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ment raifon. Il ne s'agit que d'expliquer leurs fentimens; on découvre bientôt qu'ils n'ont rien de contraire, & qu'ils tendent au méme but par des chemins différens.

UNE Paffion eft un mouvement de l'Ame qui la pouffe vers un objet, ou qui l'en éloigne, felon qu'il lui paroît aimable ou odieux. Ce mouvement eft occafionné par deux caufes principales ; ou par l'Imagination, qui étant frappée & affectée trop vivement par certaines idées, agite & émeut l'Ame, la tire de fa tranquilité & de fon affiéte ordinaire; ou par les parties du Corps, qui n'étant point dans une difpofition auffi parfaite qu'elles devroient l'être, s'altèrent & reçoivent plus de mouvement & de chaleur qu'il ne leur en faut. L'Ame prend part, par l'union que l'Auteur de la Nature a établie entre le Corps & l'Efprit, à cette augmentation de mouvement ou de chaleur, & en reçoit une impreffion qui lui caufe quelque Paffion. L'Ame fait fa demeure dans le Cerveau, où aboutiffent intérieurement tous les nerfs; & felon que le Cerveau eft affecté par ces nerfs, elle reçoit certaines impreffions. Un Auteur Anglois compare l'Ame dans le Cerveau

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à un Inftrument bien d'accord, qui auroit des clefs en dedans que le Muficien pouroit toucher, & d'autres en dehors fur les quelles d'autres Perfonnes pourroient jouer auffi, & que d'autres Corps pourroient remuer. Par les clefs intérieures, çet Auteur entend les moyens par les quels les penfées de l'Entendement rejailliffent fur le Corps; c'est-à-dire comment les idées produites purement par l'Imagination fe communiquent au Corps; & par les clefs extérieures il vent marquer l'action par la quelle les fenfations du Corps paffent jusques à l'Ame. S'il y a de la confufion dans les mouvemens des clefs intérieures ou extérieures, l'inftrument ne rend plus une jufte harmonie. Ainfi dès que l'Ame eft affectée, ou par l'Imagination, ou par les fenfations du Corps d'une manière confufe, elle ne conferve plus, fa tranquilité ordinaire. Nous voyons que les Malades attaqués d'une violente fiévre font fujets à des frénefies & à des tranfports; & que les gens dont l'imagination eft vive, reffentent des peines & des plaifirs que les autres ignorent.

LES Paffions font plus ou moins vio lentes, felon que la caufe qui les produit

eft

eft plus ou moins forte. Leur durée eft encore reglée par cette même cause. Tant qu'elle continue, les Paffions fubfiftent: dès qu'elle finit, elles s'éteignent. Si l'idée qui affecte l'imagination s'évanouit; fi les parties du corps qui imprimoient à l'Ame un certain mouvement, fe rétabliffent, & ne lui communiquent plus la même impreffion, la Paffion, dont elle étoit touchée, ceffe. Cet Homme qui aimoit fi vivement fa Maitreffe, eft devenu indifférent. Tous les véritables Amans le regardent avec mépris; ils ont horreur de fon infidélité. Au lieu de le condamner avec tant de rigueur, ils devroient le plaindre; fa faute eft une fuite néceffaire de l'état nouveau dans lequel a paffé fon Ame. On devroit moins en général accufer les Hommes, d'inconftance: ce n'eft point d'eux-mêmes qu'ils font inconftans, ce font les objets qui les affectent, qui les environnent, & qui changent à leur égard. Toutes les Paffions qui font produites par des caufes dont la force fupérieure détermine la volonté, rendent les Hommes leurs efclaves & leurs jouets infor

tunés.

LA Raifon peut quelques fois nous ai-
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der

der à furmonter & à vaincre nos Paffions; mais elle n'eft jamais maitreffe que de celles qui ne font point affez violentes pour l'empêcher d'agir. Dans un délire caufé par une maladie, dans un abattement total de l'Esprit, dans un prémier mouvement, & j'ôferois prefque dire, dans une Paffion qui a jetté de profondes racines, la Raifon ne pouvant agir, devient inutile. On peut donc ranger les Paffions dans deux claffes différentes. Les moins fortes peuvent fe corriger & fe conduire par le raisonnement. Elles s'expriment par des paroles, par une joye modérée, par des larmes. Celles qui font extrêmes, étonnent l'Ame, l'accablent, l'empêchent d'agir, privent de l'ufage de la parole, & fouvent de celui de la Raifon.

LES Paffions font émuës par l'apparence, ou par la réalité d'un bien ou d'un mal. Si c'eft un bien réel dont l'Ame jouïffe, ce bien s'apelle joye, plaifir. Si ce bien eft futur, qu'il ne confifte que dans l'efpérance, on le nomme defirs, fouhaits &c. Si au contraire c'est - un mal réel, on l'apelle trifteffe, douleur, chagrin &c. Si le mal n'eft qu'en perfpective, il produit la crainte, la timidité &c.

LE

LE bien & le mal que nous voyons dans les autres Hommes, nous occationnent à peu près les mêmes l'affions que nous fentons pour ce qui nous regarde; mais elles font un peu moins fortes: ainfi un mal qui étant en nous nous cauferoit de la douleur, ne produit que de la pitié, quand nous l'appercevons dans Un évènement qui nous touche, nous fait treffaillir de joye: s'il n'eft que pour les autres, il nous cause une fimple fatisfaction.

un autre.

La fource de toutes les Paffions, foit vertueufes foit vitieufes, doit fe chercher dans l'Amour-propre bien ou mal entendu. Deux Hommes font ambitieux. L'un fait fervir fon Ambition à la vertu, l'autre au vice. Ils ont pourtant le même but, qui eft de fe diftinguer & de s'élever au deffus de leurs égaux. L'Amourpropre agit dans tous les deux; mais l'Amour-propre de l'un eft conduit par la Raifon, & l'Amour-propre de l'autre par les préjugés, & par un jugement peu folide.

APRÈS avoir fait ces réflexions générales, je vais parcourir fuccinctement les principales Paffions, éxaminer ce qui peut les rendre utiles ou nuifibles, &

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