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mort un jeune voleur de grands chemins, fut enfermé avec le coupable dans une petite chapelle; et tandis qu'il s'efforçait de le porter au repentir de ses crimes, s'apercevant que cet homme ne l'écoutait qu'avec beaucoup de distraction, l'en reprenait avec tout le zèle dont, en pareil cas, une bonne âme est capable.

"Vous avez raison, mon révérend père,” lui répondit le criminel; "mais voyez mon âge. Apprenez même qu'une mauvaise éducation jointe au délire d'un tempérament fougueux'est la seule cause de mon crime, c'est-à-dire, du premier dont je me sois jamais rendu coupable; et si vous consentez à me sauver la vie, soyez sûr que les remords dont vous me pénétrez me la feront consacrer à racheter mon crime par la conduite la plus opposée à celle qui m'a rendu digne du supplice que je suis près de subir."

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"Eh! comment cela, mon ami!" lui dit le bon ministre qui commençait à s'attendrir. "Voyez, Monsieur, cette fenêtre, qui n'est pas assez élevée pour m'ôter l'espérance de me sauver sur le toit de la prison, pour peu que vous ayez assez de pitié de moi pour vous y prêter." "5 Fort bien, mon fils! mais m'est-il possible de contribuer à votre évasion, puisque cette même fenêtre est à plus de quinze pieds de hauteur ? "Vous n'avez, mon père, autre chose à faire qu'à me laisser mettre votre chaise sur cette table, et monter dessus ; je grimperai sur vos épaules, et et me voilà

sauvé."

Le charitable ministre, après s'être prêté à cette

manoeuvre, qui réussit à ses vœux, remit la chaise à sa place, reprit son livre de prières, et attendit patiemment qu'on revînt ouvrir la chapelle. Le geôlier, en arrivant enfin accompagné du bourreau qui s'impatientait, portait en vain les yeux de toutes parts. "Qu'est donc devenu le criminel?" s'écrièrent-ils tous deux.-" C'est probablement un être fort singulier," dit le bon ministre,

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car j'ai été moi-même très-surpris de le voir partir, il y a déjà plus d'une heure,' par la fenêtre que vous voyez."

Le bourreau, qui perdait sa proie, n'eut rien de plus pressé que d'aller avertir les shériffs d'un événement qu'il ne pouvait concevoir. Ces messieurs, arrivés

à la chapelle, n'ayant pu tirer du ministre d'autre réponse, considérant, d'ailleurs, qu'il n'était point chargé de la garde du coupable, ne trouvèrent rien de mieux à faire, en prenant congé du bon ministre, que de rire de

cette aventure.

Plusieurs années après, ce même ministre voyageant et traversant les montagnes de Galles, se trouva égaré vers le soir ; un paysan, qu'il rencontra, l'avertit que les chemins de cet endroit étaient très-dangereux, surtout la nuit; l'invita ensuite à le suivre, en lui offrant un gîte où il pourrait se rafraîchir et même passer la nuit en toute sûreté. Sur quoi, le bon homme, ne voyant rien en pareil cas de mieux à faire, consentit, mais non sans quelque crainte, à le suivre.

En arrivant à une ferme, le paysan dit à sa femme : "Tue vite, mon amie, les meilleurs poulets de la basse

cour pour régaler l'hôte que je t'amène." Tandis qu'on préparait le souper arrivent huit enfants, auxquels le paysan dit: "Mes amis, remerciez ce bon ministre

sans lui, ni vous ni moi ne serions au monde . . . . Tombez à ses pieds, dis-je, c'est à lui que je dois la vie." Le ministre, surpris de ces paroles, regarde attentivement son homme et reconnaît le voleur dont il avait autrefois favorisé l'évasion.

"Je vous ai tenu parole, mon respectable et charitable père. Après m'être vu libre par vous, je suis venu dans ce pays : j'entrai dans cette ferme au service d'un maître honnête, que j'ai servi avec assez de zèle et de fidélité pour qu'il m'ait favorisé au point de m' accorder l'honneur d'épouser sa fille unique; et j'ai tâché, comme je tâcherai toujours, de me rendre digne d'elle.

"Le ciel même a béni mes intentions, au point que vous me voyez dans une très-honnête opulence et le plus heureux des hommes, en vivant au sein de ma famille. . . . C'est à vous que je dois tout ce bonheur, digne ministre ! c'est à la bonté de votre cœur. Ainsi, disposez sans scrupule de tout ce qu'il vous plaira; car il ne me reste, pour mourir content, que de pouvoir vous témoigner toute la sincérité de ma juste reconnaissance."

Ce charitable et pieux ministre, sans abuser des offres que lui faisait cet honnête fermier, ne le quitta, après avoir passé chez lui quelques jours, que pour continuer son voyage, en remerciant le ciel des bénédictions qu'il avait bien voulu répandre sur un pécheur si heureusement, et si sincèrement converti.

XLII.

LE DÉJEUNER DE NAPOLÉON.

L'une des plus habituelles fantaisies de Napoléon, c'etait de parcourir Paris incognito, à la manière du Sultan des Mille et une Nuits.

Dans ces excursions à travers la ville, il était toujours vêtu d'une redingote grise, entièrement boutonnée sur la poitrine. Il portait un chapeau rond à larges bords. Impatient de voir le monument de la place Vendôme terminé, il voulut le visiter lui-même. Dans ce but, il sortit du palais avant le jour, suivi d'un grand-maréchal du palais; il traversa le jardin des Tuileries, et se rendit sur la place Vendôme au moment où le crépuscule commençait à poindre.

Après avoir examiné la gigantesque charpente dans tous ses détails, et s'être promené à l'entour pendant trois quarts d'heure, l'empereur continua son chemin, en suivant la rue Napoléon (aujourd'hui la Rue de la Paix), et, tournant à droite, il remonta le boulevard en disant gaîment à Duroc: "Il faut que messieurs les Parisiens soient bien paresseux dans ce quartier, puisque toutes les boutiques sont encore fermées, quoiqu'il fasse grand jour."5

Tout en causant il arriva devant les Bains-Chinois, dont le restaurant avait depuis peu été repeint à neuf. "Si nous entrions là pour déjeuner?" dit Napoléon à Duroc. "Qu'en pensez-vous? cette tournée ne vous a-t-elle pas donné de l'appétit ?"

"Sire, c'est trop tôt; il n'est encore que huit heures." "Bah! bah! votre montre retarde toujours. Moi, j'ai faim.” Et l'empereur entre dans le café, s'assied à une table, appelle le garçon, et lui demande des côtelettes de mouton, une omelette aux fines herbes (c'étaient ses mets favoris), et du vin de Chambertin.

Après avoir mangé de très-bon appétit et avoir pris une demi-tasse de café, qu'il prétendit être meilleur que celui qu'on lui servait habituellement aux Tuileries, il appelle le garçon, lui demande la carte, et se lève, en disant à Duroc : "Payez, et rentrons; il est temps." Puis, se posant sur le seuil de la porte du café, les mains croisées sur le dos, il se met à siffler entre ses dents un récitatif italien."

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Le grand-maréchal s'étant levé en même temps que l'empereur, et, après avoir vainement fouillé toutes ses poches, acquit enfin la certitude que, dans la précipitation qu'il avait mise le matin à s'habiller, il avait oublié sa bourse. Or, il savait que Napoléon ne portait jamais d'argent sur lui: il hésitait dans le parti qu'il avait à prendre. Le garçon attendait. Le total montait à douze francs. Pendant cet incident, l'empereur, qui n'a rien vu, peu habitué à ce qu'on le fasse attendre, ne conçoit pas la lenteur que met Duroc à le rejoindre ; déjà même il a tourné la tête plusieurs fois de son côté, en disant d'un ton d'impatience: "Allons! dépêchons; il se fait tard." 8

Le grand-maréchal prend enfin son parti, et, s'approchant de la maîtresse du café, qui se tient au comptoir,

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