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laissa sur les bords de l'Araspe, il ramena son armée par une autre route que celle qu'il avait tenue, et dompta tous les pays qu'il trouva sur son passage.

Il revint à Babylone craint et respecté, non pas comme un conquérant, mais comme un dieu. Mais cet empire formidable qu'il avait conquis ne dura pas plus longtemps que sa vie, qui fut courte; à l'âge de trentetrois ans, au milieu des plus vastes desseins qu'un homme eût jamais conçus, et avec les plus justes espérances d'un heureux succès, il mourut sans avoir eu le loisir d'établir ses affaires, laissant un frère imbécile et des enfants en bas âge incapables de soutenir un si grand poids.

Mais ce qu'il y avait de plus funeste pour sa maison et pour son empire est qu'il laissait des capitaines à qui il avait appris à ne respirer que l'ambition et la guerre. Il prévit à quels excès ils se porteraient quand il ne serait plus au monde; pour les retenir, ou de peur d'en être dédit, il n'osa nommer ni son successeur, ni le tuteur de ses enfants. Il prédit seulement que ses amis célèbreraient ses funérailles par des batailles sanglantes, et il expira à la fleur de son âge, plein des tristes images de la confusion qui devait suivre sa mort. En effet, vous avez vu le partage de son empire et la ruine affreuse de sa maison.

La Macédoine,1 son ancien royaume tenu par ses ancêtres, depuis tant de siècles, fut envahi de tous côtés

Macédoine, pays voisin de la Grèce, appartenant maintenant

à la Turquie.

comme une succession vacante, et après avoir été longtemps la proie du plus fort, il passa enfin à une autre famille. Ainsi ce conquérant, le plus renommé et le plus illustre qui fut jamais, a été le dernier roi de sa race. S'il fût demeuré paisible dans la Macédoine, la grandeur de son empire n'aurait pas tenté ses capitaines, et il eût pu laisser à ses enfants le royaume de ses pères ; mais, parce qu'il avait été trop puissant, il fut cause de la perte de tous les siens et voilà le fruit glorieux de tant de conquêtes!

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Sa mort fut la seule cause de cette grande révolution; car, il faut dire à sa gloire que si jamais homme a été capable de soutenir un si vaste empire, quoique nouvellement conquis, ç'a été sans doute Alexandre, puisqu'il n'avait pas moins d'esprit que de courage.— BOSSUET-Discours sur l'Histoire universelle.

MORT DE TURENNE.

Turenne meurt, tout se confond, la fortune chancelle, la victoire se lasse, la paix s'éloigne, les bonnes intentions des alliés se ralentissent, le courage des troupes est abattu par la douleur et ranimé par la vengeance, tout le camp demeure immobile; les blessés pensent à la perte qu'ils ont faite, et non aux blessures qu'ils ont reçues. Les pères mourants envoient leurs fils pleurer sur leur général mort. L'armée en deuil est occupée à lui rendre les devoirs funèbres; et la renommée, qui se plaît à répandre dans l'univers les accidents extraordi

naires, va remplir toute l'Europe du récit glorieux de la vie de ce prince, et du triste regret de sa mort.

Que de soupirs alors, que de plaintes, que de louanges retentissent dans les villes, dans la campagne! L'un, voyant croître ses moissons, bénit la mémoire de celui à qui il doit l'espérance de sa récolte; l'autre, qui jouit encore en repos de l'héritage qu'il a reçu de ses pères, souhaite une éternelle paix à celui qui l'a sauvé des désordres et des cruautés de la guerre; ici, l'on offre le sacrifice adorable de Jésus-Christ pour l'âme de celui qui a sacrifié sa vie et son sang pour le bien public; là, on lui dresse une pompe funèbre, où l'on s'attendait de lui dresser un triomphe: chacun choisit l'endroit qui lui paraît le plus éclatant dans une si belle vie; tous entreprennent son éloge; et chacun, s'interrompant lui-même par ses soupirs et par ses larmes, admire le passé, regrette le présent, et tremble pour l'avenir. Ainsi tout le royaume pleure la mort de son défenseur, et la perte d'un homme seul est une calamité publique.—FLÉCHIER-Oraisons funèbres.

RÉVOLUTION D'ANGLETERRE-EXÉCUTION DE CHARLES 1er.

Charles s'avança le long de la salle des banquets entre deux haies de troupes. Une foule d'hommes et de femmes s'y étaient précipités au péril de leur vie, immobiles, et priant pour le roi, à mesure qu'il passait; les soldats, silencieux eux-mêmes, ne les rudoyaient

point. A l'extrémité de la salle, une ouverture, pratiquée la veille dans le mur, conduisait de plein-pied à l'échafaud tendu de noir; deux hommes, debout auprès de la hache, étaient tous deux en habits de matelots et masqués.

Le roi arriva, la tête haute, promenant de tous côtés ses regards, et cherchant le peuple pour lui parler: mais les troupes couvraient seules la place; nul ne pouvait approcher.

Il se tourna vers Juxon et Tomlinson. "Je ne puis guère être entendu que de vous," leur dit-il, "ce sera donc à vous que j'adresserai quelques paroles;" et il leur adressa en effet un petit discours qu'il avait préparé, grave et calme jusqu'à la froideur, uniquement appliqué qu'il avait eu raison; que le mépris des droits du souverain était la vraie cause des malheurs du peuple; que le peuple ne devait avoir aucune part dans le gouvernement; qu'à cette seule condition le royaume retrouverait la paix et ses libertés.

Pendant qu'il parlait,. quelqu'un toucha à la hache, il se retourna précipitamment, disant: "Ne gâtez pas la hache, elle me ferait plus de mal;" et, son discours terminé, quelqu'un s'en approchant encore: "Prenez garde à la hache! prenez garde à la hache!" répéta-t-il d'un ton d'effroi

Le plus profond silence régnait; il mit sur sa tête un bonnet de soie, et, s'adressant à l'exécuteur: "Mes cheveux vous gênent-ils ?" "Je prie Votre Majesté de les ranger sous son bonnet," répondit l'homme en Le roi les rangea avec l'aide de l'évêque.

s'inclinant.

"J'ai pour moi," lui dit-il, en prenant ce soin, "une bonne cause et un Dieu clément." Juxon: “Oui, sire, il n'y a plus qu'un pas à franchir, il est plein de trouble et d'angoisse, mais de peu de durée, et songez qu'il vous fait faire un grand trajet, il vous transporte de la terre au ciel." Le roi: "Je passe d'une couronne corruptible à une couronne incorruptible, où je n'aurai à craindre aucun trouble, aucune espèce de trouble.” Et, se tournant vers l'exécuteur: "Mes cheveux sont-ils bien?" Il ôta son manteau et son SaintGeorge, donna le Saint-George à l'évêque en lui disant, "Souvenez-vous;" ôta son habit, remit son manteau, et regardant le billot: "Placez-le de manière à ce qu'il soit bien ferme," dit-il à l'exécuteur. "Il est ferme, sire." Le roi: "Je ferai une courte prière, et, quand j'étendrai les mains, alors Il se recueillit, se dit à lui-même quelques mots à voix basse, leva les yeux au ciel, s'agenouilla, posa sa tête sur le billot; l'exécuteur toucha ses cheveux pour les ranger encore sous son bonnet; le roi crut qu'il allait frapper. "Attendez le signe," lui dit-il. "Je l'attendrai, sire, avec le bon plaisir de Votre Majesté." Au bout d'un instant, le roi étendit les mains; l'exécuteur frappa, la tête tomba au premier coup. "Voilà la tête d'un traître," dit-il en la montrant au peuple: un long et sourd gémissement s'éleva autour de Whitehall.

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Beaucoup de gens se précipitaient au pied de l'échafaud pour tremper leurs mouchoirs dans le sang du roi. Deux corps de cavalerie, s'avançant dans deux

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