Page images
PDF
EPUB

redoutable est celui qui, dans les occasions critiques, se conduit avec le plus de prudence et de lumières.

Ne nous départons jamais des maximes que nous avons reçues de nos pères, et qui ont conservé cet état ; délibérez à loisir qu'un instant ne décide pas de vos biens, de votre gloire, du sang de tant de citoyens, de la destinée de tant de peuples; laissez entrevoir la guerre, et ne la déclarez pas faites vos préparatifs, comme si vous n'attendiez rien de vos négociations; et pensez que ces mesures sont les plus utiles à votre patrie, et plus propres à intimider les Athéniens.— BARTHÉLEMY1-Voyage d'Anacharsis.

Un des ambassadeurs de Corinthe2 s'efforce de déterminer les Lacédémoniens, chefs de la ligue du Péloponnèse,3 à la guerre contre les Athéniens.

4

Combien de fois vous avons-nous avertis des projets des Athéniens, et qu'est-il nécessaire de vous les rappeler encore? Corcyre, dont la marine pouvait dans l'occasion si bien seconder nos efforts, est entrée dans leur alliance; Potidée, cette place qui assurait

1 L'Abbé Jean Jacques Barthélemy, né en Provence en 1716, mort en 1795. Il a donné un grand nombre de mémoires dans recueil de l'Académie des Inscriptions. Son principal ouvrage a pour titre Voyage du Jeune Anacharsis en Grèce. C'est le fruit de trente ans de travail.

2 Corinth, a city in Greece. 3 Peloponnesus, a country in South Greece. Corcyra, one of the Ionian islands. • Potidea,

a town of Macedonia.

nos possessions dans la Thrace,1 va tomber entre leurs mains. Nous n'accusons que vous de nos pertes, vous qui, après la guerre des Mèdes,2 avez permis à nos ennemis de fortifier leur ville, et d'étendre leurs conquêtes vous qui êtes les protecteurs de la liberté, et qui par votre silence favorisez l'esclavage; vous qui délibérez quand il faut agir, et qui ne songez à votre défense que quand l'ennemi tombe sur vous avec toutes ses forces.

Nous nous en souvenons encore les Mèdes sortis du fond de l'Asie avaient traversé la Grèce et pénétré dans le Péloponnèse, que vous étiez tranquilles dans vos foyers. Ce n'est pas contre une nation éloignée que vous aurez à combattre, mais contre un peuple qui est à votre porte; contre ces Athéniens dont vous n'avez jamais connu, dont vous ne connaissez pas encore les ressources et le caractère.

Esprits ardents à former des projets, habiles à les varier dans les occasions, si prompts à les exécuter, que posséder et désirer est pour eux la même chose ; si présomptueux, qu'ils se croient dépouillés des conquêtes qu'ils n'ont pu faire; si avides, qu'ils ne se bornent jamais à celles qu'ils on faites; nation courageuse et turbulente, dont l'audace s'accroît par le danger, et l'espérance par le malheur; qui regarde l'oisiveté comme un tourment, et que les dieux irrités ont jetée sur la

Thracia, an ancient country, now called Romania.

2 Mèdes, inhabitants of Media.

K

terre pour n'être jamais en repos, et n'y jamais laisser les autres.

Qu'opposez-vous à tant d'avantages? Des projets au-dessous de vos forces, la méfiance dans les résolutions les plus sages, la lenteur dans les opérations, le découragement aux moindres revers, la crainte d'étendre vos domaines, la négligence à les conserver: tout, jusqu'à vos principes, est aussi nuisible au repos de la Grèce qu'à votre sûreté. N'attaquer personne, se mettre en état de n'être jamais attaqué, ces moyens ne vous paraissent pas toujours suffisants pour assurer le bonheur d'un peuple: vous voulez qu'on ne repousse l'insulte que lorsqu'il n'en résulte absolument aucun préjudice pour la patrie: maxime funeste, et qui, adoptée des nations voisines, vous garantirait à peine de leurs invasions.

O Lacédémoniens! votre conduite se ressent trop de la simplicité des premiers siècles: autre temps, autre mœurs, autre système. L'immobilité des principes ne conviendrait qu'à une ville qui jouirait d'une paix éternelle; mais dès que, par ses rapports avec les autres nations, ses intérêts deviennent plus compliqués, il lui faut une politique plus raffinée. Abjurez donc, à l'exemple des Athéniens, cette droiture qui ne sait pas se prêter aux événements; sortez de cette indolence qui vous tient renfermés dans l'enceinte de vos murs; faites une irruption dans l'Attique; ne forcez pas des

1 Attica, part of Greece containing Athens.

alliés, des amis fidèles, à se précipiter entre les bras de vos ennemis; et, placés à la tête des nations du Péloponnèse, montrez-vous dignes de l'empire que nos pères déférèrent à vos vertus.-BARTHÉLEMY.

[ocr errors]

PÉRORAISON DE L'ÉLOGE DE MARC-AURÈLE.1

Quand le dernier terme approcha, il ne fut point étonné. Je me sentais élevé par ses discours. Romains, le grand homme mourant a je ne sais quoi d'imposant et d'auguste. Il semble qu'à mesure qu'il se détache de la terre, il prend quelque chose de cette nature divine et inconnue qu'il va rejoindre. Je ne touchais ses mains défaillantes qu'avec respect: et le lit funèbre où il attendait la mort me semblait un espèce de sanctuaire.

"Cependant l'armée était consternée, le soldat gémissait sous ses tentes; la nature elle-même semblait en deuil: le ciel de la Germanie était plus obscur; des tempêtes agitaient la cime des forêts qui environnaient le camp et ces objets lugubres semblaient ajouter encore à notre désolation.

"Il voulut quelque temps être seul, soit pour repasser sa vie en présence de l'être-Suprême, soit pour méditer encore une fois avant que de mourir. Enfin, il nous fit appeler: Tous les amis de ce grand homme et les principaux de l'armée vinrent se ranger autour de lui; il était pâle, les yeux presque éteints, et les lèvres à

'Marcus Aurelius, a Roman emperor.

demi-glacées.

Cependant nous remarquâmes tous une tendre inquiétude sur son visage. Prince, il parut se ranimer un moment pour toi. Sa main mourante te présenta à tous ces vieillards qui avaient servi sous lui. Il leur recommanda ta jeunesse. Servez-lui de père, leur dit-il, ah! servez-lui de père ! Alors il te donna des conseils tels que Marc-Aurèle mourant devait les donner, et bientôt après, Rome et l'Univers le perdirent.'

A ces mots, tout le peuple romain demeura morne et immobile. Apollonius1 se tut, ses larmes coulèrent. Il se laissa tomber sur le corps de Marc-Aurèle, il le serra long-temps entre ses bras; et se relevant tout-àcoup: "Mais toi qui vas succéder à ce grand homme, ô fils de Marc-Aurèle ! ô mon fils, permets ce nom à un vieillard qui t'a vu naître, et qui t'a tenu enfant dans ses bras; songe au fardeau que t'ont imposé les dieux; songe aux devoirs de celui qui commande, aux droits de ceux qui obéissent. Destiné à régner, il faut Sque sois ou le plus juste ou le plus coupable des hommes. Le fils de Marc-Aurèle aurait-il à choisir ?

tu

"On te dira bientôt que tu es tout puissant; on te trompera les bornes de ton autorité sont dans la loi. On te dira encore que tu es grand, que tu es adoré de tes peuples. Écoute: quand Néron2 eut empoisonné son frère, on lui dit qu'il avait sauvé Rome; quand il eut fait égorger sa femme, on loua devant lui sa justice; quand il eut assassiné sa mère, on baisa sa main

'Apollonius, a Greek, the preceptor of Marcus Aurelius.
2 Nero, a Roman emperor.

« PreviousContinue »