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fenfe eft le premier à haïr, les Sujets deviennent odieux à un Tyran par le mal qu'il leur fait. Plus il les outrage, plus il les perfécute; plus il les craint, plus il veut les détruire Enfin il ne fe contraint plus, & les traite comme fes plus cruels ennemis, parce qu'il leur a donné fujet de le devenir. On ne doit donc pas s'étonner que certains Princes que l'Hiftoire nous dépeint comme bons dans les premières années de leur Règne ayent pû tomber enfuite dans les excès les plus affreux. Je citerai encore ici Racine. Lorfqu'il s'agit de peindre les mouvemens & les Paffions, peut-on prendre un meilleur guide?

Toujours la Tyrannie q d'heureufes prémices. De Rome pour un tems Caius fut les délices; Mais fa feinte bonté Je changeant enfureur, Les délices de Rome en devinrent l'horreur.

Il eft rare que les Gens qui ont pouffé la cruauté jufqu'à un certain point puiffent redevenir vertueux, & avoir horreur de leur crime. Comme ils ont violé toutes les loix & tous les principes de l'humanité, il leur eft très difficile de reprendre des fentimens humains. C'eft

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à

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à la cruauté principalement qu'on peut at-
tribuer ce que Boileau a dit du vice.

Dans le crime il fuffit qu'une fois on débute:
Une chute toujours attire une autre chute.
L'Honeur eft comme une Ile escarpée &
fans bords;

On n'y remonte plus, lorsqu'on en oft débors.

ON a vû cependant quelques Gens qui avoient commis plufieurs cruautés redevenir clémens & généreux. L'exemple d'Augufte eft connu de tout le monde. Il y en a encore quelques autres, mais ils font bien rares; & je ne vois que celui de Sylla lorfqu'il fe fut démis de la Dictature. Je ne fai pourtant fi ce dernier peut être allegué avec fondement.

§. IX.

De la Faloufie.

A Jaloufie eft une Paffion prefqu'in-i

L féparable de l'Amour, & qui en empoifonne les douceurs. Elle infpire aux Amans une crainte fouvent très mal fon

dée,

V

dée, qui ne leur permet pas de fe fier aux fermens les plus forts.

J'AI Connu des Jaloux qui foupçonnoient leurs Maitreffes d'être infidelles, parce qu'il leur fembloit qu'elles prenoient trop de foin à leur témoigner leur tendreffe. Tant de marques d'amour leur paroiffoient des pièges qu'on tendoit à leur crédulité. Ces memes Jaloux fe feroient crus trahis, fi on ne leur avoit pas témoigné les empreffemens les plus vifs. Il étoit deftiné que les chofes les plus oppofées exciteroient également leur Jaloufie. Tout allarmoit ces Gens foupçonneux. L'Eglife leur paroiffoit auffi dangereufe que l'Opera, la folitude que le grand Monde. Pédant leur fembloit auffi redoutable, que le petit Maitre le plus aimable: ils étoient Jaloux de l'Univers entier, fans avoir raison de l'être; & ce qu'il y a de plus particulier, fans fonger à ceffer de l'être,

Un

Il y a des Gens qui font jaloux des Perfonnes que leurs Maitreffes ont connu avant eux, avec lefquelles elles n'ont jamais eu aucune familiarité, & qu'elles ne doivent plus revoir. Il fe figurent, qu'el

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qu'elles ont eu quelque goût pour ces Perfonnes. Rien n'eft capable de pouvoir leur ôter cette idée; elle est toujours présente à leur imagination. Ils font affez bizarres pour faire des reproches fur un sujet auffi mal fondé. Si on leur répond avec vivacité, & qu'on veuille leur faire fentir leur erreur, ils fe perfuadent que ce qu'ils penfent eft vrai, puifqu'on paroit y être fenfible. Si on méprife ce qu'ils difent, ils croyent qu'on n'ôse se juftifier, & qu'on eft forcé de convenir de la vérité de leur accufation.

LA Jaloufie conduit à une curiofité impertinente & infenfée. Les chofes les plus fimples deviennent pour un Jaloux des Mistères qu'il croit qu'on cherche à lui cacher. Il veut tout favoir, tout connoître, tout aprofondir; & lorfqu'on a fatisfait fon envie,il penfe qu'on l'a trompé, & qu'on lui a fait une fauffe confidence. Il médite fur ce qu'on lui a dit; il examine s'il apercevra quelque chofe qui puiffe fortifier fes foupçons; il ne découvre rien qui ne paroiffe conforme à la vérité, & cependant il continue de douter qu'on lui ait parlé fincèrement. LES Cœurs jaloux font dans une agitation continuelle qui a fon flux & reflux Tom. I.

E

com

comme les flots de la Mer, & qui augmente quelques fois par des tempêtes foudaines & imprévues. Un coup d'œil, un gefte, un mot, un fourire forment ces tempêtes. Il ne faut qu'un regard que le hazard fait tomber fur quelqu'un qui déplait à un Jaloux, pour lui faire fentir les tranfports les plus violens.

Mer vafte, mer profonde,

Dont les flots font émus par les vens en

courroux

Les Coeurs amoureux & jaloux

Sont cent fois plus troublés que vous.

CE n'eft pas là la feule vérité inftructive que Quinaut ait mis dans fes char mans Operas.

Dès qu'un Homme eft Amoureux, il ne dépend point de lui de n'être pas Jaloux. Tous les raifonnemens, toutes les réfléxions ne fervent dans cette occafion, qu'à le convaincre qu'il a tort d'étre Ja. loux; mais il ne ceffe pas cependant de

l'être.

PLUSIEURS Perfonnes croyent que la Jaloufie vient d'une défiance de foi-même, & d'une connoiffance intérieure du peu de mérite que l'on a. Je crois qu'elles

fe

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