de positif sur les premiers, c'est qu'ils n'ont pas adopté le dogme de l'incarnation, ni en général la triple manifestation de la nature divine exposée dans les textes sacrés sainement interprétés; et ce qu'on sait de certain sur les Nicolaïtes, c'est qu'ils ont méconnu les principes du christianisme au point de professer des doctrines ou de commettre des actions d'une immoralité profonde.

Dans le groupe syrien figurent Saturnin, qui paraît avoir fait des emprunts au Zend-Avesta et à la Kabbale, et Bardesane, qui unissait certaines opinions de la Grèce, par exemple, l'idée du Destin conçue selon la doctrine stoïcienne, à des opinions venues de l'Orient. Les Bardésanites furent assez nombreux et assez habiles pour se glisser dans l'Eglise et pour y introduire des hymnes conformes à leurs spéculations. Un instant ils eurent assez

d'importance pour inquiéter l'épiscopat chrétien, et il fallut composer des hymnes orthodoxes sur les airs des leurs pour les faire accepter dans les assemblées religieuses. Malgré ces précautions prises avec tant de sagesse par l'évêque Ephrem, et la vigilance si active exercée par les chefs de l'Eglise, ils se maintinrent en Syrie jusqu'au cinquième siècle, époque où les mesures les plus précises et les plus rigoureuses mirent fin à l'existence de la plupart des partis gnostiques.

LE GNOSTICISME ÉGYPTIEN.

Le groupe égyptien, le plus nombreux, le plus savant, le plus fécond de tous en idées et en sectes nouvelles, eut son siége principal dans Alexandrie, dans ce foyer de science où se développèrent tant de doctrines religieuses et philosophiques. On distingue dans ce groupe trois écoles principales, celle de Basilide, celle de Valentin et celle des Ophites, qui eurent leurs branches et leurs divisions, mais qui toutes eurent de commun un véritable éloignement pour la spéculation orientale et un attachement profond pour la spéculation égyptienne.

Basilide, le fondateur de la première, enseigna en Egypte vers l'an 131 de notre ère. Originaire de la Syrie il était venu chercher dans Alexandrie, sinon une science plus étendue, du moins une liberté dont on ne jouissait pas ailleurs au même degré. Il admettait en apparence trois sources de doctrine: des prophéties attribuées à des personnages d'ailleurs inconnus comme prophètes [Cham et Barchor ], l'épitre de saint Pierre, et la tradition rattachée à cet apôtre par l'intermédiaire de Glaucias, autre personnage inconnu. En réalité, il mettait sa

pensée personnelle au-dessus de toutes trois. Il exposa une partie de ses opinions plus ou moins clairement dans un ouvrage en vingt-quatre livres, Enynîixà, et peut-être sont-elles symboliquement indiquées sur ces petits monuments déjà nommés et qu'on appelle, d'après lui, pierres basilidiennes; seulement il faut considérer que toutes celles auxquelles on donne ce nom ne proviennent pas des Basilidiens, et qu'il en est beaucoup qui n'étaient que de simples emblèmes d'initiation et de confraternité.

D'après la spéculation basilidienne, Dieu, qui est éternel et sans nom, s'est manifesté en cinquante-deux déploiements successifs, chaque déploiement se composant de sept Eons, total 364, nombre exprimé dans les lettres grecques ABPAEAZ, et formant le monde des intelligences pures, le monde des lumières. A cet empire est opposé celui des ténèbres, celui du prince de ce monde, auquel Nous, la première des trois cent-soixante-quatre intelligences, est venue arracher nos âmes. En effet il s'est réuni, dans le baptême du Jourdain, à l'homme Jésus pour amener par ses révélations un changement complet dans la condition morale de l'homme, en séparant l'âme véritable ou le rayon divin des âmes advenues du monde extérieur qui ont pénétré dans son sein.

A la mort de Basilide, arrivée vers l'an 136, un ancien platonicien qui connaissait le christianisme et les principales doctrines du temps, Valentin, fonda la seconde école de ce groupe. Il n'admettait en apparence que ces deux sources de vérité, tout le code sacré des Juifs et des chrétiens, et la tradition paulinienne telle qu'elle se trouvait dans l'enseignement d'un personnage aussi obscur que Glaucias, Théodas. En réalité, Valentin prenait dans toutes les doctrines, et mettait comme Basilide, sa pensée personnelle au-dessus de tout le reste. Il l'exposa dans plusieurs ouvrages [homélies, lettres] et dans ce traité De

la sagesse qui existe peut-être encore. [Ce serait le manuscrit kopte, intitulé la Fidèle sagesse, Zogía πicτóç, dont l'unique exemplaire connu est au British Museum. (V. mon Histoire du Gnosticisme, t. II, p. 40, et la Notice de M. Dulaurier.] Valentin s'attacha surtout à la théogonie: égyptienne. On sait que celle-ci admettait trois manifestations principales, trois groupes de déploiements divins,' l'ogdoade, la décade et la dodécade. Valentin emprunta à ces trois groupes, à ces trente intelligences, l'idée des trente Eons de son plérôme, qui forment quinze syzygies. Le dernier de ces esprits du monde supérieur est copía, l'âme du monde, laquelle voulut faire créer à son image la forme matérielle de l'univers par le démiurge; mais. celui-ci, entraîné par l'orgueil, fit à sa propre image la principale de ses créatures, l'homme, qui lui réussit fort mal et serait fort à plaindre si la céleste copía ne lui eût envoyé un rayon de lumière divine. Ce rayon le rendit susceptible d'une rédemption par le fils de vous (Christos), et par sa fille (vεupa), rédemption qui, à son tour, rendra possible le retour dans le sein du plérôme.

Ce système, d'abord enseigné dans Alexandrie, le fut ensuite à Rome, où se rendirent dans cette période les chefs des principales doctrines, Valentin et Marcion, comme saint Paul et saint Pierre. Valentin eut de nombreux partisans, et deux de ses successeurs, Ptolémée et Marcus, fondèrent des sectes nouvelles. Sur la fin du deuxième siècle, saint Irénée, évêque de Lyon, trouva les Marcosiens assez nombreux pour qu'il se décidât à composer contre eux son fameux ouvrage Adversùs hæreses, une de ces réfutations où nous puisons les idées du Gnosticisme, comme nous puisons les opinions de Celse dans la réfutation d'Origène, et les opinions de Porphyre dans celle de saint Cyrille. Un autre évêque, disciple de saint Irénée, saint Hippolyte, qui vécut en Italie, crut également nécessaire de réfuter le Gnosticisme; mais on lui attribue à tort un ou

vrage important sur les doctrines du premier et du second siècle, ouvrage qu'on croyait perdu et qui vient de se retrouver. [ Miller, Òpıyevaùs piλosopoupéva. Oxford, 1851. Bunsen, Hippolytus und seine Zeit. 3 vol. Leipzig, 1852.]

La troisième école du groupe égyptien, les Ophites, s'emparèrent du système de Valentin et le modifièrent avec la même liberté que celui-ci avait mise à modifier la doctrine des Basilidiens. L'Eon Ophis y jouait un grand rôle. Ils développèrent surtout le dogme de la création par le démiurge et celui de la migration des âmes à travers les régions planétaires, qu'ils représentaient sur un tableau appelé Diagramme, et qui sont figurées sur les plus belles d'entre les pierres gnostiques. [Voir la description de ce diagramme dans l'ouvrage d'Origène contre Celse, le dessin qu'en donne notre Histoire du Gnosticisme, et comparer notre Excursion gnostique en Italie.]

LE GNOSTICISME ASIATIQUE.

Ce groupe n'embrasse que les Cerdonites et les Marcionites, sectes fondées, l'une par Cerdon, né en Syrie, l'autre par Marcion, né à Sinope, qui éclipsa complétement son précurseur et dont les disciples fort nombreux se répandirent, vers le milieu du deuxième siècle, en Italie, en Perse, dans les îles, en Asie Mineure et en Egypte, se distinguant par des mœurs austères et une forte organisation. De tous les systèmes gnostiques c'est celui de Marcion qui est le moins antichrétien, qui s'éloigne le plus du judaïsme et du polythéisme. Il a, plus que nul autre, la prétention d'enseigner le christianisme pur, sans aucune alliance de judaïsme, soit celui qui règne exclusivement dans l'ancien code, soit celui qui, suivant

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