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COMEDIES DE MOLIÈRE.

SCÈNE DE L'AVARE.

Harpagon, l'Avare; Valère, Intendant d'Arpagon; Maître Jacques, cuisinier et cocher d'Arpagon.

Harpagon.—Je me suis engagé, maître Jacques. à donner ce soir à souper.

M. Jacques (à part).—Grande merveille.

Harp.-Dis-moi un peu, nous feras-tu bonne chère ? M. Jacques.-Oui, si vous me donnez bien de l'argent.

Harp.-Toujours de l'argent ! Il semble qu'ils n'aient rien autre chose à dire, de l'argent! de l'argent ! Toujours parler d'argent !

-Valère. Je n'ai jamais vu de réponse plus impertinente que celle-là. Voilà une belle merveille que de faire bonne chère avec bien de l'argent ! c'est une chose la plus aisée du monde. Mais pour agir en habile homme, il faut parler de faire1 bonne chère avec peu d'argent.

M. Jacques.-Bonne chère avec peu d'argent !
Valère.-Oui.

1 You must make.

Et de ses assassins ce grand homme entouré
Semblait un roi puissant par son peuple adoré.

Besme,1 qui dans la cour attendait sa victime,
Monte, accourt, indigné qu'on diffère son crime;
Des assassins trop lents il veut hâter les coups:
Aux pieds de ce héros il les voit trembler tous.
A cet objet touchant lui seul est inflexible;
Lui seul, à la pitié toujours inaccessible

Aurait cru faire un crime, et trahir Médicis,
Si du moindre remords il se sentait surpris.
A travers les soldats, il court d'un pas rapide :
Coligny l'attendait d'un visage intrépide:
Et bientôt dans le flanc ce monstre furieux
Lui plonge son épée en détournant les yeux,
De peur que d'un coup d'œil cet auguste visage
Ne fît trembler son bras, et glaçât son courage.

Du plus grand des Français tel fut le triste sort :
On l'insulte, on l'outrage encore après sa mort.
Son corps, percé de coups, privé de sépulture,
Des oiseaux dévorants fut l'indigne pâture;
Et l'on porta sa tête aux pieds de Médicis :
Conquête digne d'elle et digne de son fils!
Médicis la reçut avec indifférence,
Sans paraître jouir du fruit de sa vengeance,
Sans remords, sans plaisir, maîtresse de ses sens,
Et comme accoutumée à de pareils présents.

VOLTAIRE La Henriade.

'Besme, a Danish officer, who, on St. Bartholomew's Day,

in 1572, murdered Coligny.

COMEDIES DE MOLIÈRE.

SCÈNE DE L'AVARE.

Harpagon, l'Avare; Valère, Intendant d'Arpagon; Maître Jacques, cuisinier et cocher d'Arpagon.

Harpagon.-Je me suis engagé, maître Jacques. à donner ce soir à souper.

M. Jacques (à part).-Grande merveille.

Harp.-Dis-moi un peu, nous feras-tu bonne chère ? M. Jacques.-Oui, si vous me donnez bien de l'argent.

Harp.-Toujours de l'argent ! Il semble qu'ils n'aient rien autre chose à dire, de l'argent! de l'argent ! Toujours parler d'argent !

Valère. Je n'ai jamais vu de réponse plus impertinente que celle-là. Voilà une belle merveille que de faire bonne chère avec bien de l'argent ! c'est une chose la plus aisée du monde. Mais pour agir en habile homme, il faut parler de faire1 bonne chère avec peu d'argent.

M. Jacques.-Bonne chère avec peu d'argent !

Valère.-Oui.

1 You must make.

M. Jacques (à Valère).- Monsieur l'intendant, vous nous obligerez de nous faire voir ce secret, et de prendre mon office de cuisinier.

Harp.-Taisez-vous. Qu'est-ce qu'il nous faudra ? M. Jacques.-Voilà monsieur votre intendant qui vous fera bonne chère pour peu d'argent.

Harp.-Ah! je veux que tu me répondes.

M. Jacques. Combien de gens serez-vous à table ? Harp.-Nous serons huit ou dix; mais il ne faut prendre que huit. Quand il y a à manger pour huit, il y en a bien pour dix.

Valère. Cela s'entend.1

M. Jacques.-Hé bien! il faudra quatre grands potages et cinq assiettes

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Potages

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En

Harp.-Voilà pour traiter une ville tout entière.
M. Jacques.-Rôt. .

Harp. (mettant la main sur la bouche de M.
Jacques).-Ah! traître, tu manges tout mon bien.
M. Jacques.-Entremets2

Harp. (mettant encore la main sur la bouche de M. Jacques).-Encore!

Valère (à M. Jacques).-Est-ce que vous avez envie de faire crever3 tout le monde et monsieur a-t-il invité des gens pour les assassiner à force de mangeaille ? Allez-vous-en lire un peu les préceptes de la santé, et demander aux médecins s'il y a rien de plus préjudicia ble à l'homme que de manger avec excès.

1 Of course.

"Side-dishes.

8 To burst.

Harp.-Il a raison.

Valère. Apprenez, maître Jacques, vous et vos pareils que c'est un coupe-gorge1 qu'une table remplie de trop de viandes; que, pour se bien montrer ami de ceux que l'on invite, il faut que la frugalité règne dans les repas qu'on donne, et que, suivant le dire d'un ancien, il faut manger pour vivre, et non pas vivre pour manger.

Harp.-Ah! que cela est bien dit! approche que je t'embrasse pour ce mot. Voilà la plus belle sentence que j'aie entendue de ma vie. Il faut vivre pour manger, et non pas manger pour vi . . . Non, ce n'est pas cela. Comment est-ce que tu dis?

Valère.-Qu'il faut manger pour vivre, et non pas vivre pour manger.

Harp. (à maître Jacques).-Oui.

Entends-tu ? (à Valère.) Qui est le grand homme qui a dit cela ? Valère. Je ne me souviens pas maintenant de son

nom.

Harp.-Souviens-toi de m'écrire ces mots : je les veux faire graver en lettres d'or sur la cheminée de ma salle.

Valère. Je n'y manquerai pas; et, pour votre souper, vous n'avez qu'à me laisser faire, je règlerai' tout cela comme il faut.

Harp.-Fais donc.

M. Jacques.-Tant mieux, j'en aurai moins de peine.

1 Cut-throat place.

I will manage.

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