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Places de guerre prefque imprenables laiffer hacher en pièces les Malades, perdre les équipages, jetter dans la rivière plufieurs millions de provifions, & ne commencer à reprendre leurs efprits, qu'après avoir mis un fleuve rapide entre eux & les Ennemis.

POUR bannir la crainte, fi tant eft qu'on la puiffe bannir, il faut fonger que bien des Gens ont évité les plus grands dangers en les méprifant. La Fortune aime les audacieux, & perd les timides. Celui qui craint un péril médiocre, périt: celui qui brave un péril éminent l'évite, & fe couvre de gloire. Un Homme fe trouve renfermé dans une Place immenfe avec les débris d'une Armée malheureuse. Il eft attaqué pas les Ennemis. Il leur épargne la peine d'ap procher de la Ville. Il va lui-même les chercher dans leur tranchée. Il leur prend leur Canon, leur ruine leur meilleure Infanterie. Après trois mois, ils font auffi peu avancés que le prémier jour. Rebutés d'une attaque auffi infructueufe, ils changent en Blocus un Siége dont ils connoiffoient l'inutilité. Cet Homme rare, dont je parle, trouve le moyen de faire fubfifter fes Troupes, fans qu'elles puiffent comprendre comment il peut operer un

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pareil miracle. Enfin tous les moyens d'avoir des provifions lui manquent. Il fort avec fa Garnifon prefque toute compofée d'Infanterie. Il emmène fes Ba gages, fon Artillerie. Il a à craindre d'être pourfuivi par quinze ou vingt-mille Hommes de Cavalerie Légère. Il doit marcher dans la plus rigoureufe Saifon, depuis la Capitale d'un Royaume jufqu'aux frontières de ce même Royaume. Il eft obligé de camper pendant toute fa marche au milieu des Neiges; rien ne l'arrête. Il brave le danger, il le furmonte. Il réuffit dans fes projets. Il fauve l'honeur de fa Patrie; & il eft plus admiré de fes Ennemis qui connoiffent la grandeur de fon courage par la hardieffe de fon entreprise, qu'il n'eft loué de fes Concitoyens, dont une partie hait fon mérite. La Poftérité donnera aux actions de cet Homme les louanges qui lui font dues. A peine eft-il permis de les approuver aujourd'hui ; & je ne fai pas, fi ce que je viens d'en dire, ne m'aura pas fait quelques Ennemis.

LE Sage doit prévenir les maux qui le menacent, mais ne pas en être épouvanté. Les Ames timides apprehendent les malheurs, lors même qu'ils font encore éloignés: elles s'en affligent d'avance. F 2

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Cependant nos craintes font auffi fujettes à fe tromper que nos efpérances. Souvent le moment que nous avons regardé comme le commencement d'une grande infortune, eft celui d'une grande fortune. Il n'eft rien de fi fujet à l'erreur que la prudence humaine. Ce qu'elle espère & croit prévoir, n'arrive point. Ce qu'elle regarde comme impoffible, s'exécute. Il faut être bien ennemi de fon repos, pour fe rendre malheureux par la crainte d'une chofe qui n'arrivera point!

LA crainte pouffée à l'excès devient terreur. Alors elle fufpend en partie l'ufage des fens, & altère ces mêmes fens. On a vû des Gens qu'une terreur fubite a rendus fous; d'autres qu'elle a privés de l'ouye. Elle a caufé la mort à plufieurs. Pour prévenir de pareils accidens, il faut s'accoutumer de bonne heure à nous représenter les dangers les plus effroyables où l'on peut tomber; réfléchir fur ceux où fe font trouvés les plus grands Hommes; examiner la conftance & la fermeté avec la quelle ils les ont foutenus, & nous convaincre par leur exemple que rien ne diminue plus le danger, que la fermeté qu'on lui oppose. Fin des Réfléxions diverfes jur les Paffions.

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LETTRE

DE

MADEMOISELLE CO**.

Sur les Réfléxions précédentes.

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'AI lû avec plaifir vos Réfléxions. Elles me paroiffent vrayes & naturelles. Je les trouve inftructives. Mais permettez-moi de vous dire que vous avez oublié, & peut-être négligé de raporter le meilleur moyen pour furmonter la violence des Paffions, & pour refifter aux chagrins & aux douleurs qu'elles caufent. Ce moyen dont je vous parle, c'eft la perfuafion des points fondamentaux de la Religion univerfelle: l'existence de Dieu, & l'immortalité de l'Ame. Sans la croyance de ces deux -vérités, l'Homme fait veinement des efforts pour vaincre fes Paffions; ils font inutiles, ou ne produifent qu'un effet 'très leger. Je crois que le fentiment que je foutiens peut fe prouver auffi évidemment qu'une démonftration Mathé-matique.

Il faut pofer comme un principe inconteftable, que la véritable félicité de l'Homme confifte dans un bien qui ne fauroit lui être enlevé malgré lui. Doiton regarder comme un bien folide une chofe qui peut nous être ravie à chaque inftant, & qu'il n'eft point en notre pouvoir de conferver? Cette Vertu, dans la quelle les anciens Philofophes, & plufieurs modernes ont fait confifter la félicité, eft impuiffante, & ne fauroit nous garantir du moindre mal. La fatisfaction qu'elle donne, n'eft qu'un or gueuil que la mort nous enlève avec tout le refte. Plufieurs Payens ont fenti cette vérité. Ils ont connu qu'il falloit chercher hors de cette vie des idées qui flattaffent l'Ame, & qui la recompenfaffent des peines qu'elle effuyoit dans le Corps. Ceux même qui doutoient de l'immortalité de l'Ame aimoient à fe perfuader que leur mémoire feroit éternelle, & convenoient que fans cette espérance, la perte de la vie leur eut paru affreufe. La Mort, dit Cicéron, a quelque chofe de terrible pour ceux qui perdent tout en mourant ; non pas pour ceux dont la gloire ne fauroit mourir. Voilà un fentiment naturel à l'Ame qui reclame cet

te

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