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te immortalité qui eft fon partage, & fans l'idée de laquelle elle ne peut être. heureufe. Quelle trifte reffource contre la néceffité de mourir, que cette prétendue gloire immortelle, qui ne confifte que dans les louanges que l'on nous donnera lorsque nous n'y ferons plus fenfibles! Que dis-je? Lorfque felon ces Philofophes nous ferons anéantis! Quel defefpoir, pour un Homme qui croit l'Ame mortelle, de favoir qu'il va mourir! S'il a été malheureux dans ce Monde quels regrets de ne pouvoir pas gouter dans l'autre quelque bonheur! Et s'il a été heureux, quels regrets encore de ne pouvoir pas jouïr d'une immortalité heureuse!

Tous les raifonnemens Philofophiques font de foibles fecours pour confoler de la mort. Epicure recommandoit avec vivacité, dans fes derniers momens, à ses Disciples d'avoir foin de publier, de répandre fes Ouvrages, & de les rendre immortels, s'il étoit poffible. Combien n'auroit-il pas été fatisfait, s'il avoit cru que fon Ame jouïroit de cette immortalité qu'il demandoit avec tant d'empreffement pour fes Ecrits?

LE defir d'éternifer fa mémoire, fi
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commun aux Philofophes & aux Hommes illuftres, ne peut foutenir l'examen de la Raifon. Elle démontre bientôt que la paffion d'être loué après la mort, n'eft qu'une fuite d'un orgueil, & d'un amour propre que cette même mort détruit. Eft-il fage & raisonnable de fouhaiter avec fureur une chofe dont nous n'aurons aucune connoiffance, & qui nous fera auffi indiférente que nous l'étoient les êtres qui ont existé avant notre naiffance? Mais je vais plus loin, & je foutiens qu'il n'eft aucun Homme de bon fens qui puiffe fe perfuader, quelque mérite qu'il ait, que fa mémoire fera éternelle chez les Hommes.

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LES Héros, les Conquerans, les Rois ne font connus dans la Poftérité, que par ce qu'en ont écrit les Gens de Lettres. On ignoreroit qu'il y ait eu un Achille, un Agamemnon, un Alexandre, un Miltiade, un Thémiftocles, un Alcibiade, fans les Auteurs Grecs. Horace remarque fagement qu'il y avoit eu avant Agamemnon plufieurs Héros qui étoient inconnus, parce qu'ils n'avoient pas trouvé un Poëte tel qu'Homère qui les eut fait connoître. En montrant qu'il eft impoffible que les meilleurs Auteurs

aillent à l'immortalité, on prouve évidemment que ceux dont ils parlent ne peuvent jouïr de cette même immortalité. Or en fuppofant qu'un Auteur écrive des Ouvrages dignes d'être lus dans fon Siècle, qui peut affurer que chaque jour ils ne perdront point de leur prix, le goût des Hommes étant fi fujet aux changemens? On ne peut nier qu'Homère ne foit moins eftimé en général, qu'il ne l'étoit du tems de la Grèce floriffante, & même du tems des prémiers Empereurs Romains. Puis qu'Homère femble avoir perdu quelque chofe par l'éloignement qu'il y a des mœurs & des ufages qu'il nous peint à ceux du Siècle où nous vivons, qui peut fe flater de toujours plaire? Mais fuppofons que les Ecrits d'un Auteur auront une longue durée. De combien d'années fera-t-elle ? De dix mille? Où eft l'Ouvrage qui ait furmonté tant de Siècles? Peut-on citer l'exemple d'un feul qui ait vaincu la dùrée de quatre mille ans? Homère n'en a point encore trois mille. Cependant admettons qu'un Auteur dure dix mille ans. Qu'eft-ce que dix mille ans pour quelqu'un qui vife à l'immortalité? Ce n'eft rien. Ce tems, eu égard à ce que F 5 peat

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peut durer le Monde, doit à peine être confideré comme un grain de fable comparé à ceux qui bordent les rivages immenfes de la Mer. Et fi l'on approche l'idée de ce même tems avec l'idée de ce que l'on doit entendre par l'immortalité, les dix mille ans ne paroiffent pas plus confidérables qu'un inftant. Ces deux efpaces de tems, qui femblent fi différents, font égaux, lorfqu'on les compare à l'Eternité.

L'ENVIE d'immortalifer fon nom n'eft donc qu'une chimère, dont on fe démontre l'impoffibilité, dès qu'on la confidère attentivement; & l'on eft forcé de convenir que ceux qui ne croyent pas l'immortalité de l'Ame, ne peuvent jamais trouver une véritable confolation dans la trompeuse espérance d'éternifer leur mémoire. Ils ne font pas plus fatisfaits des autres chofes fur les quelles ils fondent leur confolation; car leurs espérances, leurs pensées, leurs jugemens n'ayant aucune ftabilité, ils n'ont rien qu'ils fe puiffent promettre de conferver un jour entier. Leur prévoyance n'a pour objet que les chofes préfentes, & à leur égard tout eft à la merci de la Fortune, jufqu'à leur Raifon même, puisqu'elle n'est

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occupée que des chofes dont le Deftin fe jouë. Ils vivent, comme l'on dit, du jour à la journée, fans fonger aux maux qui peuvent leur arriver. N'eft-il pas naturel que des Gens qui pensent de cette façon ne faffent que de médiocres efforts pour dompter leurs Paffions? Si ces efforts font plus pénibles que les chagrins que peuvent leur procurer ces Paffions ils doivent felon leur fifthême céder à tous les mouvemens qu'elles leur infpirent. Ils ne font occupés que du moment préfent. C'eft affez pour eux de rendre ce moment le moins malheureux qu'ils peuvent.

UN Homme, qui croit l'immortalité de l'Ame, cherche, non feulement à fe guérir de fes Paffions pour être tranquile dans ce Monde; mais encore pour être heureux dans l'autre. Un Avare, qui dompte l'Amour qu'il a pour les richeffes, confidère qu'il ne doit pas craindre de perdre des biens paffagers pour en recouvrer d'éternels. Le Pauvre, qui eft dans l'indigence, prend patience, & fuporte fa mifère; il ne fonge point à la faire finir par quelque mauvaife, action, parce qu'il efpère que fon malheur fera fuivi d'une félicité qui durera toujours.

Un

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