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LA SAINTE ALLIANCE DES PEUPLES.

J'ai vu la paix descendre sur la terre,
Semant de l'or, des fleurs et des épis.
L'air était calme, et du dieu de la guerre
Elle étouffait les foudres assoupis.

"Ah!" disait-elle, "égaux par la vaillance, Français, Anglais, Belge, Russe, ou Germain, Peuples, formez une sainte alliance,

Et donnez-vous la main.

"Pauvres mortels, tant de haine vous lasse;
Vous ne goûtez qu'un pénible sommeil.
D'un globe étroit divisez mieux l'espace;
Chacun de vous aura place au soleil.
Tous attelés au char de la puissance,
Du vrai bonheur vous quittez le chemin,
Peuples, formez une sainte alliance,
Et donnez-vous la main.

"Chez vos voisins vous portez l'incendie ;
L'aquilon souffle, et vos toits sont brûlés;
Et quand la terre est une fois refroidie,
Le sol languit sous des bras mutilés.
Près de la borne où chaque État commence,
Aucun épi n'est pur de sang humain.
Peuples, formez une sainte alliance,
Et donnez-vous la main.

"Des potentats, dans vos cités en flammes,
Osent, du bout de leur sceptre insolent,
Marquer, compter et recompter les âmes
Que leur adjuge un triomphe sanglant.
Faibles troupeaux, vous passez sans défense,
D'un joug pesant sous un joug inhumain.
Peuples, formez une sainte alliance,
Et donnez-vous la main.

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Que Mars en vain n'arrête point sa course, Fondez des lois dans vos pays souffrants; De votre sang ne livrez plus la source Aux rois ingrats, aux vastes conquérants. Des astres faux conjurez l'influence; Effroi d'un jour, ils pâliront demain. Peuples, formez une sainte alliance, Et donnez-vous la main.

"Oui, libre enfin, que le monde respire; Sur le passé jetez un voile épais.

Semez vos champs aux accords de la lyre ; L'encens des arts doit brûler pour la paix. L'espoir riant au sein de l'abondance, Accueillera les doux fruits de l'hymen. Peuples, formez une sainte alliance,

Et donnez-vous la main."

Béranger.

SEPTIÈME PARTIE.

TRAGÉDIES ET COMÉDIES.

SCENES CHOISIES.

LA MORT DES TEMPLIERS.

Le Connétable de Chatillon à Philippe le Bel.
Un immense bûcher, dressé pour leur supplice,
S'élève en échafaud, et chaque chevalier
Croit mériter l'honneur d'y monter le premier;
Mais le grand-maître arrive; il monte, les devance
Son front est rayonnant de gloire et d'espérance :
Il lève vers les cieux, un regard assuré :
Il prie, et l'on croit voir un mortel inspiré.
D'une voix formidable aussitôt il s'écrie :

"Nul de nous n'a trahi son Dieu, ni sa patrie;
Français, souvenez-vous de nos derniers moments;
Nous sommes innocents, nous mourrons innocents;
L'arrêt qui nous condamne est un arrêt injuste.
Mais il est dans le ciel un tribunal auguste
Que le faible opprimé jamais n'implore en vain,
Et j'ose t'y citer, ô pontife romain !

Encor quarante jours! . . . je t'y vois comparaître."
Chacun en frémissant écoutait le grand maître.
Mais quel étonnement, quel trouble, quel effroi,

Quand il dit: "O Philippe ! ô mon maître ! ô mon roi !
"Je te pardonne en vain : ta vie est condamnée;
Au tribunal de Dieu je t'attends dans l'année !"
Les nombreux spectateurs, émus et consternés,
Versent des pleurs sur vous, sur ces infortunés.
De tous côtés s'étend la terreur, le silence.
Il semble que du ciel descende la vengeance.
Les bourreaux interdits n'osent plus approcher;
Ils jettent en tremblant le feu sur le bûcher,
Et détournent la tête une fumée épaisse
Entoure l'échafaud, roule et grossit sans cesse ;
Tout-à-coup le feu brille à l'aspect du trépas
Ces braves chevaliers ne se démentent pas.
On ne les voyait plus; mais leurs voix héroïques
Chantaient de l'Éternel les sublimes cantiques :
Plus la flamme montait, plus le concert pieux
S'élevait avec elle, et montait vers les cieux.

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...

Votre envoyé paraît, s'écrie . . . un peuple immense, Proclamant avec lui votre auguste clémence,

Auprès de l'échafaud soudain s'est élancé.

...

Mais il n'était plus temps. . . les chants avaient cessé. RAYNOUARD Les Templiers, tragédie.

CÉSAR1 À BRUTUS.2

Il essaie de justifier ses projets de tyrannie. Rome demande un maître ; Un jour à tes dépens tu l'apprendras peut-être. 1 Cæsar, a Roman general and emperor. 2 Brutus, a Roman who conspired against Cæsar.

Tu vois nos citoyens plus puissants que des rois :
Nos mœurs changent, Brutus ; il faut changer nos lois
La liberté n'est plus que le droit de se nuire :
Rome, qui détruit tout, semble enfin se détruire;
Ce colosse effrayant, dont le monde est foulé,
En pressant l'univers est lui-même ébranlé ;
Il penche vers sa chute, et contre la tempête
Il demande mon bras pour soutenir sa tête;
Enfin, depuis Sylla,1 nos antiques vertus,
Les lois, Rome, l'État, sont des noms superflus.
Dans nos temps corrompus, pleins de guerres civiles,
Tu parles comme au temps des Dèces, des Émiles.
Caton t'a trop séduit, mon cher fils; je prévoi
Que ta triste vertu perdra l'État et toi.

Fais céder, si tu peux, ta raison détrompée
Au vainqueur de Caton, au vainqueur de Pompée,
A ton père qui t'aime, et qui plaint ton erreur.
Sois mon fils en effet, Brutus; rends-moi ton cœur,
Prends d'autres sentiments, ma bonté t'en conjure;
Ne force point ton âme à vaincre la nature.

VOLTAIRE-La Mort de César

MATHAN À NABAL.

Il lui avoue son ambition, ses crimes et ses remords.

Ami, peux-tu penser que d'un zèle frivole

Je me laisse aveugler pour une vaine idole,

1 Sylla, a Roman dictator, who deluged Rome with blood.

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