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Le vaillant Diomede, Ajax l'impétueux,

Que ce colosse monstrueux

Avec leurs escadrons devoit porter dans Troie,
Livrant à leur fureur ses dieux mêmes en proie :
Stratagême inoui, qui des fabricateurs

Paya la constance et la peine...

C'est assez, me dira quelqu'un de nos auteurs :
La période est longue, il faut reprendre haleine.
Et puis, votre cheval de bois,
Vos héros avec leurs phalanges,

Ce sont des contes plus étranges

Qu'un renard qui cajole un corbeau sur sa voix.
De plus, il vous sied mal d'écrire en si haut style.
Eh bien! baissons d'un ton. La jalouse Amarylle
Songeoit à son Alcippe, et croyoit de ses soins
N'avoir que ses moutons et son chien pour témoins.
Tircis, qui l'apperçut, se glisse entre des saules:
Il entend la bergere adressant ces paroles
Au doux zéphyr, et le priant

De les porter à son amant..
Je vous arrête à cette rime,
Dira mon censeur à l'instant;
Je ne la tiens pas légitime,
Ni d'une assez grande vertu :

Remettez, pour le mieux, ces deux vers à la fonte.
Maudit censeur ! te tairas-tu ?
Ne saurois-je achever mon conte ?
C'est un dessein très dangereux
Que d'entreprendre de te plaire.

Les délicats sont malheureux;
Rien ne sauroit les satisfaire.

II. Conseil tenu par les Rats.
UN chat, nommé Rodilardus,

Faisoit de rats telle déconfiture,

Que l'on n'en voyoit presque plus ;
Tant il en avoit mis dedans la sépulture.
Le peu qu'il en restoit, n'osant quitter son trou,
Ne trouvoit à manger que le quart de son sou;
Et Rodilard passoit, chez la gent misérable,

Non pour un chat, mais pour un diable.
Or, un jour qu'au haut et au loin

Le galant alla chercher femme,

Pendant tout le sabbat qu'il fit avec sa dame,
Le demeurant des rats tint chapitre en un coin
Sur la nécessité présente.

Dès l'abord, leur doyen, personne fort prudente,
Opina qu'il falloit, et plutôt que plus tard,
Attacher un grelot au cou de Rodilard;

Qu'ainsi, quand il iroit en guerre,

De sa marche avertis ils s'enfuiroient sous terre:
Qu'il n'y savoit que ce moyen.

Chacun fut de l'avis de monsieur le doyen:
Chose ne leur parut à tous plus salutaire.
La difficulté fut d'attacher le grelot.

L'un dit, Je n'y vas point, je ne suis pas si sot:
L'autre, Je ne saurois. Si bien que sans rien faire
On se quitta. J'ai maints chapitres vus,
Qui pour néant se sont ainsi tenus;
Chapitres, non de rats, mais chapitres de moines,
Voire chapitres de chanoines.

Ne faut-il que délibérer ?

La cour en conseillers foisonne :

Est-il besoin d'exécuter?

L'on ne rencontre plus personne.

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III. Le Loup plaidant contre le Renard, pardevant le Singe.

UN loup disoit que l'on l'avoit volé :

Un renard, son voisin, d'assez mauvaise vie,
Pour ce prétendu vol par lui fut appelé.
Devant le singe il fut plaidé,

Non point par avocats, mais par chaque partie.
Thémis n'avoit point travaillé,

De mémoire de singe, à fait plus embrouillé.
Le magistrat suoit en son lit de justice.
Après qu'on eut bien contesté,
Répliqué, crié, tempêté,

Le juge, instruit de leur malice,

Leur dit: Je vous connois de long-temps, mes amis; Et tous deux vous paîrez l'amende :

Car toi, loup, tu te plains, quoiqu'on ne t'ait rien pris; Et toi, renard, as pris ce que l'on te demande.

Le juge prétendoit qu'à tort et à travers,
On ne sauroit manquer, condamnant un pervers.

Quelques personnes de bon sens ont cru que l'impossibilité et la contradiction qui est dans le jugement de ce singe, étoit une chose à censurer: mais je ne m'en suis servi qu'après Phedre; c'est en cela que consiste le bon mot, selon mon avis.

IV. Les deux Taureaux et la Grenouille.

DEUX

EUX taureaux combattoient à qui posséderoit
Une génisse avec l'empire.

Une grenouille en soupiroit.
Qu'avez-vous? se mit à lui dire
Quelqu'un du peuple croassant.
Eh! ne voyez-vous pas, dit-elle,
Que la fin de cette querelle

Sera l'exil de l'un; que l'autre le chassant
Le fera renoncer aux campagnes fleuries?
Il ne régnera plus sur l'herbe des prairies,
Viendra dans nos marais régner sur les roseaux ;
Et, nous foulant aux pieds jusques au fond des eaux,
Tantôt l'une, et puis l'autre, il faudra qu'on pâtisse
Du combat qu'a causé madame la génisse.
Cette crainte étoit de bon sens.

L'un des taureaux en leur demeure
S'alla cacher, à leurs dépens:
Il en écrasoit vingt par heure

Hélas! on voit que de tout temps Les petits ont pâti des sottises des grands.

V. La Chauve-souris et les deux Belettes.

UNE chauve-souris donna tête baissée

Dans un nid de belette: et, sitôt qu'elle y fut, L'autre, envers les souris de long-temps courroucée, Pour la dévorer accourut.

Quoi! vous osez, dit-elle, à mes yeux vous produire,

Après que votre race a tâché de me nuire!
N'êtes-vous pas souris ? Parlez sans fiction.
Oui, vous l'êtes; ou bien je ne suis pas belette.
Pardonnez-moi, dit la

pauvrette,

Ce n'est pas ma profession.

Moi, souris ! des méchants vous ont dit ces nouvelles.
Grace à l'auteur de l'univers 9

Je suis oiseau; voyez mes ailes :
Vive la gent qui fend les airs!
Sa raison plut, et sembla bonne.
Elle fait si bien, qu'on lui donne
Liberté de se retirer.

Deux jours après, notre étourdie
Aveuglément se va fourrer

Chez une autre belette aux oiseaux ennemie.
La voilà derechef en danger de sa vie.
La dame du logis avec son long museau
S'en alloit la croquer en qualité d'oiseau ;
Quand elle protesta qu'on lui faisoit outrage :
Moi, pour telle passer! Vous n'y regardez pas.
Qui fait l'oiseau ? c'est le plumage.

Je suis souris ; vivent les rats!
Jupiter confonde les chats!

Par cette adroite repartie

Elle sauva deux fois sa vie.

Plusieurs se sont trouvés qui, d'écharpe changeants, Aux dangers, ainsi qu'elle, ont souvent fait la figue Le sage dit, selon les gens,

Vive le roi! Vive la ligue!

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