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pour le nourrir, et quelques pieds pour l'enterrer.

J'ai vu dans ma jeunesse le tombeau de Cyrus, sur lequel était écrit: Je suis Cyrus, celui qui conquit l'empire des Perses. Ami, qui que tu sois, et quelle que soit ta patrie, ne m'envie pas ce peu de terre qui couvre ma cendre.' Hélas! dis-je, en détournant les yeux, il ne vaut pas la peine d'être conquérant." Marmontel.

XXXVIII.

BEL EXEMPLE D'AMOUR FILIAL.

Un enfant de très-bonne naissance, placé à l'École Royale Militaire de Paris, se contentait, pendant plusieurs jours, de manger de la soupe et du pain sec avec de l'eau. Le gouverneur, averti de cette singularité, l'en reprit, attribuant cela à quelques excès de dévotion mal-entendue. Le jeune enfant continuait toujours sans dévoiler son secret.

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Monsieur Paris-Duvernai, instruit par le gouverneur de cette persévérance, le fit venir; et, après lui avoir doucement représenté combien il était nécessaire d'éviter toute singularité, et de se conformer à l'usage de l'école, voyant que l'enfant ne s'expliquait point sur les motifs de sa conduite, fut contraint de le menacer, s'il ne la réformait, de le rendre à sa famille.

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“Hélas! monsieur," dit alors l'enfant, Vous voulez savoir la raison que j'ai d'agir comme je fais; la voici: Dans la maison de mon père je mangeais du

pain noir, et en petite quantité; nous n'avions souvent que de l'eau à y ajouter; ici je mange de bonne soupe le pain y est bon, blanc, et à discrétion. Je trouve que je fais grande chère, et je ne puis me déterminer à manger davantage par l'impression que me fait le souvenir de mon père et de ma mère."

M. Paris-Duvernai et le gouverneur ne pouvaient retenir leurs larmes, par la sensibilité et la fermeté qu' ils trouvaient en cet enfant. "Monsieur," reprit le premier, "Si Monsieur votre père a servi, n'a-t-il pas de pension?" "Non," répondit l'enfant, "Pendant un an il en a sollicité une : le défaut d'argent l'a contraint d'en abandonner le projet ; et, pour ne point faire de dettes à Versailles, il a mieux aimé languir."

"Eh bien," dit M. Paris-Duvernai, "si le fait est aussi prouvé, qu'il paraît vrai dans votre bouche, je promets de lui obtenir cinq cents francs de pension. Puisque vos parents sont si peu à leur aise, vraisemblablement ils ne vous ont pas beaucoup garni le gousset. Recevez, pour vos menus-plaisirs, ces trois louis que je vous présente de la part du roi; et quant à Monsieur votre père, je vais lui envoyer d'avance les six premiers mois de sa pension que je suis assuré de lui obtenir."

"Monsieur," reprit l'enfant, "comment pourrezvous lui envoyer cet argent?” "Ne vous inquiétez point," répondit M. Paris-Duvernai; "nous en trouverons les moyens." "Ah! Monsieur," repartit aussitôt l'enfant, "puisque vous avez cette facilité, remettez-lui aussi

les trois louis que vous venez de me donner.

Ici j'ai tout en abondance, ils me deviendraient inutiles, ils feront grand bien à mon père pour ses autres enfants."

XXXIX.

LES DEUX AMIS.

Les deux classes de l'école de Westminster n'étaient séparées que par un rideau, qu'un écolier déchira un jour par hasard. Comme cet enfant était d'un naturel doux et timide, il tremblait de la tête aux pieds, dans la crainte d'un châtiment qui lui serait infligé par un maître connu pour être très-rigide. Un de ses camarades le tranquillisa, en lui promettant de se charger de sa faute, et d'en subir la punition: ce que réellement il fit.

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Les deux amis, qui étaient devenus hommes lorsque la guerre civile d'Angleterre éclata, embrassèrent des intérêts opposés; l'un suivit le parti du parlement, l'autre le parti du roi, avec cette différence, que celui qui avait déchiré le rideau tâcha de s'avancer dans les emplois civils, et celui qui en avait subi la peine, dans les militaires.

Après des succès et des malheurs variés, les républicains remportèrent un avantage décisif dans le nord d'Angleterre, firent prisonniers tous les officiers considérables de l'armée de Charles, et nommèrent peu

après des juges pour faire les procès à ces rebelles, ainsi qu'on les appelait alors.

L'écolier timide, qui était un de ces magistrats, entendit prononcer parmi les noms des criminels celui de son généreux ami, qu'il n'avait pas vu depuis qu'ils avaient quitté le collége, le considéra avec toute l'attention possible, crut le reconnaître, s'assura par des questions sages qu'il ne se trompait pas, et sans se découvrir lui-même, prit avec un grand empressement le chemin de Londres. Il y employa si heureusement son crédit auprès de Cromwell, qu'il préserva son ami du triste sort qu'éprouvèrent ses infortunés complices.

XL.

LES CONSOLATIONS ET LES PLAISIRS DE LA RELIGION.

"Le triomphe de la religion," dit Bélisaire, "est de consoler l'homme dans l'heure de l'adversité, et de mêler les douceurs du plaisir dans la coupe qui contient les amertumes de la vie. Qui l'éprouve mieux que moi ?1 Accablé de vieillesse, privé de la vue, sans amis, abandonné à moi-même, et ne voyant devant moi que la douleur et la tombe; si je perdais l'espérance que j'ai placée dans le ciel, que me resterait-il que le désespoir ? L'homme de bien est avec Dieu, il est assuré que Dieu l'aime; ce sentiment secret lui donne de la force, et le remplit de joie au milieu de ses afflictions.

Quand mes malheurs commencèrent, quand je fus abandonné de tout le monde, quand mes ennemis conjuraient ma ruine, je me suis dit souvent: Courage, Bélisaire, tu n'as pas de reproches à te faire, et Dieu te voit! Mon cœur, serré de douleur, se dilatait à cette idée : elle rendait la vie et la force à mon âme. Je me parle de même encore; et quand ma fille est avec moi, quand elle s'abandonne à la douleur, et baigne mon visage de ses larmes; crains-tu, lui dis-je, que celui qui nous a créés nous abandonne ? Ton cœur est pur, sensible et bon; ton père te ressemble; et peux-tu t'imaginer que celui qui est tout bon abandonnera cette vertu qu'il aime.

O ma fille ! quand Dieu, qui a créé nos âmes, les rappellera en sa présence, les méchants ne les y suivront pas pour troubler leur état de bonheur. Ma pauvre fille écoute avec attention ce langage consolant, et ses pleurs coulent. Mais ce sont des larmes qui coulent mêlées de plaisir; et ainsi, par degrés, je l'accoutume à considérer la vie comme un voyage que nous faisons, dans une barque où nous sommes peu à notre aise, mais qui conduit dans un port où tout est paix et bonheur. -Marmontel.

XLI.

LE BON ET CHARITABLE MINISTRE.

Un bon vieux et très-respectable ministre ayant été mandé,'il y a environ cinquante ans, pour disposer à la

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