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cessaient de vendre chèrement leur vie; les uns arrachaient les flèches encore fumantes de leur propre sang, et les renvoyaient à l'ennemi ; d'autres, saisissant leurs haches d'armes, disputaient les corps de leurs frères immolés, les chargèrent sur leurs épaules, et les emportèrent en triomphe dans l'île, comme si, morts ou vivants, ils ne voulaient jamais se quitter.

Le seul homme qui échappa au carnage fut Kilchmatter, leur chef; on le trouva deux jours après la bataille avec sept blessures; il respirait encore, et sa vie fut sauvée ; il retourna dans son canton, dont il fut long-temps après le premier magistrat.

Le Dauphin ne trouvant plus d'ennemis de ce côté, fit marcher ses troupes vers l'hôpital de Saint-Jacques; l'artillerie fut amenée, et les murs renversés ; des torches allumées furent jetées sur le toit, et les Suisses se virent bientôt environnés de flammes. Ciel! quel spectacle qu'on s'imagine ces guerriers s'élançant du milieu de l'embrasement comme des lions attaqués dans leur repaire, qui ne combattent pas pour épargner leurs vies, mais pour immoler leurs ennemis; le bâtiment s'écroula, et ce fut sur ses décombres, au moment où le soleil répandait ses derniers rayons sur cette scène de carnage, que tombèrent les derniers de ces illustres martyrs de la liberté de leur patrie.

C'est ainsi que finit ce jour mémorable, égal à celui qui éclaira les exploits de Léonidas. Les batailles de Salamine, de Platée, de Marathon; les victoires de Marius, et tant d'autres, ont leur parallèle dans l'his

toire de la Suisse; mais ces Helvétiens n'étaient pas des Grecs, et les Autrichiens qu'ils vainquirent n'étaient pas des Perses; voilà l'unique raison pourquoi les exploits de ces braves montagnards sont moins célèbres.

Douze hommes qui avaient été séparés de leurs compagnons d'armes, au commencement de la bataille de Saint-Jacques, et qui, malgré leurs efforts, ne purent rejoindre leur bannière, retournèrent dans leurs familles ; mais ils furent traités de lâches, et déshonorés comme tels, pour avoir survécu à leurs frères. Ils n'échappérent à une mort honteuse qu'en abandonnant leur patrie. -Conservateur Helvétique.

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XXXIII.

LA JUSTICE ET LA CHARITÉ.

Ne pas faire à autrui ce que nous ne voudrions pas qu'on nous fit, voilà la justice.

Faire pour autrui, en toute rencontre,' ce que nous voudrions qu'il fit pour nous, voilà la charité.

Un homme vivait de son travail, lui, sa femme et ses petits enfants; et comme il avait une bonne santé, des bras robustes, et qu'il trouvait aisément à s'employer, il pouvait sans trop de peine pourvoir à sa subsistance et à celle des siens.

Mais il arriva qu'une grande gêne étant survenue2 dans le pays, le travail y fut moins demandé, parce qu'il

n'offrait plus de bénéfices à ceux qui le payaient, et en même temps le prix des choses nécessaires à la vie augmenta

Cet homme et sa famille commencèrent donc à souffrir beaucoup. Après avoir bientôt épuisé ses modiques épargnes, il lui fallut vendre pièce à pièce ses meubles, d'abord, puis quelques-uns même de ses vêtements; et, quand il se fut ainsi dépouillé, il demeura privé de toutes ressources, face à face avec la faim. Et la faim n'était pas entrée seule chez lui: la maladie y était aussi entrée avec elle.

Or cet homme avait deux voisins, l'un plus riche, l'autre moins.

Il s'en alla trouver le premier, et il lui dit: "Nous manquons de tout, moi, ma femme et mes enfants : ayez pitié de nous.”

Le riche lui répondit: "Que puis-je à cela? Quand vous avez travaillé pour moi, vous ai-je retenu votre salaire, ou en ai-je différé le payement? Jamais je ne fis aucun tort ni à vous, ni à nul autre: mes mains sont pures de toute iniquité. Votre misère m'afflige, mais chacun doit songer à soi dans ces temps mauvais qui sait combien ils dureront ?""

Le pauvre père se tut ; et, le cœur plein d'angoisse, il s'en retournait lentement chez lui, lorsqu'il rencontra l'autre voisin moins riche.

Celui-ci, le voyant pensif et triste, lui dit: “Qu' avez-vous? il y a des soucis sur votre front et des larmes dans vos yeux."

Et le père, d'une voix altérée, lui exposa son infor

tune.

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Quand il eut achevé: "Pourquoi," lui dit l'autre, vous désoler de la sorte? Ne sommes-nous pas frères ? Et comment pourrais-je délaisser mon frère en sa détresse ? Venez, et nous partagerons ce que je

tiens de la bonté de Dieu.”

La famille qui souffrait fut ainsi soulagée, jusqu'à ce qu'elle put elle-même pourvoir à ses besoins.-LA

MENNAIS.

XXXIV.

LA PROBITÉ EST LA MEILLEURE POLITIQUE.

Comment pourrez-vous vous confier les uns aux autres, si vous violez votre sincérité, qui est l'unique lien de la société, et de la confiance? Après que vous aurez posé pour maxime, que les lois de la probité et de la fidélité peuvent se violer1 pour un grand intérêt, qui de vous pourra se fier à un autre, puisqu'un autre pourra trouver un grand avantage à manquer à sa parole, et à le tromper? Où en serez-vous alors? Quel est celui d'entre vous qui ne cherchera point à prévenir par ses propres artifices ceux de son voisin ? Quel sera le sort d'une ligue de tant de peuples, lorsqu'ils seront convenus entre eux, après une délibération commune, qu'il est permis de surprendre son voisin? Quelle sera votre défiance mutuelle, votre

division, votre zèle à vous détruire les uns les autres ? Adraste n'aura plus besoin de vous attaquer; vous vous déchirerez assez vous-mêmes, et vous justifierez ses perfidies.

O princes sages et magnanimes! vous qui gouvernez si sagement des multitudes innombrables, ne dédaignez pas d'écouter les conseils d'un jeune homme. Si vous tombiez dans les plus affreuses extrémités où la guerre précipite quelquefois les hommes, vous pourriez vous relever par votre vigilance, et par les efforts de votre vertu ; car le vrai courage n'est jamais réduit au désespoir; mais si vous aviez une fois rompu la barrière de l'honneur, et de la probité, cette perte est irréparable; vous ne pourriez jamais rétablir la confiance qui est nécessaire pour faire réussir toutes les affaires importantes; vous ne pourriez rappeler les hommes aux principes de la vertu que vous leur auriez appris à mépriser."

Que craignez-vous ? N'êtes-vous pas assez courageux pour vaincre sans trahison? Est-ce que votre valeur, jointe aux forces de tant de nations, ne suffit pas? Combattons, mourons, s'il le faut, plutôt que de vaincre par de si vils moyens? Adraste, l'impie Adraste, est en notre pouvoir, pourvu que nous ayons horreur d'imiter sa bassesse et sa perfidie.— Fénélon.

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