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pas du tout prouvé (1); mais on ne peut contester, à moins d'ébranler tous les fondements des études bouddhiques, que l'Abhidharma ne soit l'œuvre du premier concile, confirmée à deux reprises par les assemblées postérieures. Il peut être exact de croire, comme l'a cru Eugène Burnouf cité par M. Max-Müller, que la doctrine du néant ne se trouve point dans les deux premières Corbeilles, des Soûtras et du Vinâya, et qu'elle n'apparaît que dans la troisième; ceci veut dire seulement qu'on n'a classé dans le Vinaya que ce qui regardait la discipline, et dans les Soûtras que ce qui regardait la biographie du maître. Mais l'Abhidharma n'en est pas moins authentique, puisque, sans lui, le faisceau de la Triple Corbeille n'existerait plus et que le Canon serait mutilé.

Il faut aller plus loin, et ce n'est pas s'avancer témérairement que d'affirmer que, pour l'interprétation exacte de la pensée du Bouddha, l'Abhidharma a beaucoup plus de poids que le Vinaya, ou même que les Soûtras. Toutes les doctrines, quand elles veulent se rendre compte un peu profondément des choses et d'elles-mêmes, aboutissent nécessairement à un système de métaphysique. C'est une loi inévitable à la fois pour toutes les écoles de philosophie et même pour toutes les religions, qui, à cet égard comme à tant d'autres, sont des philosophies. C'est là ce qui explique, à côté des livres sacrés proprement dits, la formation des théologies; et, par exemple, dans le sein du christianisme, c'est à ce besoin impérieux que répondent les Pères de l'Église. En commentant les Évangiles et la Bible, ils ne font pas autre chose que la métaphysique du christianisme, et si on veut la connaire, c'est uniquement dans leurs cuvrages qu'il faut l'aller chercher. L'Abhidharma ne fait pas exception dans l'histoire

(1) Plus loin j'exposerai mes motifs, pour ne pas croire à l'ancienneté supposée du Dhammapada.

religieuse; seulement les bouddhistes ont placé la métaphysique dans le canon, tandis que l'Église chrétienne l'a laissée en dehors. Les brahmanes avaient fait beaucoup de métaphysique fort irrégulière et fort confuse à la suite et à l'occasion des Védas; les bouddhistes ne voulurent pas faire moins que leurs rivaux; mais ils furent plus méthodiques, et ils divisèrent les matières avec une rigueur que le brahmanisme n'avait pas connue, mais qu'il avait peut-être provoquée par une réaction assez naturelle contre des antagonistes.

On peut donc soutenir que l'Abhidharma est entouré de plus d'autorité que le Dhammapada.

La même assertion peut s'étendre jusqu'à la Prâdjnâpâramitâ. Par malheur on ne sait pas la date exacte de ce monument, et il est possible qu'on ne puisse jamais porter toute la lumière désirable sur ce point si intéressant et si obscur. Mais la Prâdjnàpâramità, dans ses trois ou quatre rédactions plus ou moins étendues, reproduit toujours la doctrine de l'Abhidharma, et l'Abhidharma lui-même ne fait que reproduire la doctrine des Soûtras, en développant les principes qu'ils contiennent et leurs germes féconds. C'est surtout à Eugène Burnouf qu'il faut s'adresser pour voir par quels liens étroits sont enchaînés les uns aux autres ces trois ordres de monuments Soûtras, Abhidharma, Pradj nâpâramitâ, le premier donnant naissance au second, qui lui-même engendre le troisième (1). Les rapports de succession et de généra

(1) Voir Eugène Burnouf, Introduction à l'Histoire du bouddhisme indien, p. 454 et suiv., et aussi p. 40. L'ouvrage d'Eugène Burnouf, quoique le premier en date, est encore l'autorité la plus sûre et la plus complète. Il est, d'ailleurs, à remarquer que le mot d'Abhidharma s'applique à toute une classe d'ouvrages formant la troisième Corbeille, et ce n'est pas un nom particulier d'ouvrage comme celui de Pradjnâ pâramitâ.

tion sont manifestes; et, dans ces études, où les points fixes sont si rares et si clair-semés, ceux-là doivent être considérés comme absolument acquis à la science et désormais incontestables. Je ne sais pas si la conviction de tous les indianistes est aussi arrêtée que la mienne peut l'être; mais la démonstration fournie par Eugène Burnouf me paraît irrésistible. Il est impossible de séparer ces trois termes et ces trois documents essentiels : Soûtras, Abhidharma, Pradj nâpâramità. Toute différence gardée, ce sont l'Évangile, les Épîtres des Apôtres, et les Commentaires des Pères de l'Église.

A cette première objection contre les théories de M. MaxMüller, on peut en ajouter une seconde. La doctrine du nihilisme, telle qu'elle se produit dans l'Abhidharma et la Pradjnâpâramitâ, se montre déjà dans plusieurs des Soûtras les plus authentiques; et le jeune Siddhartha, dès ses premières réflexions à Loumbinî, le Bodhisattva à Bodhimanda, concevait l'idée fondamentale de tout le système, le vide de toutes choses et le néant de ce que le vulgaire des philosophes prend pour la substance (1). C'est jusqu'à cette origine lointaine qu'il faut remonter pour se rendre compte de la pensée du néant, qui éclate dans les interminables expositions de la Pradjnâpâramitâ, qui est avouée avec un peu plus de discrétion dans l'Abhidharma, et qui découle des Soûtras, source primitive de tout ce qui en est sorti par une conséquence légitime. Ainsi la doctrine du nihilisme, loin d'être étrangère au Bouddha, vient de lui; et le vulgaire, qui ne la comprend pas dans son étendue et sa profondeur, s'attache aux exemples du maître bien plus qu'à ses principes, parce que les exemples sont d'un facile accès et que les principes sont à peu

(1) Voir mon ouvrage intitulé le Bouddha et sa religion, 3 édition, p. 10 et 28, sur Loumbinî et Bodhimanda.

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près inaccessibles. Le vulgaire médite peu, et il n'y a pas à l'en blâmer; il croit beaucoup plus qu'il ne discute, et il a bien raison. Il n'est rien dans tout cela qui doive nous étonner, et l'on trouverait dans l'histoire de toutes les religions une foule de faits analogues qu'il serait facile de rapprocher de ceux-là.

Enfin, une dernière objection qu'on peut élever contre M. Max-Müller, c'est qu'aujourd'hui les esprits les plus éclairés chez les nations bouddhiques ne donnent pas au Nirvâna le sens d'immortalité et de béatitude éternelle que M. Max-Müller suppose. Pour soutenir cette thèse, il faut récuser le témoignage des missionnaires que j'ai cités plus haut; et pour moi je m'en tiens à ce témoignage très-puissant loin de le rejeter. 11 faut croire que les bouddhistes de nos jours, en Chine, au Birman, à Ceylan, au Népal, au Tibet, ont conservé la tradition d'une manière assez fidèle, et ils n'ont aucun intérêt à tromper sur leurs croyances réelles, ceux qui les interrogent avec une sincérité égale à la leur. Quant au paradis de Mahomet et aux Champs-Élysées, ce ne sont pas des idées qui soient à l'usage des peuples que le bouddhisme a séduits; elles sont exclusivement arabes et grecques. On peut dire, il est vrai, qu'elles sont humaines aussi. Seulement elles n'ont pas cours parmi ceux à qui on les prête, et qui ne semblent pas très-disposés à les comprendre. Mais il faut en venir, après cette digression, au Dhammapada lui-même, tel que nous le connaissons par l'édition de M. Fausböll et par les traductions de M. Albrecht-Weber et de M. Max-Müller.

BARTHÉLEMY SAINT-HILAIRE.

(La suite à une prochaine livraison.)

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Mazarin venait de frapper un grand coup par l'arrestation des princes (18 janvier 1650): il avait réussi à pacifier la Normandie et il voulait donner à nos relations du dehors une allure régulière.

Le préambule de la déclaration du 1er février 1650, consacre les idées les plus libérales en matière de commerce. Il commence par faire ressortir les avantages des relations d'échange entre les divers peuples, résultat fructueux de la pacification générale.

« Louis, etc. Nous avons assez fait connaître depuis notre avénement à la couronne, que tous nos desseins et nos actions, même l'emploi de nos armes, ne tendaient qu'à la paix, pour faire que non-seulement nos sujets pussent au plus tôt recueillir les fruits de ce bien tant désiré, mais aussi qui était rendu général, et toute la Chrétienté se trouvant en repos, les désordres de la guerre venant à cesser et la paix affermie par le consentement de tous ceux qui y seraient compris, le commerce fut heureusement rétabli partout, et

(1) Voir t. LXXXII, p. 59 et 161, et plus haut p. 101.

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