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Pour un fragile bois, que, malgré mon secours,
Les vers, sur son autel, consument tous les jours ?
Né ministre du Dieu qu'en ce temple on adore,
Peut-être que Mathan le servirait encore
Si l'amour des grandeurs, la soif de commander
Avec son joug étroit pouvaient s'accommoder.

Qu'est-il besoin, Nabal, qu'à tes yeux je rappelle
De Joad et de moi la fameuse querelle,
Quand j'osai contre lui disputer l'encensoir,
Mes brigues, mes combats, mes pleurs, mon désespoir ?
Vaincu par lui, j'entrai dans une autre carrière,
Et mon âme a la cour s'attacha tout entière.
J'approchai par degrés de l'oreille des rois,
Et bientôt en oracle on érigea ma voix.
J'étudiai leur cœur, je flattai leurs caprices,
Je leur semai de fleurs le bord des précipices;
Près de leurs passions rien ne me fut sacré :
De mesure et de poids je changeais à leur gré.
Autant que de Joad l'inflexible rudesse
De leur superbe oreille offensait la mollesse,
Autant je les charmais par ma dextérité ;
Dérobant à leurs yeux la triste vérité,
Prêtant à leurs fureurs des couleurs favorables,
Et prodigue surtout du sang des misérables.
Enfin, au Dieu nouveau qu'elle avait introduit,
Par les mains d'Athalie un temple fut construit.
Jérusalem pleura de se voir profanée.

Des enfants de Lévi la troupe consternée

En poussa vers le ciel des hurlements affreux.
Moi seul, donnant l'exemple aux timides Hébreux,
Déserteur de leur roi, j'approuvai l'entreprise
Et par là de Baal méritai la prêtrise.
Par là je me rendis terrible à mon rival,
Je ceignis la tiare et marchai son égal.
Toutefois, je l'avoue, en ce comble de gloire,
Du Dieu que j'ai quitté l'importune mémoire
Jette encore en mon âme un reste de terreur ;
Et c'est ce qui redouble et nourrit ma fureur.
Heureux si, sur son temple achevant ma vengeance,
Je puis convaincre enfin sa haine d'impuissance;
Et, parmi les débris, le ravage et les morts,
A force d'attentats perdre tous mes remords!
RACINE-Athalie, Acte iii. Sc. 3.

DÉSESPOIR DE CAMILLE.1

Après la mort de Curiace son amant.

Rome, l'unique objet de mon ressentiment!
Rome à qui vient ton bras d'immoler mon amant !
Rome qui t'a vu naître, et que ton cœur adore!
Rome enfin que je hais, parce qu'elle t'honore!
Puissent tous ses voisins, ensemble conjurés,
Saper ses fondements encore mal assurés !

Et, si ce n'est assez de toute l'Italie,

1 Camilla, the sister of the Horatii, the conquerors of the One of the Curiatii.

Curiatii.

Que l'Orient contre elle à l'Occident s'allie ;
Que cent peuples, unis des bouts de l'univers,

Passent, pour la détruire, et les monts et les mers;
Qu'elle-même sur soi renverse ses murailles,
Et de ses propres mains déchire ses entrailles :
Que le courroux du ciel, allumé par mes vœux,
Fasse pleuvoir sur elle un déluge de feux!
Puissé-je de mes yeux y voir tomber la foudre,
Voir ses maisons en cendre, et tes lauriers en poudre,
Voir le dernier Romain à son dernier soupir,
Moi seul en être cause, et mourir de plaisir !

CORNEILLE-Les Horaces,1 Tragédie,

Act. iv. Sc. 5.

PUISSANCE DE DIEU.

Mardochée à Esther.

Quoi! lorsque vous voyez périr votre patrie,
Pour quelque chose, Esther, vous comptez votre vie !
Dieu parle, et d'un mortel vous craignez le courroux !
Que dis-je votre vie, Esther, est-elle à vous?
N'est-elle pas au sang dont vous êtes issue?
N'est-elle pas à Dieu dont vous l'avez reçue ?
Et qui sait, lorsqu'au trône il conduisit vos pas,
Si pour sauver son peuple il ne vous gardait pas.
Songez-y bien ce Dieu ne vous a pas choisie
Pour être un vain spectacle aux peuples d'Asie,
Ni pour charmer les yeux des profanes humains;

1 Horatii, three Rcman brothers.

Pour un plus noble usage il réserve ses saints.
S'immoler pour son nom et pour son héritage,
D'un enfant d'Israël voilà le vrai partage.
Trop heureuse pour lui de hasarder vos jours!
Et quel besoin son bras a-t-il de nos secours !
Que peuvent contre lui tous les rois de la terre ?
En vain ils s'uniraient pour lui faire la guerre :
Pour dissiper leur ligue il n'a qu'à se montrer;
Il parle, et dans la poudre il les fait tous rentrer.
Au seul son de sa voix la mer fuit, le ciel tremble:
Il voit comme un néant tout l'univers ensemble,
Et les faibles mortels, vains jouets du trépas,
Sont tous devant ses yeux comme s'ils n'étaient pas
S'il a permis d'Aman l'audace criminelle,
Sans doute qu'il voulait éprouver votre zèle.
C'est lui qui m'excitant à vous oser chercher,
Devant moi, chère Esther, a bien voulu marcher;
Et s'il faut que sa voix frappe en vain vos oreilles,
Nous n'en verrons pas moins éclater ses merveilles.
Il peut confondre Aman, il peut briser nos fers
Par la plus faible main qui soit dans l'univers :
Et vous, qui n'aurez point accepté cette grâce,
Vous périrez peut-être, et toute votre race.
J. RACINE-Esther.

MORT D'ANNE DE BOULEN.1

Sire, chargé par vous d'un ordre de clémence,
Je courais à la mort enlever l'innocence.

1 Femme d'Henri VIII., roi d'Angleterre, 16ème siècle.

Je vois de tous côtés vos sujets éperdus,
Vos malheureux sujets à grands flots répandus
Dans la place où leur Reine, indignement traînée,
Devait sur l'échafaud finir sa destinée.

Ils venaient voir mourir ce qu'ils ont adoré.
Je vole au-devant d'eux, et, d'espoir enivré,
En mots entrecoupés, de loin, tout hors d'haleine,
Je m'écrie: "Arrêtez! sauvez, sauvez la Reine;
Grâce, pardon je viens, je parle au nom du Roi."
Ils ne m'ont répondu que par un cri d'effroi.
A ces clameurs succède un plus affreux silence;
J'interroge on se tait. Je frémis, je m'avance :
Je lis dans tous les yeux ; je ne vois que des pleurs :
Un deuil universel remplissait tous les cœurs.

J'étais glacé de crainte; et cependant la foule
S'entr' ouvre, me fait place, et lentement s'écoule :
J'arrive au lieu fatal, j'appelle . . . . Il n'est plus

temps,

O Reine, j'aperçois vos restes palpitans !
J'ai vu son sang, j'ai vu cette tête sacrée
D'un corps inanimé maintenant séparée.
Ses yeux, environnés des ombres de la mort,
Semblaient vers ce séjour se tourner sans effort;
Ses yeux où la vertu répandait tous ses charmes,
Ses yeux encor mouillés de leurs dernières larmes.
Femmes, enfants, vieillards, regardaient en tremblant
Ces augustes débris, ce front pâle et sanglant.
Des vengeances des lois l'exécuteur farouche,
Lui-même consterné, les sanglots à la bouche

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