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cordoient toutes fortes de privilèges. Il étoit, felon eux, riche, puiffant, beau, heureux; enfin il réuniffoit en lui tous .es diférens biens attachés à l'humanité, & il poffedoit ces biens dans quelque état qu'il fe trouvât. Horace fe moquant du Sage des Stoïciens lui accorde toutes: les qualités & tous les avantages qu'ils lui attribuoient. Il dit enfuite, qu'il jouït toujours d'une parfaite fanté, fi ce n'est lors qu'il a la pituite.

PAR le même principe que les Stoïciens vouloient qu'un Homme fage fut toujours heureux, ils prétendoient auffi fauffement qu'un Homme vitieux ne pouvoit gouter de plaifir. Ils difoient qu'il étoit pauvre au milieu des richeffes; qu'il étoit malade jouïffant de la fanté; enfin ils en faifoient le contraire parfaitde leur Sage. Comme il n'y a point, dit Cicéron, d'état heureux pour ceux qui font dépourvûs de fagelle & de vertu, de même il n'y en peut avoir de mauvais ni de malheureux pour ceux qui ont de la Vertu, de la Sageffe, & de la force.

ON voit combien fauffes étoient les idées des plus févères Philofophes de l'Antiquité fur la douleur. Les Epicuriens au contraire raifonnoient très fen

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fe.

fément fur cet Article. Ils convenoient que la Douleur étoit un mal réel, & ils ajoutoient fagement qu'on ne pouvoit trop prendre de précaution pour l'évi

ter.

LES douleurs de l'Efprit font quelques fois plus aiguës que celles du Corps, & fouvent plus difficiles à guérir. Il eft même dangereux de vouloir les arrêter tout à coup. La refistance leur donne une nouvelle force. Il faut ne pas s'oppofer à leur cours pendant un certain tems, après lequel elles s'affoibliffent & deviennent plus aifées à vaincre.

LA Raifon, lorfqu'on veut l'écouter, est d'un grand fecours dans les peines de l'Efprit; car enfin quelque chagrin que l'on ait, on doit fonger qu'il n'y a que deux partis à prendre. Si le fujet de la douleur peut être changé, au lieu de perdre le tems à s'affliger, il faut l'employer à trouver les remèdes dont on a befoin; & s'il n'y a pas moyen de réparer ce qui cause notre affliction, le bon fens veut que nous n'allions point nous tourmenter d'une chofe que nous ne faurions faire changer; nous devons bien plutôt l'oublier & la bannir de notre mémoire. Quand nous ne pouvons pas en venir à bout, E 5 auffi

auffitôt qu'il feroit néceffaire pour notre repos, nous devons tâcher de hâter le moment qui doit finir notre peine, en faifant réfléxion fur l'inutilité de notre douleur.

Nous pleurons la mort d'un Père, d'une Maitreffe, d'un Ami. Il eft jufte de donner quelque chofe à la Nature à l'Amour, à l'Amitié. Ce tribut payé, notre affliction devient une foibleffe impardonnable. Pleurons-nous les Gens qui font morts depuis deux mille ans? Un Homme mort hyer eft égal à celui qui eft mort il y a dix Siècles: il n'est plus: entre eux aucune différence. Nos pleurs, nos regrets ne rendront point la vie ni à l'un ni à l'autre. Ils font tous les deux infenfibles à notre douleur, ils l'ignorent; pour quoi donc nous affligeons-nous? Eftce pour eux? Ils n'y prennent aucune part. Eft-ce pour nous? Cela eft inutile, & ne fert qu'à nous tourmenter. Une douleur outrée pour un mal irréparable, lorfqu'elle dure longtems, doit être regardée comme une espèce de folie.

LES douleurs de l'Efprit pouffées à un certain point, font naitre le defefpoir. Cette l'affion ett une véritable frénefie qui nous prive de l'ufage de la raifon

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& qui, loin de nous faire faire des actions fortes & courageufes, comme nous nous le figurons, nous rend femblables à un Enfant qui par dépit de ce qu'on lui ôte un de fes jouets, jette les autres dans le feu. Un Homme perd fon bien, fa Maitreffe, ou quelqu'autre chofe qui lui eft chère: il veut fe tuer. N'eft-ce pas, au lieu de réparer la perte dont il fe plaint, vouloir y en joindre encore une plus confidérable?

ON regarde, & fur-tout en Angleterre, les Perfonnes qui fe tuent comme étant très courageufes. Pour moi, je fuis fermement perfuadé, que prefque tous les Gens qui fe tuent, fe tuent par foibleffe. Il faut une grande conftance pour supporter de grands malheurs. Il ne faut que du defefpoir pour les finir.

Les feuls cas, à parler en Payen, où la mort paroit permife, c'eft lors qu'on eft obligé de vivre dans une honte qui couvre d'infamie, ou dans des douleurs perpétuelles. Je conviens que dans ces fituations, fi la Religion ne nous le défendoit pas, il fembleroit naturel de terminer des maux qui n'ont d'autres remèdes que la mort.

S. XI.

S. XI.

De la Trifteffe.

A Trifteffe eft une langueur dangereufe qui attaque également l'Efprit & le Corps. Cette Paffion fe déguise fouvent, & prend différentes formes. Tantôt elle fe gliffe dans les cœurs fous le nom de Philofophie, tantôt fous celui de dévotion, quelque-fois fous celui d'amour de la folitude, & elle est d'autant plus difficile à guérir, quelle cherché à s'autorifer par ces noms refpectables qui femblent la justifier.

LA Trifteffe diminue la vigueur de l'Esprit, l'accoutume à une espèce de moleffe qui le rend incapable de penfer d'u ne manière forte & élevée. Un Ancien a dit que la trifteffe rendoit les Hommes Eunuques. Il eft certain, & l'expérience nous le montre, qu'elle leur ôte le goût, l'envie, & la difpofition de faire des actions mâles & vigoureufes. Les Romains qui avoient fait des Loix pour exclure tout ce qui pouvoit amolir le cœur des Citoyens, condamnoient ces Trifteffes comme contraires à l'effence

de

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