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Ce font là les figures dont j'entreprens de parler dans cette partie de la Grammaire.

ARTICLE IV.

Définition des Tropes.

LES Tropes font des figures par lefquelles on fait prendre à un mot une fignification, qui n'eft pas précifément la fignification propre de ce mot ainfi pour entendre ce que c'eft qu'un trope, il faut comencer par bien comprendre ce que c'eft que la fignification propre d'un mot; nous l'expliquerons bien-tôt.

Ces figures font apelées tropes du proe, grec tropos convérfio, dont la racine eft trepo, verto, je tourne. Elles font ainfi apelées, parce que quand on prend un mot dans le fens figuré on le tourne, pour ainfi dire, afin de lui faire fignifier ce qu'il ne fignifie point dans le fens propre voiles dans le fens propre ne fignifie point, vaiffeaux, les voiles ne font qu'une

partie du vaiffeau: cependant voiles fe dit quelquefois pour vaiffeaux, come nous l'avons déja remarqué.

Les tropes font des figures, puifque ce font des manières de parler qui, outre la propriété de faire conoître ce qu'on penfe, font encore diftinguées par quelque diférence particulière, qui fait qu'on les raporte chacune à une espèce à part.

Il y a dans les tropes une modification ou diférence générale qui les rend tropes, & qui les diftingue des autres figures: elle confifte en ce qu'un mot eft pris dans une fignifi cation qui n'eft pas précisément fa fignification propre mais de plus chaque trope difére d'un autre trope, & cette diférence particulière confifte dans la manière dont un mot s'écarte de fa fignification propre : par exemple, Il n'y a plus de Pyrénées dit Louis XIV. d'immortèle mémoire, lorfque fon petit-fils le Duc d'Anjou, aujourd'hui Philippe V. fut apelé à la Couronne d'Espagne. Louis XIV. vouloit-il dire que les Pyrénées avoient été abimées ou

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anéanties? nulement : perfone n'en-
tendit cette expreffion à la lettre, &
dans le fens propre; elle avoit un
fens figuré. Boileau faifant allufion
à ce qu'en 1664. le Roi envoya au
fecours de l'Empereur des troupes
qui défirent les Turcs, & encore à
ce que Sa Majefté établit la compa-
gnie des Indes, dit:

Quand je vois ta fageffe........

Roi.

Rendre à l'Aigle éperdu sa première vigueur, Difcours au,
La France fous tes loix maîtriser la Fortune,
Et nos vaiffeaux domtant l'un & l'autre Nep-

tune.......

Ni l'Aigle ni Neptune ne fe près nent point là dans le fens propre. Telle eft la modification ou diféren ce générale, qui fait que ces façons de parler font des tropes.

Mais quelle efpèce particulière de trope cela dépend de la manière dont un mot s'écarte de fa fignifi cation propre, pour en prendre une autre. Les Pyrénées dans le fens propre, font de hautes montagnes qui féparent la France & l'Espagne. Il n'y a plus de Pyrénées, c'est-à-dire,

plus de féparation, plus de divifion plus de guerre il n'y aura plus à l'avenir qu'une bone intelligence entre la France & l'Efpagne : c'eft une métonymie du figne, ou une métaleple les Pyrénées ne feront plus un figne de féparation.

L'Aigle eft le symbole de l'Empire: l'Empereur porte un aigle à deux têtes dans fes armoiries: ainfi, dans l'exemple que je viens de raporter, l'aigle fignifie l'Allemagne. C'eft le figne pour la chofe fignifiée : c'eft une métonymie.

Neptune étoit le Dieu de la mer, il eft pris dans le même exemple pour l'Océan, pour , pour la mer des Indes orientales & occidentales : c'eft encore une-métonymie. Nous remarquerons dans la fuite ces-diférences particu lières qui font les diférentes efpèces de tropes.

Il y a autant de tropes qu'il y a de manières diférentes, par lefquelles on done à un mot une fignification qui n'eft pas précisément la fignification propre de ce de ce mot. Aveugle dans le fens propre, fignifie une per

fone qui eft privée de l'ufage de la vue fije me fers de ce mot pour marquer ceux qui ont été guéris de leur aveuglement, come quand Jesus- Matt.c.XI, Christ a dit, les aveugles voient, alors v. 5. aveugles n'eft plus dans le fens propre, il est dans un fens que les Philofophes apèlent fens divifé : ce sens divifé eft un trope, puifqu'alors aveugles fignifie ceux qui ont été aveugles, & non pas ceux qui le font. Ainfi outre les tropes dont on parle ordinairement, j'ai cru qu'il ne feroit pas inutilę ni étranger à mon fujet, d'expliquer encore ici les autres fens dans lesquels un même mot peut être pris dans le difcours.

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