Mais rien ne vient m'interrompre; X. Le Loup et l'Agneau. Nous l'allons montrer tout-à-l'heure. Un agneau se désaltéroit Dans le courant d'une onde pure. Un loup survient à jeun, qui cherchoit aventure, Tu seras châtié de ta témérité. Sire, répond l'agneau, que votre majesté Dans le courant, Plus de vingt pas au-dessous d'elle; Tu la troubles! reprit cette bête cruelle ; Vous, vos bergers, et vos chiens. Là-dessus, au fond des forêts Le loup l'emporte, et puis le mange, XI L'Homme et son Image. POUR M. LE DUC DE LA ROCHEFOUCAULD, Un homme qui s'aimoit sans avoir de rivaux Passoit dans son esprit pour le plus beau du monde : Il accusoit toujours les miroirs d'être faux, Vivant plus que content dans son erreur profonde. Afin de le guérir, le sort officieux Présentoit par-tout à ses yeux Les conseillers muets dont se servent nos dames : Miroirs dans les logis, miroirs chez les marchands, Miroirs aux poches des galants, Miroirs aux ceintures des femmes Que fait notre Narcisse? Il se va confiner Il s'y voit, il se fàche; et ses yeux irrités Il fait tout ce qu'il peut pour éviter cette eau : Qu'il ne le quitte qu'avec peine. On voit bien où je veux venir. Je parle à tous; et cette erreur extrême Est un mal que chacun se plaît d'entretenir. Notre ame, c'est cet homme amoureux de lui-même : Tant de miroirs, ce sont les sottises d'autrui, Miroirs, de nos défauts les peintres légitimes : Que chacun sait, le livre des Maximes. XII Le Dragon à plusieurs tétes, et le Dragon à plusieurs queues. UN Ux envoyé du grand-seigneur Préféroit, dit l'histoire, un jour chez l'empereur Notre prince a des dépendants Qui, de leur chef, sont si puissants, Lui dit : Je sais par renommée Ce que chaque électeur peut de monde fournir ; D'une aventure étrange, et qui pourtant est vraie. J'étois en un lieu sûr, lorsque je vis passer Et je crois qu'à moins on s'effraie. Je n'en eus toutefois que la peur sans le mal : Ne put venir vers moi, ni trouver d'ouverture. Quand un autre dragon, qui n'avoit qu'un seul chef, D'étonnement et d'épouvante. Ce chef passe, et le corps, et chaque queue aussi : Je soutiens qu'il en est ainsi De votre empereur et du nôtre. OUR XIII. Les Voleurs et l'Ane. Pour un âne enlevé deux voleurs se battoient : L'âne, c'est quelquefois une pauvre province: De nul d'eux n'est souvent la province conquise: XIV. Simonide préservé par les Dieux. Ox ne pent trop louer trois sortes de personnes ; Les dieux, sa maîtresse, et son roi. Malherbe le disoit : j'y souscris quant à moi ; Ce sont maximes toujours bonnes. La louange chatouille et gagne les esprits : Les faveurs d'une belle en sont souvent le prix. Voyons comme les dieux l'ont quelquefois payée. Simonide avait entrepris L'éloge d'un athlete; et, la chose essayée, Il trouva son sujet plein de récits tout nus. Le poëte d'abord parla de son héros. Après en avoir dit ce qu'il en pouvoit dire, De Castor et Pollux; ne manque pas d'écrire Faisoit les deux tiers de l'ouvrage. N'en donna que le tiers; et dit, fort franchement, Venez souper chez moi : nous ferons bonne vie ; Simonide promit. Peut-être qu'il eut peur Chacun étant en belle humeur, Un domestique accourt, l'avertit qu'à la porte N'en perd pas un seul coup de dent. Ces deux hommes étoient les gémeaux de l'éloge. Tous deux lui rendent grace; et, pour prix de ses vers Ils l'avertissent qu'il déloge, Et que cette maison va tomber à l'envers. |