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directions différentes, dispersèrent lentement la foule. L'échafaud demeuré solitaire, on enleva le corps; il était déjà enfermé dans le cercueil; Cromwell voulut le voir, le considéra attentivement, et, soulevant de ses mains la tête, comme pour s'assurer qu'elle était bien séparée du tronc : "C'était là un corps bien constitué," dit-il, "et qui promettait une longue vie."-GUIZOT1Histoire de la révolution d'Angleterre.

RÉVOLUTION FRANÇAISE

EXÉCUTION DE LOUIS XVI.

A huit heures du matin, Santerre, avec une députation de la commune, du département et du tribunal criminel, se rend au Temple. Louis XVI., en entendant le bruit, se lève et se dispose à partir. Il n'avait pas voulu revoir sa famille, pour ne pas renouveler la triste scène de la veille. Il charge Cléry2 de faire pour lui ses adieux à sa femme, à sa sœur et à ses enfants; il lui donne un cachet, des cheveux et divers bijoux, avec commission de les leur remettre. Il lui serre

' François Guizot, membre de l'Académie française, orateur distingué, et l'un des plus grands hommes d'état que le France ait jamais eus, est né à Nîmes en 1787. M. Guizot a écrit un grand nombre d'ouvrages historiques et littéraires du plus grand mérite. Entre autres: Histoire de la civilisation en Europe, Histoire de la civilisation en France; Histoire de la révolution d'Angleterre; Vie de Washington, etc.

2 Cléry, valet de chambre de Louis XVI. Il avait obtenu la permission d'être emprisonné avec son auguste maître pour le

servir.

ensuite la main en le remerciant de ses services. Après cela, il s'adresse à l'un des municipaux en le priant de transmettre son testament à la commune. Ce municipal était un ancien prêtre, nommé Jacques Roux, qui lui répond brutalement qu'il est chargé de le conduire au supplice, et non de faire ses commissions. Un autre s'en charge, et Louis, se retournant vers le cortége, donne avec assurance le signal du départ.

Des officiers de gendarmerie étaient placés sur le devant de la voiture; le roi et M. Edgeworth' étaient assis dans le fond. Pendant la route, qui fut assez longue, le roi lisait, dans le bréviaire de M. Edgeworth, les prières des agonisants, et les deux gendarmes étaient confondus de sa piété et de sa résignation tranquille. Ils avaient, dit-on, la commission de le frapper si la voiture était attaquée. Cependant aucune démonstration hostile n'eut lieu depuis le Temple jusqu'à la place de la Révolution.2

Une multitude armée bordait la haie: la voiture s'avançait lentement et au milieu d'un silence universel. Sur la place de la Révolution, un grand espace avait été laissé vide autour de l'échafaud. Des canons environnaient cet espace; les fédérés les plus exaltés étaient placés autour de l'échafaud, et la vile populace, toujours prête à outrager le génie, la vertu, le malheur,

1 M. Edgeworth de Firmont, l'ecclésiastique dont Louis XVI. avait fait choix, afin de recevoir de lui les derniers secours de la religion.

Aujourd'hui, Place de la Concorde.

quand on lui en donne le signal se pressait derrière les rangs des fédérés, et donnait seule quelques signes extérieurs de satisfaction, tandis que partout on ensevelissait au fond de son cœur les sentiments qu'on éprouvait.

A dix heures dix minutes, la voiture s'arrête. Louis XVI., se levant avec force, descend sur la place. Trois bourreaux se présentent; il les repousse et se déshabille lui-même. Mais voyant qu'ils voulaient lui lier les mains, il éprouve un mouvement d'indignation et semble prêt à se défendre. M. Edgeworth, dont toutes les paroles furent alors sublimes, lui adresse un dernier regard, et lui dit : "Souffrez cet outrage comme une dernière ressemblance avec le Dieu qui va être votre récompense."

A ces mots, la victime résignée et soumise se laisse lier et conduire-à-l'échafaud. Tout-à-coup Louis fait un pas, se sépare des bourreaux, et s'avance pour parler au peuple. "Français," dit-il d'une voix forte, "je meurs innocent des crimes qu'on m'impute; je pardonne aux auteurs de ma mort, et je demande que mon sang ne retombe pas sur la France." Il allait continuer; mais aussitôt l'ordre de battre est donné aux tambours; leur roulement couvre la voix du prince, les bourreaux s'en emparent, et M. Edgeworth lui dit ces paroles: Fils de Saint Louis,1 montez au ciel !

A peine le sang avait-il coulé, que des furieux y

1 Saint Louis, Louis IX., 13ème siècle. Ce roi alla deux fois à la Terre Sainte avec les Croisés.

trempent leurs piques et leurs mouchoirs, se répandent dans Paris en criant, Vive la république ! vive la nation! et vont jusqu'aux portes du Temple, montrer la brutale et fausse joie que la multitude manifeste à la naissance, à l'avénement et à la chute de tous les princes.-THIERS1 -Hist. de la Révolution française.

DISCOURS ET MORCEAUX ORATOIRES.
SUR LE PETIT NOMBRE DES ÉLUS.

"Je m'arrête à vous, mes frères, qui êtes ici assemblés. Je ne parle plus du reste des hommes; je vous regarde comme si vous étiez seuls sur la terre, et voici la pensée qui m'occupe et m'épouvante: Je suppose donc que c'est ici votre dernière heure, et la fin de l'univers, que les cieux vont s'ouvrir sur vos têtes, que Jésus-Christ va paraître dans sa gloire au milieu de ce

2 Thiers (Louis-Adolphe), membre de l'Académie française, historien distingué, et l'un de nos plus grands hommes d'état, fils d'un serrurier de Marseille, où il est né en 1797. A la révolution de 1830, il fut appelé aux affaires, et depuis il a occupé les plus hautes dignités de l'état. Il a été successivement député, ministre de l'intérieur, ministre des affaires étrangères, et président du conseil.

Ses principaux ouvrages sont: l'Histoire de la Révolution française, et l'Histoire du Consulat et de l'Empire. Ces deux ouvrages le placent au premier rang parmi les littérateurs de l'époque.

temple, et que vous n'y êtes assemblés que pour l'attendre comme des criminels tremblants, à qui l'on va prononcer une sentence de grâce ou un arrêt de mort éternelle; car, vous avez beau vous flatter, vous mourrez tels que vous êtes aujourd'hui. Tous ces désirs de changement qui vous amusent, vous amuseront jusqu'au lit de la mort: c'est l'expérience de tous les siècles. Tout ce que vous trouverez alors en vous de nouveau, sera peut-être un compte un peu plus grand que celui que vous auriez aujourd'hui à rendre ; et sur ce que vous seriez, si l'on venait vous juger en ce moment, vous pouvez presque décider ce qui vous arrivera au sortir de la vie.

"Or, je vous demande, et je vous le demande frappé de terreur, ne séparant pas en ce point mon sort du vôtre, et me mettant dans la même disposition où je souhaite que vous entriez; je vous demande donc : Si Jésus-Christ paraissait dans ce temple, au milieu de cette assemblée, la plus auguste de l'univers, pour vous juger, pour faire le terrible discernement des boucs et des brebis, croyez-vous que le plus grand nombre de tout ce que nous sommes ici fût placé à la droite ? croyez-vous, du moins, que les choses fussent égales? croyez-vous qu'il s'y trouvât seulement dix justes, que le Seigneur ne put trouver autrefois en cinq villes tout entières Je vous le demande, vous l'ignorez, et je l'ignore moi-même : vous seul, ô mon Dieu, connaissez ceux qui vous appartiennent.

"Mais, si nous ne connaissons pas ceux qui lui appar

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