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relles; au contraire, Dieu a soufflé dans nos narines l'esprit ou l'âme, qui n'est pas faite à l'image de Dieu, car notre intelligence seule est faite à cette image, semblable au λóyos, et par lui semblable à Dieu. L'intelligence, descendue dans le corps, mais tenant au monde des idées, remontera vers sa patrie, tandis que la partie sensible et matérielle de l'homme n'a été créée ni par Dieu, ni par le λόγος, mais par les πολλοί sur lesquels Philon ne s'explique que vaguement. Par eux, et, par l'usage que l'homme fait de sa liberté, il est accessible au mal, qui est restreint à la région terrestre [III, 192.], et dont on peut s'affranchir, en fortifiant en soi l'image divine qui est appelée à la région supérieure au moyen de la sagesse terrestre, image de la sagesse céleste ou de la science des choses divines et humaines avec leurs causes. La sagesse humaine a quelque chose de très inférieur, mais de très nécessaire dans la condition terrestre, où la vertu est composée de ces trois choses: l'instruction, la force innée dans l'homme, et l'ascétisme ou la mortification de la chair. En effet, chacun doit tuer le frère de l'esprit pour arriver à Γἀπάθεια. La μετριοπάθεια ne suffit pas, car l'âme ne grandit qu'aux dépens du corps et l'intelligence qu'aux dépens de l'âme [III, p. 195.].

Philon jette aussi dans la philosophie grecque, à côté de ses théories sur la création, des doctrines non moins nouvelles pour les Grecs, sur la providence spéciale, sur l'ascétisme, sur l'esprit de dévouement absolu de l'homme à Dieu et son union mystique avec lui. Mais s'il veut plaire aux Grecs et leur donner une haute idée de sa religion, ce qu'il veut à la fois élever et enrichir, c'est sa religion, c'est-à-dire le judaïsme tel qu'il le conçoit. Et non-seulement il l'enrichit et l'élève, mais il le spiritualise de manière à en faire toute autre chose qu'il n'était au moment où le christianisme le spiritualisa à son tour pour en faire aussi chose nouvelle. On a tiré de ce

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grand fait deux conclusions, l'une vraie, l'autre fausse. La fausse, la voici.

S'il a été possible au Juif le plus éminent d'Alexandrie de spiritualiser le judaïsme au moyen de la philosophie grecque de manière à produire un enseignement aussi pur que le philonisme, il a dû être possible au Juif le plus éminent de la Judée, de produire au moyen de la philosophie orientale un enseignement aussi pur que le christianisme. Je dis cette conclusion fausse par deux raisons. D'abord il n'y a pas de comparaison sérieuse à établir entre le philonisme, qui est une théorie toute spéculative, et le christianisme, qui est une doctrine toute positive, une religion. Ensuite ce n'est pas au moyen de la philosophie orientale ni d'aucune autre, c'est au nom d'une mission divine que l'auteur du christianisme a produit son système, et il n'y a aucune analogie véritable entre Jésus-Christ et Philon. La deuxième conclusion, la vraie, est celle-ci.

Philon est venu providentiellement préparer le judaïsme à la grande révolution chrétienne, et la philosophie grecque à une théologie et à une morale nouvelles. Cette induction est à ce point autorisée, qu'elle se présente irrésistiblement à qui vient à considérer l'influence que les ouvrages de Philon, ses idées et son langage, ont exercée sur les premiers écrivains du christianisme, principalement sur ceux d'Alexandrie.

Philon a-t-il rempli sa mission tout entière? Jusqu'à quel point a-t-il agi sur la génération contemporaine de Jésus-Christ, ou sur celle des Apôtres, sur les Juifs et sur les Grecs? Quelle a été son action immédiate? A cet égard, on a fort peu de données précises; mais on sait qu'il y eut en son temps une excitation religieuse et polémique très vive à Alexandrie, et que lui-même fut envoyé à Rome pour y soutenir la cause du judaïsme auprès de l'empereur. Or, s'il n'a pas fait endant son ambassade

à Rome, ce qu'y avait fait un ambassadeur grec aux jours de Caton, s'il n'y a pas enseigné comme Carnéades, du moins il n'a pas dû cacher sa pensée. Il l'a certainement manifestée aux Juifs. On sait qu'il retourna en Egypte, mais on ignore s'il eut une école, s'il fonda un enseignement et s'il vit le succès de ses écrits. Plus tard, ces derniers ont agi très puissamment; et si leur auteur n'eut pas de disciples, il eut du moins de nombreux imitateurs. Son œuvre fut continuée, sous un autre point de vue, par Josèphe, dans l'Histoire du Judaïsme, et grand en fut l'effet dans tous les pays où se trouvaient des Juifs grees, nous en verrons la preuve dans les écrits philosophiques du christianisme primitif.

Ces écrits, pour le langage, sont dirigés et inspirés par ceux de Philon.

LA SPÉCULATION GRÉCO-JUDAÏQUE JOINTE A LA SPECULATION

ORIENTALE. LA KABBALE.

Les Juifs, animés d'un esprit de nationalité très exclusif, plus ennemi que nul autre de tout ce qui était étranger, ont été sous ce rapport plus loin que les Grecs traitant de barbares tout ce qui n'était pas eux; et cependant, leurs docteurs, loin de commettre la faute reprochée aux philosophes d'Alexandrie à l'égard des grandes doctrines de l'Orient, y puisèrent largement. Dès avant qu'Aristobule et Philon se furent enrichis d'emprunts faits aux Grecs, des docteurs de Palestine ou de Mésopotamie s'étaient emparés d'emprunts faits à l'Orient, et de cet éclectisme était née, au deuxième siècle avant l'ère chrétienne, on ne sait où, la kabbale ou la tradition. Cette doctrine, tenue très secrète, est indi

quée plutôt qu'exposée dans deux traités dont les auteurs sont aussi incertains que la date, le livre de la création, le sepher iecirah et le zohar ou la lumière, développés ensuite par un assez grand nombre d'écrivains juifs et chrétiens. Les deux auteurs primitifs procèdent un peu comme Philon, rattachant leurs idées au code sacré, mais l'interprètant allégoriquement et le violentant avec une liberté bizarre pour en faire jaillir le panthéisme, qui est leur dernier mot. En effet, selon le premier de ces écrits, tous les êtres sortent par degrés de l'unité mystérieuse au sein de laquelle ils doivent rentrer. Ces degrés ou formes immuables de l'être, au nombre de dix [l'Esprit de Dieu ou la sagesse ou le logos, le souffle de la parole ou l'air, l'eau qui fournit les éléments grossiers, le feu qui a servi aux globes célestes, les quatre points cardinaux et les deux pôles], sont à la fois Dieu et le monde. Ces sephiroth sont les Eons des Gnostiques, les Suvaμes de Philon, les idées de Platon et les nombres de Pythagore. Le monde, fait par la parole, est l'image de celle-ci; car ce livre enseigne l'émanation de la philosophie orientale au lieu de la création des textes hébraïques. Le zohar, plus explicite à cet égard, pose l'Étre, le seul et unique qui est, comme le principe de tout, celui dont les autres existences ne sont qu'une expression variée sans bornes [l'Ensoph], qui embrasse encore le possible et ce qui est au delà, mais qui était sans limite comme l'Océan, et s'ignorait lui-même avant d'avoir revêtu une forme, l'univers. Cet être, appelé l'inconnu des inconnus, le mystère des mystères, l'ancien des anciens, et même le néant, se manifesta, en sortant des ténèbres, en dix sephiroth, qui furent autant d'évolutions ou de degrés de l'Être infini, de l'essence divine, avant le commencement de la création. Ces sephiroth théogoniques, qu'il ne faut pas confondre avec les sephiroth cosmogoniques, sont la couronne, la sagesse, l'intelligence, ou

l'ensemble des types et des idées, qui forment la première triade et occupent la tête, quand En-soph est représenté en homme. La grâce, la justice et la beauté forment la seconde triade. Suivent le triomphe, la gloire, le fondement, le centre de ces forces, et la royauté.

Cet ensemble d'évolutions est-il Dieu ou autre chose? Les kabbalistes disent d'abord qu'elles forment un être complet qui n'est plus Dieu, qui est l'homme idéal, Adam-Kadmon, la copie de Dieu et le type de l'homme, médiateur de l'un et de l'autre. Mais ils disent aussi qu'après s'être ainsi évolutionné lui-même dans le monde des sephiroth (acilout), Dieu s'est évolutionné dans les autres êtres, dans le monde des esprits et des âmes pures (beriah), dans celui des corps célestes (iecirah), et dans le monde terrestre (assiah), qui tous participent à son être, en sorte que tout, même le génie du mal, prendra part un jour au sabbat éternel de la vie bienheureuse, quand il sera redevenu pur. C'est là le banquet éternel des gnostiques. Cette partie de la kabbale s'appelle la science du char, et a l'air de broder sur la vision d'Ezéchiel où il est question du char céleste, comme la première brode sur la Genèse.

La démonologie de la kabbale est également empruntée à l'Orient, mais ses démons ne sont que de simples forces de la nature, animées pour servir de messagers divins. Chaque monde a ses forces ou ses anges gouvernés par des chefs qui maintiennent l'ordre dans l'œuvre de tous et l'harmonie dans la marche des sphères. Le chef du monde beriah, Metathrone, commande dix classes qui président aux diverses parties de la naturė, et contiennent les dix classes de démons qui occupent des régions où le mal va toujours croissant, et qui rappellent les dix cercles ou globes gnostiques. [V. le diagramme dans mon Histoire du Gnosticisme.] Le monde inférieur est rempli de génies matériels des deux sexes,

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