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qui tiennent le milieu entre l'homme et l'ange. Les diables sont commandés par Samaël.

Le chef-d'œuvre de la création, l'homme terrestre, est par son âme l'image de l'homme céleste, et par son corps, celle de l'univers. On distingue dans l'âme trois principes: l'un, siége de l'intelligence contemplative; l'autre, de la volonté; le troisième, des instincts animaux. La forme extérieure de l'homme a une existence propre qui rappelle les Ferouers de la Perse; les âmes ellesmêmes ont existé devant Dieu avant de descendre sur la terre, et tout ce qu'elles y apprennent, elles ne font que le revoir. Elles ne sont pas ici par voie d'expiation d'après les idées originaires de l'Inde; mais obligées, si elles font mal, de recommencer la carrière, jusqu'à ce qu'elles aient développé, par l'amour et l'intuition du divin, le germe indestructible déposé en elles à un degré suffisant pour rentrer dans le sein de Dieu. Cette union finale pleine de jouissances ineffables figure dans tous les systèmes mystiques et aucune de ces idées n'est tout à fait nouvelle. La théorie des évolutions et la terminologie des sephiroth, brodée sur le fond de l'ancien panthéisme de l'Inde et de la Chine, est seule l'œuvre des kabbalistes.

Ce système, où les difficultés, loin d'être résolues, ne sont qu'éludées, où le passage de l'esprit à la matière, du bien absolu au mal, reste enveloppé d'un voile impénétrable, est à ce point un emprunt qu'il s'écarte complétement de la doctrine mosaïque, aboutit au panthéisme, et ne laisse, au lieu d'un Dieu libre créant par sa volonté, qu'une sorte de fatalité organisatrice de la nature divinisée. [V. la Kabbale, par M. Franck. Palestine, par M. Monck.-Die Religions Philosophie des Zoar, par M. Joël.]

La

Le grand défaut de la Kabbale, c'est d'aller dans le sens de l'immanence ou du panthéisme, au lieu d'aller dans le

sens de la transcendance ou du monothéisme. La spéculation religieuse et métaphysique du monde ancien offre au contraire un progrès incessant, très gradué, mais très réel dans le sens de la transcendance. La conscience de l'indépendance de Dieu à l'égard du monde, d'abord très voilée, et l'idée de la communion intime entre Dieu et l'homme, conçue très obscurément, s'éclaircissent sans cesse, et devenant toujours plus nettes, aboutissent au dogme d'un Dieu personnel, providence et père, auteur, type et régulateur, juge et rémunérateur de tout, source de grâces et objet d'amour pour tout et par-dessus tout. Pour le panthéisme chinois, Dieu est d'abord le ciel de la raison, qui ne s'est personnifié que plus tard. Dans le brahmanisme et le bouddhisme, l'Etre suprême se révèle bien comme un Dieu personnel, mais sans cesse on y voit toute la personnalité sur le point de s'anéantir dans le panthéisme. Cette faiblesse disparaît toujours davantage dans les théories mésopotamiennes, égyptiennes et phéniciennes, et surtout dans celle des Grecs où l'idée de Dieu implique celle d'une haute indépendance. C'est surtout dans le mosaïsme pur que cette idée implique la liberté la plus absolue. La kabbale, en remontant vers le panthéisme, au lieu de s'appuyer avec fermeté sur ce progrès, est donc allée en sens contraire et le christianisme devra trouver tant de sympathie précisément parce qu'il viendra remplir une mission de progrès. C'est aujourd'hui la marche naturelle de la spéculation philosophique et religieuse de quitter sur l'idée de Dieu les imperfections panthéistiques où elle tombait naguère, pour revenir à celle d'un Dieu personnel et libre, distinct du monde, vraiment Dieu, qui a été la lumière primitive, la source de notre intelligence. Toute philosophie qui retourne aux vieilles abstractions du ev xxì av de l'Etre inconscient, « du devenir et de l'infinie variété de la substance une et identique,» se rejette en arrière des conquêtes ac

complies. Telle pensée très moderne se vieillit donc ellemême de gaieté de cœur et donne dans une singulière aberration, quand elle entreprend d'échanger la riche théorie mosaïque et chrétienne contre des idées aussi élémentaires, et l'on peut réellement résumer l'histoire de la spéculation antérieure à l'ère chrétienne en ces mots que toute philosophie véritable, quoiqu'elle ne se sache pas cette mission, tend au fond vers le christianisme.

CHAPITRE PREMIER.

LE CHRISTIANISME, LE GNOSTICISME ET LE MANICHÉISME.

LE CHRISTIANISME

CONSIDÉRÉ DANS SA NATURE PHILOSOPHIQUE.

Avec le christianisme, commence la période la plus importante du développement humain. Son apparition apporte au milieu du monde philosophique un nouvel ordre d'idées et de croyances. Ses doctrines ne sont pas de la philosophie proprement dite; elles n'en ont pas la nature, la forme, l'origine; mais elles présentent la solution des plus hautes questions spéculatives, et partout où ses solutions pénètrent bien dans la pensée humaine, elle ne peut plus désormais en faire abstraction. Ses idées dominent, au contraire, et le christianisme prend partout où il va, d'abord le gouvernement des intelligences et par conséquent des études, puis celui des lois et des institutions et par conséquent de la politique. Or il va partout, et ses peuples sont les nations les plus civilisées. Le christianisme devient ainsi, par sa haute théologie, la haute philosophie de l'humanité.

On a dit, à titre d'objection, qu'il est une édition très simplifiée, perfectionnée et spiritualisée du judaïsme. Cela est vrai jusqu'à un certain point; mais il faut ajouter qu'il est encore autre chose.

D'abord, il offre une révélation nouvelle, ultérieure, absolue, la dernière de toutes. « Mes paroles ne périront pas, quand même le ciel et la terre périraient. »

Ensuite, grâce aux destinées qu'a eues le peuple si extraordinaire au sein duquel Dieu l'a mis, il est aussi plein d'éléments grecs que d'éléments juifs, et d'éléments égyptiens, chaldéens et orientaux que d'éléments grecs. Il est l'éclectisme providentiellement né de l'universalité des philosophies antérieures et des spéculations religieuses du monde ancien.

Toutefois, le christianisme, qui a fait son apparition dans le même temps où Philon opérait la fusion de la philosophie grecque avec le judaïsme et avec les idées orientales, n'est ni une philosophie mixte ni une religion éclectique dans le même sens que le philonisme ou le nouveau platonisme, qui le suivit de si près. Il n'est pas une philosophie du tout; il n'est pas une création de la raison humaine. A la vérité, il ne désavoue pas une origine rationnelle, mais il n'en parle pas, par cela même qu'il n'en a pas l'ambition. Il en a une plus haute: c'est de Dieu que vient la doctrine enseignée par Jésus-Christ. Telle est sa déclaration solennelle bien des fois répétée. Et, en effet, sa doctrine n'est pas non plus une religion éclectique. De même qu'elle n'est d'aucune école philosophique, elle ne se subordonne à aucune école religieuse, pas plus à celle du judaïsme qu'à une autre. Elle n'est pas issue de la révélation du judaïsme; elle la modifie si profondément qu'elle en est moins une réforme ou un développement qu'une révélation nouvelle, issue de la même source que la première, mais offrant un ensemble d'idées dont la première n'était souvent que le symbole, la figure. Elle est la réalité, elle est la chose attendue, supérieure à la messagère chargée de l'annoncer; elle la redresse, la rectifie, la complète.

Ajoutons qu'elle est plus qu'une révélation divine;

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