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pour briller. Dans la paix la plus profonde, sur le cercueil du citoyen le plus obscur, elle trouvera ses mouvements les plus sublimes; elle saura intéresser pour une vertu ignorée; elle fera couler des larmes pour un homme dont on n'a jamais entendu parler. Incapable de crainte et d'injustice, elle donne des leçons aux rois, mais sans les insulter; elle console le pauvre, mais sans flatter ses vices. La politique et toutes les choses de la terre ne lui sont point inconnues; mais ces choses, qui faisaient les premiers motifs de l'éloquence antique, ne sont pour elle que des raisons secondaires ; elle les voit des hauteurs où elle domine, comme un aigle aperçoit, du sommet de la montagne, les objets abaissés de la plaine.-CHATEAUBRIAND.1

DU REMORDS ET DE LA CONSCIENCE.

La conscience fournit une seconde preuve de l'immortalité de notre âme. Chaque homme a au milieu du cœur un tribunal où il commence par se juger soimême, en attendant que l'arbitre souverain confirme la sentence. Si le vice n'est qu'une conséquence physique de notre organisation, d'où vient cette frayeur qui trouble les jours d'une prospérité coupable? Pourquoi

1 Vicomte de Châteaubriand, né près de Saint-Malo, en septembre 1768. Ses principaux ouvrages sont, le Génie du Christianisme, la plus sublime production de notre siècle; l'Itiné raire de Paris à Jérusalem, les Martyrs, les Natchez, Atala, etc. M. de Châteaubriand fut enlevé à la France en 1848.

le remords est-il si terrible, qu'on préfère souvent de se soumettre à la pauvreté et à toute la rigueur de la vertu, plutôt que d'acquérir des biens illégitimes? Pourquoi y a-t-il une voix dans le sang, une parole dans la pierre? Le tigre déchire sa proie, et dort; l'homme devient homicide, et veille. Il cherche les lieux déserts, et cependant la solitude l'effraie; il se traîne autour des tombeaux, et cependant il a peur des tombeaux. Son regard est inquiet et mobile; il n'ose fixer le mur de la salle du festin, dans la crainte d'y voir des caractères funestes.

Tous ses sens semblent devenir meilleurs pour le tourmenter: il voit au milieu de la nuit des lueurs menaçantes; il est toujours environné de l'odeur du carnage; il découvre le goût du poison jusque dans les mets qu'il a lui-même apprêtés; son oreille, d'une étrange subtilité, trouve le bruit où tout le monde trouve le silence; et, en embrassant son ami, il croit sentir sous ses vêtements un poignard caché.-CHATEAUBRIAND-" Génie du Christianisme."

SERVIR SA PATRIE.

Tout homme en naissant contracte l'obligation d'aimer sa patrie, et en se nourrissant dans son sein, il ratifie l'engagement de vivre et de mourir pour elle. Mais la patrie, ayant divers besoins, n'exige pas de tous ses enfants les mêmes sacrifices : les uns versent leur sang dans les combats, les autres arrosent nos cam

pagnes de leurs sueurs, d'autres, levant les mains au ciel, prient pour notre prospérité, ou pleurent sur nos crimes, tandis que d'autres, veillant sur le dépôt des lois, maintiennent parmi les citoyens les droits de l'équité et de la justice.

Mais si tout-à-coup, fondant sur nous, un ennemi cruel ravageait nos possessions, enlevait ou égorgeait nos frères, renversait nos temples, nos lois, nos autels, et menaçait l'état d'une subversion entière, au premier cri d'effroi et de douleur de la patrie éplorée, descendant de leurs tribunaux, suspendant leurs sacrifices, juges, prélats, viendraient grossir la troupe des guerriers, donner l'exemple du zèle et du courage, et s'ils ne savaient combattre, du moins ils sauraient mourir.

Tout homme naît donc soldat, quoique tout soldat, ne porte point les armes. Mais le jour que la patrie, croyant avoir besoin de son bras, appelle un citoyen à son secours, ou que, ce citoyen venant s'offrir de luimême, elle veut bien agréer ses services, il reçoit le caractère de ministre armé pour sa défense, il devient une victime honorable dévouée à la sûreté publique et par un engagement solennel, il resserre ses premiers nœuds, il retourne à sa destination originaire.

C'est donc le jour que, succédant au trône de leurs pères, nos rois viennent prendre sur l'autel le glaive pour nous protéger et le sceptre pour nous conduire ; le jour que, marchant sur les traces de leurs ancêtres, notre jeune noblesse fait les premiers pas dans la carrière où ils se sont illustrés; le jour que la

patrie, sonnant l'alarme, invite le citoyen qui n'a pas fait choix d'une profession à prendre parti sous ses enseignes, ou qu'arrachant le pâtre à ses troupeaux, le cultivateur à sa charrue, elle lui dit: "Cesse de me nourrir, et viens me défendre."

C'est en ce jour que tous ces enfants de l'état passent dans la classe honorable de ses défenseurs. Là sous les yeux du Dieu des armées qui fait la revue de ses nouveaux soldats, chacun d'eux, en se revêtant de ses armes, reçoit comme en dépôt la sûreté de nos campagnes, le repos de nos villes, la vie, la liberté de ses frères; il devient l'épée et le bouclier de celui qui n'en a point, ou dont le bras, trop faible pour les porter, ne saurait en faire usage; et Dieu lui dit, comme à Josué, comme à Gédéon, comme à tous les chefs de son peuple: Allez, voici mes ordres; soyez vaillants!

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- DE NOÉ. - Discours pour une bénédiction des Drapeaux.

LA LOI DES SOUVERAINS.

L'amour du peuple, le bien public, l'intérêt général de la société est la loi immuable et universelle des souverains. Cette loi est antérieure à tout contrat: elle est fondée sur la nature même; elle est la source et la règle sûre de toutes les autres lois.

Celui qui gouverne doit être le premier et le plus obéissant à cette loi primitive; il peut tout sur les peuples; mais cette loi doit pouvoir tout sur lui: le

père commun de la grande famille ne lui a confié ses enfants que pour les rendre heureux. Il veut qu'un seul homme serve par sa sagesse à la félicité de tant d'hommes, et non que tant d'hommes servent par leur misère à flatter l'orgueil d'un seul. Ce n'est pas pour lui-même que Dieu l'a fait roi : il être l'homme des peuples .

ne l'est que pour

Le despotisme tyrannique des souverains est un attentat sur les droits de la fraternité humaine; c'est renverser la grande et sage loi de la nature, loi dont ils ne doivent être que les conservateurs . . . Le pouvoir sans bornes est une frénésie qui ruine leur propre autorité . .

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On peut, en conservant la subordination des rangs, concilier la liberté du peuple avec l'obéissance due aux souverains, et rendre les hommes tout ensemble bons citoyens et fidèles sujets, soumis sans être esclaves, et libres sans être effrénés. L'amour de l'ordre est la source de toutes les vertus politiques, aussi bien que de toutes les vertus divines.-FÉNÉLON.

L'AMBITIEUX.

Quelle idée vous formez-vous d'un ambitieux préoccupé du désir de se faire grand? Si je vous disais que c'est un homme ennemi par profession de tous les autres hommes (j'entends de tous ceux avec qui il peut avoir quelque rapport d'intérêt), un homme à qui la prospérité d'autrui est un supplice; qui ne peut voir

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