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de l'Homme, & capables de le rendre mou & effeminé.

LES Gens affez malheureux pour être livrés à la Trifteffe, reffemblent à ces Malades dans l'eftomac des quels les bonnes & les mauvaises viandes s'aigriffent également. Les Perfonnes triftes s'affligent du bien & du mal. Elles font précifément dans le cas de Phèdre.

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Que ces vains ornemens, que ces voiles me pèfent!

Quelle importune main, en formant tous ces nœuds,

A pris foin fur mon front d'affembler mes cheveux?

Tout m'afflige & me nuit, & conspire à

me nuire.

LA Trifteffe vient également des chagrins de l'Efprit, & de la mauvaise difpofition du Corps. Dans ce dernier cas, elle eft jointe à une maladie affez commune aux Gens de Lettres. C'eft l'Hypocondrie. Il faut, pour la guérir, de la diffipation, de l'exercice, & quelques remèdes que fournit la Médecine. Mais fi la Trifteffe eft une fuite des chagrins & des peines de l'Efprit, on doit, pour

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78 His TOIRE HISTOIRE

DE la bannir, confulter la Raifon, l'écouter, & fonger que notre mélancolie ne peut remédier à ce qui nous afflige.

IL faut du tems pour guérir un cœur dont la Trifteffe s'eft emparée depuis long tems, & ce n'est pas l'ouvrage d'un jour. Le fecours d'un Ami eft alors très néceffaire. Son habileté confifte à attacher peu-à-peu l'Esprit de la Perfonne qu'il veut tirer de la mélancolie fur des objets différens de ceux qui nouriffent fa Trifteffe. Il doit lui faire naître imperceptiblement les idées du plaifir, & fans qu'elle s'en apperçoive. Autrement elle ne pourroit les fouffrir. Ces idées ne produiroient aucun effet. Il faut dans ces occafions, dit Montagne, gauchir, décliner & rufer au mal.

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§. XII.

Sur la Compaffion.

E toutes les Paffions, la Compaffion eft fans doute la plus eftimable. Elle rend l'Homme véritablement Homme en le faifant fenfible aux maux des autres. Quiconque plaint les malheureux, & cherche à les foulager, connoit la véritable

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Il y a

vertu. Un Seigneur, auffi renommé par
fa probité que par fon génie, écrivoit au
Dauphin: Monfeigneur, vous avez pris Phir
lisbourg. Il n'y a rien là de bien furprenant;
vous aviez Vaubant & du canon. On dit
que vous avez montré de la valeur.
peu de Grenadiers dans votre armée qui
n'en aient fait paroitre. Mais on affure que
vous avez témoigné de la pitié & de la
compaffion pour les malheureux: je vous en
félicite, Monfeigneur; continuez; voilà des
vertus véritablement rares & dignes d'un
grand Prince.

LA Compaffion pouffée trop loin, peut devenir viticufe. On ne doit point l'étendre fur des Criminels qui méritent d'être punis. Une pareille Compaf fion devient une foibleffe nuifible à la Société Civile. Avoir pitié d'un Affaffin, d'un Empoifonneur, c'eft prote ger les crimes les plus énormes; c'eft facrifier les honêtes Gens aux Scélé rats.

LA Compaffion déplacée eft ordinairement le partage des Ames foibles. Les Femmes plaignent indiféremment ceux qui méritent d'être plaints, & ceux qui méritent d'être punis. Un Criminel qu'on exécuté leur fait autant de peine à voir

mourir, qu'un Soldat qui perd la vie par des bleffures reçues pour le fervice de fa Patrie, & de fon Prince.

LA Compaffion chez les Ames foibles eft une foibleffe. Chez les fortes, c'eft une vertu noble & compatiffante.

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§. XIII.

De la Crainte.

A crainte eft une prévoyance prefque toujours fâcheufe. Elle devance les malheurs dont la Fortune nous menace, & nous les fait fentir avant qu'ils foient arrivés. Cette Paffion eft de tous les maux le plus incommode; car les autres ne font réels, qu'autant qu'ils durent; & ils n'exiftent, qu'autant de tems qu'exifte leur caufe. Mais la Crainte eft occafionnée également, par ce qui eft, & par ce qui n'eft point, quelque-fois même par ce qui ne fera jamais, & qui ne peut jamais être. Combien ne doit-on pas chercher à fe guérir d'une Paffion, qui forme d'un mal imaginaire un mal réel, & tire du bien même de quoi nous tourmenter?

LA Crainte produit fouvent les évè

nemens

nemens qu'elle appréhende, & qui fans elle n'auroient jamais eu lieu Bien des Gens ont perdu leurs Amis, parce qu'ils s'en font défiés. Plufieurs Perfonnes ont eu des maladies, parce qu'ils les ont apprehendées. Il y en a à qui la peur de la mort a couté la vie. Je le répète, la crainte ne fert ordinairement qu'à nous faire trouver ce que nous fuyons.

L'APREHENSION de perdre les biens qu'on poffède, empoisonne leur douceur. La vie même ne peut être regardée comme un bien: fi l'on craint fans ceffe de mourir elle eft alors un fuplice. Je regarde un Homme toujours occupé de la frayeur de la mort comme un Criminel qui attend à chaque inftant la lecture de l'arrêt qui doit le condamner.

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LES effets que produifent les grandes craintes font fi violens, qu'ils privent quelque-fois de l'ufage de la raison. On a vû très fouvent des Gens fuïr, quoique perfonne ne les pourfuivit. On a vû des Généraux fe retirer, quoiqu'ils ne fuffent point inférieurs à ceux devant qui ils fuyoient,& qu'ils commandaffent à des Troupes remplies de bonne volonté. Enfin on a vu ces mêmes Généraux prendre tout à coup la fuite, abandonner des Tome I. Places

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