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maritimes. Elle posa avec une mâle énergie, des exigences indomptables vis-à-vis du monde entier.

Mazarin aurait voulu échapper à cette pression: un instant, il espéra éviter la nécessité de pactiser avec Cromwell, en formant avec les Provinces-Unies une étroite alliance contre l'Angleterre et l'Espagne. Le 2 septembre 1650, le prince d'Orange écrivit de La Haye au comte d'Estrades, gouverneur de Dunkerque, en l'invitant à venir le trouver sous un prétexte, pour recevoir une communication très-importante (1).

La lettre de Mazarin à d'Estrades, datée de Paris le 15 septembre, fait connaître l'objet de cette visite. Le Cardinal lui transmet l'ordre de la reine, de se rendre aussitôt près le prince d'Orange « et afin, dit-il, que vous soyez en état de traiter avec lui si vous le trouvez disposé à rompre avec l'Espagne, je vous envoie le pouvoir du roi pour conclure le traité, et ce sera le plus grand service que vous sauriez jamais rendre au Roi; en mon particulier je vous saurai très-bon gré si vous portez ce prince à rompre avec l'Espagne, ce qui romprait toutes les mesures de mes ennemis et dissiperait les cabales et factions qui paraissent à la Cour et dans le Parlement contre moi. Je vous prie de ne rien négliger pour faire réussir cette affaire qui est très-importante (2). >

Un projet de traité fut dressé à La Haye le 20 octobre, entre Guillaume d'Orange et d'Estrades (3). Le roi

(1) Lettres - Mémoires et négociations du comte d'Estrades, (édition de Londres, 1743), t. I, p. 99.

(2) Ibid., p. 100. (3) Ibid., p. 101.

de France s'engageait d'attaquer Bruges, et le prince d'Orange Anvers. Ils devaient tous deux rompre en même temps, le 1er mai 1651 avec Cromwell, tâchant par toutes sortes de voies de rétablir le roi d'Angleterre dans ses royaumes et continuant la guerre contre les rebelles, comme aussi ne consentant que de concert accommodement avec l'Espagne. Entre autres articles secrets, se trouve le suivant :

<< M. le prince d'Orange promet de faire tenir une flotte de 50 navires bien équipés dans la Manche, à commencer du premier jour de mai 1651, qui restera en mer jusqu'à la fin de novembre de la même année, pour agir tant contre l'Espagne que contre les rebelles d'Angleterre. »

La puissance navale de la Hollande était prépondérante à cette époque; en l'unissant aux armées victorieuses de la France, on pouvait obtenir de grands résultats.

Mais la mort du prince d'Orange, qui succomba le 6 novembre suivant, déjoua ce projet, en livrant les Provinces-Unies à l'influence de l'Angleterre. Mazarin se vit seul, en face de l'Espagne, ardente ennemie de la France, et en face des hésitations de Cromwell. Quoique travaillant sous main contre lui, il n'avait jamais cessé de le ménager; il résolut donc de frapper un grand coup pour gagner son appui. Il fallait pour cela rétablir les relations commerciales entre la France et l'Angleterre et reconnaître le régime nouveau.

L. WOLOWSKI.

JOSEPH JOUBERT.

Dans un tableau général de la philosophie française au XIXe siècle, dont l'idée m'a souvent tenté, et en vue duquel j'ai tracé, à titre d'essais, quelques esquisses partielles, il devrait y avoir une place à part, un coin intime et réservé du tableau où seraient groupés ces inspirateurs d'idées, ces conseillers intimes du génie, philosophes d'instinct et de sentiment plus que de doctrine, écrivains non pour le public, mais pour eux-mêmes, qui se sont tenus comme dans l'ombre des grandes renommées par excès de modestie ou par une sorte de noble pudeur, de répugnance aux artifices et aux violences de la célébrité.

Au premier rang de ce groupe d'élite se placerait Joseph Joubert, ce doux rêveur qui fit si peu de bruit dans le monde pendant qu'il vécut, inconnu, ou à peu près, en dehors du cercle intime où s'écoulait son âme avec sa vie en longs entretiens qui n'étaient guère que des méditations parlées.

Qu'est-ce que la destinée littéraire de Joubert, si on met en regard celle de son ami Châteaubriand? De celui-ci on peut dire qu'il est entré de plain-pied dans la gloire. L'éclat impérieux du talent, l'instinct ou l'art de la mise en scène, le prestige des brillantes nouveautés de sentiment ou d'idée exagérées par le relief de l'expression, une certaine harmonie préétablie avec les tendances de l'esprit public et qui double l'effet du génie même par l'à-propos des œuvres, voilà ce qui

assure à certains écrivains une prise de possession immédiate de la renommée. Leur apparition est un avénement, leur marche un triomphe. Les réclamations et les murmures se perdent dans le bruit grandissant de l'apothéose. Voyez comme Châteaubriand conquiert rapidement son époque et comme il la domine! comme il prolonge son empire jusqu'aux approches de notre génération! Il est vrai que ces exagérations de succès, ces anticipations d'immortalité subissent d'implacables retours d'opinion. La réflexion finit par prendre ses revanches sur les surprises de l'enthousiasme. Bien des choses sont remises en question. Arrive un jour où la justice littéraire n'a plus qu'à se défendre des entraînements contraires. Voyez encore Châteaubriand. Que d'atteintes à sa gloire posthume! La statue du demi-dieu est encore debout; mais que de nuages amoncelés autour de ce front olympien, et comme déjà le rayon a pâli!

Pendant que ces conquérants prennent d'assaut la gloire. et s'établissent du premier élan au sommet d'un siècle, plus d'une intelligence d'élite, l'égale à certains égards de ces victorieux, médite ou rêve à l'écart des chemins où passe le bruyant triomphe.

Il y a ainsi, à côté et en dehors de la voie triomphale, de ces méditatifs auxquels la foule ne prend pas garde, mais qui jugent admirablement la foule et ses idoles, qui, sans refuser au génie l'admiration à laquelle il a droit, ne veulent être ni dupes ni complices des apothéoses, qui se retirent avec une sainte horreur loin des sentiers battus et du tumulte humain, qui, au lieu de se produire, se concentrent, au lieu de se disperser, se recueillent, qui, jouissant d'euxmêmes et de leur pensée, ne l'excitent pas à se répandre au dehors par une fécondité artificielle, mais la laissent se former lentement, élaborer sa sève, et la recueillent goutte à

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