Page images
PDF
EPUB

effet, tout n'a pas été innovation dans le merveilleux ensemble qu'elle nous présente. On pourrait même dire que rien ne l'a été d'une manière absolue, si bien tout était préparé dans le développement providentiel des idées et des institutions antérieures. Aussi tout le christianisme s'est-il lié et rattaché à ce qui était, si bien qu'il a pu procéder partout comme il fit à Athènes par la bouche de son principal interprète. Pour donner soit de sa nouveauté, soit de ses affinités et de ses alliances avec toutes les vérités professées avant lui, une idée complète, il ne faut pas vouloir s'appuyer sur tel texte ou tel autre, mais sur la totalité. Il y en a cependant de spéciaux, et sans contredit les plus magnifiques qu'on puisse ajouter aux discours de saint Paul prononcés devant les philosophes rassemblés sur l'Aréopage, ce sont les discours de JésusChrist prononcés dans ses dernières entrevues avec ses disciples [Saint Jean, XV-XVII], le premier chapitre de l'Evangile de saint Jean et les chapitres dogmatiques des épîtres de saint Paul.

LE CHRISTIANISME DANS SES RAPPORTS AVEC LA PHILOSOPHIE

JUIVE, LA KABBALE, L'ESSÉNISME, LE THÉRAPEUTISME ET L'ÉBIONITISME. SAINT PIERRE. -SAINT JACQUES.

On a supposé des relations intimes ou des emprunts entre le christianisme et les diverses écoles ou sectes de la philosophie juive. C'est à tort.

D'abord, ce serait plutôt de la théologie que de la philosophie juive qu'il faudrait parler. En effet, les Juifs, aussi orientaux de génie que de race, n'ont jamais donné à leurs spéculations métaphysiques les formes de la science grecque. Ce qu'on trouve chez eux, ce sont des sectes de morale religieuse ou de philosophie pratique plutôt

que des écoles de philosophie spéculative, et c'est en ce sens seulement qu'on peut faire certaines assimilations et comparer par exemple les Pharisiens aux Stoïciens, et les Saducéens aux Epicuriens, sans toutefois que ces rapprochements trompeurs puissent faire envisager les uns ou les autres comme des philosophes.

En second lieu, si le christianisme a eu des rapports avec l'une et l'autre de ces sectes, il n'a rien pu leur emprunter. Il s'est rencontré avec le phariséisme dans la personne de saint Paul et dans celle de beaucoup de Pharisiens, mais c'a toujours été en les combattant. Et saint Paul, connaissant mieux que personne le zèle exagéré de ces sectaires pour la loi et pour les cérémonies judaïques, a plus que nul autre attaqué chez les Juifs devenus chrétiens le maintien de la loi et des cérémonies transitoires du judaïsme. Peut-être même, sans son énergie, les partisans de cette loi et de ces cérémonies que le christianisme venait transformer, l'emportaient-ils dans l'Eglise apostolique et opposaient-ils aux doctrines chrétiennes les obstacles les plus invincibles. Les rapports du christianisme avec les Saducéens ont été les mêmes; il les a beaucoup combattus, et non-seulement en Judée, mais partout où il s'est rencontré avec eux, comme il combattait les Epicuriens et les Euhémeristes partout où il les rencontrait. Ce n'est donc pas le cas de dire que le christianisme a fait des emprunts aux deux sectes en question.

On lui a supposé avec plus d'assurance des rapports d'affinité et d'emprunt avec les Thérapeutes de l'Egypte et leurs imitateurs les Esséniens de la Palestine, qui menaient une vie contemplative et ascétique les uns comme les autres. Si nous en croyons Philon, qui nous expose leurs idées et dépeint leurs mœurs avec complaisance dans deux traités remarquables [celui Quod omnis probus, liber, et celui De vitâ contemplativa], il y aurait réelle

ment des analogies frappantes entre les idées chrétiennes et les leurs. Mais, d'abord, celles de ces idées qui s'accordent, se rencontrent dans toutes les éthiques sérieuses de l'Orient; ensuite, il est difficile d'admettre que les rapports entre les Esséniens ou les Thérapeutes et les Apôtres ont été plus que des tentatives de conversion et des rapports de fusion en cas de succès. Personne n'admet plus aujourd'hui ce que Montfaucon affirma dans sa traduction du traité De vitâ contemplativa de Philon, c'està-dire que les Thérapeutes étaient chrétiens, ce qui fit un instant une question très agitée. [ Bouhier l'examina dans ses Lettres pour et contre la fameuse question, Si les solitaires appelés Thérapeutes étaient chrétiens. Paris, 1712.] Comme tomba jadis cette question est tombée, de nos jours, l'hypothèse d'un historien de peu de critique, à savoir que Jésus-Christ aurait eu des rapports avec les Esséniens, qu'il aurait vécu dans leur sein, si bien que le christianisme ne serait qu'une réforme de leur doctrine. Ce qui seul est admissible, c'est que les idées ascétiques et contemplatives des Esséniens et des Thérapeutes circulaient dans la Judée au temps de JésusChrist et qu'elles ont pu exercer une certaine influence sur quelques personnes qui figurent dans les origines. chrétiennes. Elles étaient d'ailleurs un véritable progrès sur l'ancienne morale, et l'on doit admettre que bien des Thérapeutes et des Esséniens, en voyant les exemples de la vie évangélique, en ont embrassé les principes et concouru au progrès si rapide et si général de la pensée ascétique, contemplative, anachorétique et cénobitique des premiers siècles du christianisme.

Loin de dire que ce dernier s'est conservé pur de toute alliance ou qu'il s'est dégagé immédiatement des formes du judaïsme qu'il devait délaisser, il faut reconnaître que, dans son origine, un grand nombre de ses partisans ont affectionné les doctrines et les formes de l'ancienne al

liance, et qu'il n'a vaincu qu'au bout de quelques siècles les défenseurs de ce système judaïsant, les Ebionites. S'appuyant de l'autorité de deux apôtres éminents, saint Pierre et saint Jacques, l'Ebionitisme joua un rôle considérable; et il n'était pas encore vaincu, que d'autres altérations et des transactions avec d'étranges doctrines philosophiques, religieuses ou éthiques, menacèrent à leur tour la pureté des doctrines chrétiennes.

C'est un devoir de la bonne critique de distinguer le christianisme un et pur de tout ce qui a voulu s'y agréger, comme c'est une aberration de la mauvaise critique que de ne pas admettre un christianisme un et pur, et de forcer les textes pour soutenir l'hypothèse de plusieurs écoles apostoliques divisées entre elles. Les nuances sont dans les textes, les partis hostiles n'existent que dans nos commentaires.

[merged small][merged small][ocr errors][merged small][ocr errors][merged small]

Le christianisme s'est d'abord peu rencontré avec la philosophie grecque; la discussion de saint Paul avec les Stoïciens et les Epicuriens est le seul fait de ce genre qui appartienne à l'ère apostolique, et l'on s'étonne à juste titre qu'un engagement aussi sérieux soit resté aussi isolé. Il était tout simple cependant que le christianisme dans son origine se rencontrât plutôt avec la spéculation juive. Il a pu sympathiser surtout avec celle d'Alexandrie fondée par Aristobule et peu connue dans son début, mais reproduite et développée sans doute dans les ouvrages de Philon, qui ont dû se répandre parmi les Juifs de l'Egypte, de l'Asie, de la Grèce et de l'Italie. Il

[ocr errors]

serait difficile d'indiquer le temps et les lieux précis où ees rencontres se sont opérées, mais cela est d'autant moins nécessaire qu'elles ont pu avoir lieu dans toutes les villes où il s'est trouvé des Juifs hellénisants et des chrétiens. Ceux-ci n'avaient-ils pas dans l'origine l'habitude de s'adresser principalement et d'abord aux Juifs? Aussi leurs premiers écrits indiquent déjà des rapports intimes avec ces Juifs, et ce langage hellénisant de Philon, ce style gréco-judaïsant qu'on appelle hellénisme juif, est celui-là même qu'emploient les premiers écrivains apostoliques.

Cela se comprend. D'abord, il était naturel que les ébrétiens qui s'appliquèrent à l'étude du grec préférassent aux auteurs polythéistes les auteurs monothéistes ou les Juifs écrivant en grec. Ensuite les rapports entre les Juifs de Jérusalem et ceux d'Alexandrie étaient si intimes depuis l'origine de cette ville et depuis la version grecque de la Bible hébraïque, que les Juifs auxquels les docteurs chrétiens se présentèrent d'abord devaient la préférer à toute autre. Ceux d'Athènes, de Rome et de Corinthe auxquels les apôtres du christianisme s'adressèrent assurément aussi bien qu'aux autres habitants de ces grandes villes, en connaissaient certainement le langage mieux que le grec attique. Sans doute tous les Juifs grécisés n'avaient pas lu Philon; mais les plus instruits d'entre eux, ceux qui avaient quelque teinture d'éducation philosophique, la tenaient de lui plutôt que d'un autre, et il était tout simple qu'on voulût gagner ceux-là avant tout.

D'un autre côté on trouve aussi la preuve que les auditeurs ou les correspondants des apôtres connaissaient la philosophie grecque. En effet on les presse de s'en défier. « Prenez garde que personne ne vous séduise par la philosophie. » Col. II, 8. Et la preuve que, dans ce public avaient pénétré les subtilités, la dialectique, la

« PreviousContinue »