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DE L'ORGANISATION JUDICIAIRE

EN FRANCE.

« Plus on pourra dispenser les juge's de connaître de la question de fait, plus la magistrature approchera de « l'idée la plus sublime qu'on puisse se faire d'un juge, celle de l'organe im passible de la loi. »

(MEYER, Des institutions judiciaires, t. IV, p. 519.)

LIVRE PREMIER.

INTRODUCTION.

Ce livre fait suite à celui que j'ai déjà publié sur la décentralisation administrative, il en est le complément, car on a vainement séparé en théorie la justice de l'administration; elles se touchent par tant de points qu'il est impossible de réglementer l'une sans être conduit nécessairement à réformer l'autre; ces deux réformes procèdent d'ailleurs du même principe, celui de la souveraineté nationale et tendent au même but, fonder la liberté et la sécurité sur le respect de tous les droits. Pour l'une comme pour l'autre, il faut partir de cette vérité, aujourd'hui généralement reconnue, que, plus les nations s'éclairent et avancent en civilisation et plus la

part de gouvernement qu'elles déléguent au pouvoir central est restreinte; plus est grande, par contre, celle qu'elles se réservent pour l'exercer elles-mêmes.

A quoi se réduirait la souveraineté d'une nation qui n'aurait retenu ni le droit de s'administrer, ni celui de se juger? tout au plus au droit de changer de maître à volonté. Cette nation aurait beau inscrire dans toutes ses constitutions, graver sur tous ses monuments, le principe de sa souveraineté, elle n'en possèderait que la formule, elle en aurait aliéné les attributs les plus essentiels.

Or, c'est cette souveraineté réelle qu'il s'agit de restituer au pays. Ce que j'ai fait dans ce sens pour les choses de l'administration, je vais le tenter pour la justice. Je propose de rendre aux citoyens tout ce qui, dans l'œuvre de la justice, peut aussi bien être accompli par des personnes privées que par les délégués du pouvoir. Telle est l'idée fondamentale de ce travail que j'ai l'honneur de soumettre à l'Académie, et pour lequel je sollicite d'autant plus son indulgence que certains de ses précédents me font craindre que mes idées ne soient pas complètement d'accord avec celles qui ont déjà plusieurs fois prévalu dans son sein.

Deux conditions m'ont toujours paru indispensables pour fonder un gouvernement libre, la spontanéité, des citoyens, et le sentiment de leur responsabilité. La spontanéité, c'est une plus large participation des administrés à la gestion de leurs affaires qui doit la produire; je vois avec bonheur que l'impulsion est donnée et que les esprits sérieux et vraiment libéraux, travaillent

dans ce sens. Quant à la responsabilité, c'est-à-dire à la conscience que chacun a de son droit et du respect qu'il doit porter à celui d'autrui, on ne peut l'obtenir qu'autant que le droit lui-même est fortement garanti; car on peut être assuré d'avance, que là où le droit n'est pas suffisament garanti, il est méprisé et, par conséquent, incessament violé.

C'est ce qui nous arrive en France; dans aucun autre pays, le respect de la loi n'est plus généralement professé dans les mots et plus outrageusement violé dans les choses.

Qu'on parcoure les annales de notre histoire moderne, on y verra presqu'à chaque page la violence se subtituant au droit. Peuples et gouvernement, c'est à qui violera le plus ouvertement la légalité. Tantôt c'est une assemblée qui accuse, juge, condamne le roi dont elle avait solennellemeut juré l'inviolabilité; puis, c'est le chef de l'état qui, à son tour, viole à main armée les droits de la représentatiou nationale qu'il était chargé de défendre; un jour c'est l'armée qui sert d'instrument à un coup d'état contre le peuple; un autre jour c'est le peuple qui se lève contre l'armée elle-même; et c'est ainsi que, de coups d'état en coups d'état, de revanche en revanche, notre société a passé près d'un siècle entier, au milieu de convulsions successives, sans pouvoir rien fonder de durable.

« Il y a, disait Royer-Collard, dans son langage si élevé, une grande école d'immoralité ouverte depuis cinquante ans parmi nous; cette école, c'est la succession de victoires toujours glorifiées qu'a remportées en France

la force sur le droit. Repassez-les, elles se nomment 6, 8 et 9 août, 21 janvier, 18 brumaire. etc. »

Depuis le jour où ce jugement, sévère, mais trop mérité, à été porté sur notre pays, que de dates sinistrés à ajouter à celles que ce grand citoyen signalait déjà: 24 février 1848, 2 décembre 1851, 4 septembre 1870, et hier encore, c'était une formidable insurrection qui menaçait jusqu'à l'existence de la société tout entière.

Ainsi, le mal se continue; il est même en progrès, car les attentats se renouvellent plus fréquemment, se consomment avec plus de facilité, et produisent des conséquences de plus en plus fatales.

Il est bien temps de s'arrêter dans cette voie, au bout de laquelle seraient le marasme et la mort.

Ne craignons donc pas d'aller jusqu'à la racinë de cé mal qui est devenu en quelque sorte organique chez nous, et d'employer les remèdes les plus héroïques pour l'extirper.

Et, puisqu'ainsi que tout le monde le reconnaît, c'est le mépris du droit qui a produit ces catastrophes, employons ce que nous avons d'énergie à restaurer dans notre pays le respect du droit et surtout à le faire pénétrer profondément dans nos mœurs.

Sans doute, pour obtenir un si grand résultat il ne suffira pas de faire subir à notre ordre judiciaire une rẻforme quelque profonde qu'elle soit; il faudra encore y employer le concours de toutes les forces morales de la société; le sentiment religieux réveillé, réchauffé au souffle de la libertě; une éducation publique mieux dirigée, l'autorité du père de famille fortifiée, la prédica

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