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SIXIÈME PARTIE.

POÉSIE

FABLES.

LA FOURMI ET LA MOUCHE.

"Misérable fourmi," disait la mouche fière, "Pauvre et vil animal que le travail tuera,

Pour moi le doux loisir, la cour, la bonne chère." "Adieu," dit la fourmi; "mouche, l'hiver viendra.'

LA MODESTIE.

Quand Jupiter eut pris le soin
D'assigner aux vertus leur rang auprès de l'homme,
Celle qui méritait la pomme,

La modestie, était demeurée en un coin :
Elle fut oubliée, on ne la voyait point,

Le dieu lui dit : O vous, que la grâce accompagne,
Je ne puis vous placer, les rangs sont déjà pris:
Mais des autres vertus vous serez la compagne,

Vous en rehausserez le prix.

Jacques-Louis Grenus,

Né à Genève en 1755

LA FORTUNE ET LE MÉRITE.

Sur le chemin de la Fortune,
Le Mérite un jour se trouva.

Mon cher, dit-elle, vous voilà:
Ah! quelle rencontre opportune!

Sur mon honneur, depuis longtemps
Je vous cherche sans cesse.-Et moi je vous attends.

LA GOUTTE D'EAU.

Au fond des mers s'engloutissant,

La goutte d'eau disait : je ne suis rien au monde ! Souverain directeur de la machine ronde, Pourquoi me sortir du néant?

Dans ce moment

Une huître bâille;

Au beau milieu de son écaille

Elle reçoit la goutte d'eau,

Qui s'y durcit et devient perle fine.

Le ciel tire souvent ce qu'on voit de plus beau

De la plus obscure origine.

Antoine-Pierre Dutramblay,

Né à Paris en 1745, mort le 24 octobre 1819.

L'OFFRE TROMPEUSE.

Sur la porte d'un beau jardin

Ces mots étaient gravés: Je donne ce parterre

A quiconque est content.-Voilà bien mon affaire,
Dit un homme tout bas; j'ai droit à ce terrain.
Plein de joie il s'adresse au maître :

Pour m'établir ici vous me voyez paraître ;
Je suis content de mon destin.

Le seigneur lui répond: Cela ne saurait être ;
Qui veut avoir ce qu'il n'a pas

N'est point content: retournez sur vos pas.

Le P. Barbe.

LE RUISSEAU.

Un superbe et petit ruisseau
Formait de grands projets.-Je deviendrai rivière,
J'aurai des ponts, je porterai bateau ;

Je grossirai la mer du tribut de mon eau;
Ainsi je finirai noblement ma carrière.
Pendant l'excessive chaleur

D'une brûlante canicule,

Il devint sec. Son orgueil ridicule

Échoua contre ce malheur.

Des grandeurs et des biens ne soyons point avides;
Nous serions par le sort confondus et trahis.
Jamais l'ambition ne voit ses vœux remplis :
C'est le tonneau des Danaïdes.

Antoine-Louis Lebrun,

Né à Paris en 1689, mort en 1743.

LA PIE ET LE PINSON.

Margot la pie était dans une cage,

A côté d'un jeune pinson.

Celui-ci tous les jours répétait sa chanson:
On se plaisait à son ramage.
Margot de son maudit jargon
Étourdissait les gens de la maison.
Dès le matin la péronnelle
Commençait son sabbat, criait: A déjeuner !
Et ne cessait d'importuner.
Pour avoir la paix avec elle,
Il fallait la soûler. Notre musicien

Chantait et ne demandait rien.

Chacun disait: Vraiment il chante bien : Des louanges sans fin. Mais ce chantre agréable, Dans son petit garde-manger,

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On oubliait l'oisillon misérable :

Pas un seul grain de mil: si bien qu'un beau matin
Son maître négligent le trouva mort de faim.

Sans cesse l'importun demande, sollicite:
On le trouve partout, et l'on n'entend que lui;
C'est ainsi qu'on obtient les faveurs aujourd'hui :
Et l'on va rarement au devant du mérite.

LA JEUNE ABEILLE.

Une abeille vive et légère,

Dont on devait espérer du profit.

Prit l'essor, et, peu ménagère,

Laissa passer l'été sans faire aucun produit.
Cependant tous les jours au lever de l'aurore
Elle était à l'ouvrage et mettait tout en train :
Vous eussiez dit que des présents de Flore
Elle eût tiré l'essence et fait un grand butin ;
Mais non de chaque fleur qu'elle voyait éclore
Elle admirait les attraits éclatants,

Et n'en prenait que la superficie:
Elle faisait comme font bien des gens,
Qui, voulant jouir de la vie,

Ne pensent point à l'avenir.

Mais quand la chaleur fut passée
Et que l'hiver se fit sentir,
Notre abeille à demi glacée,

N'ayant pas de quoi subsister,
Regrettait, mais en vain, cette saison aimable

Dont elle aurait dû profiter.

Trop tard on devient raisonnable.
Jeune on ne pense qu'au présent,
Sur le futur on est tranquille,
Et l'agréable bien souvent
Empêche de penser à l'utile.

Jacques Péras.

LE LOUP PÉNITENT.

Un loup pris sur le fait enlevant un mouton,

Allait périr sous le bâton;

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