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mes de tous les différents états, qui s'oppofe à l'exécution des plus belles entreprifes, arrête les progrès que pourroient faire les Sciences & les Arts dans un fiécle auffi éclairé que le nôtre.

N

S. VIII.

De la Cruauté,

On peut établir comme une vérité,

que prefque tous les Gens cruels font lâches & poltrons. Après le gain d'une Bataille, ce font ordinairement les Soldats les plus timides, & qui ont témoigné le moins de valeur pendant le combat, qui s'acharnent fur les Malheureux qui font hors d'état de fe deffendre. La véritable valeur n'agit qu'autant qu'elle trouve de la refiftance. La vertu Romaine confiftoit à vaincre les Superbes, & à pardonner aux Vaincus.

LES Tyrans font cruels, parce qu'ils font timides. Ils croyent affurer leur puiffance & leur vie en faifant périr làchement tous ceux qui leur font ombrage. Rien ne peut calmer leurs foupçons, ni la vertu, ni la foumiffion, ni le zèle, ni les fervices. Ils n'ont aucu

ne idée de la probité, & ils fe figurent que les autres Hommes penfent comme

eux.

Ils confidèrent les bonnes actions qu'ils leur voyent faire comme des pièges qu'on veut leur tendre, & attribuent à la diffimulation ce qui vient de la vertu. Le crédit qu'eut Germanicus d'appaifer les Légions, & la grandeur d'ame qu'il fit paroître en refufant l'Empire que ces mêmes Légions lui offroient, lui coutèrent la vie. Tibère également lâche & cruel fut moins ému de la foumiffion de Germanicus, qué de la crainte qu'il n'acceptât l'Empire, fi on le lui offroit une feconde fois: il fit réflexion que celui qui avoit fû ramener les Troupes à leur devoir, pouroit les en faire fortir, s'il le vouloit. Caligula fut encore plus timide que Tibère; il fut auffi plus cruel. Néron fut le plus lâche & le plus cruel des Hommes. Qu'on parcoure l'Hiftoire ancienne & moderne on trouvera prefque toujours la cruauté alliée avec la timidité. Il s'eft pourtant trouvé quelque fois des Ames cruelles, qui méprifoient le danger; mais fi l'on examine attentivement quelle étoit leur bravoure, on verra que la fureur, l'avarice, la haine, ou quelqu'autre Paffion

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violente avoient plus de part à leur va leur qu'un courage véritable.

LA cruauté fe trouve encore unie très fouvent avec la fuperftition. Elle eft alors d'autant plus dangereufe, qu'elle croit avoir une excufe légitime. Quelles horreurs, quels meurtres, quels allaffinats n'a-t-on pas commis dans les Guerres civiles? Le Fils égorgeoit le Père, le Père maffacroit le Fils, & ces actions qui font frémir la Nature, étoient confacrées fous le voile de la Religion. Les meurtres commis fans nombre dans l'exécrable nuit de la St. Barthelemi, & les maffacres faits par les Proteftans dans cent occafions, n'ont été exécutés, que par la cruauté conduite & animée par la fuperftition.

LA cruauté n'eft point incompatible avec la fauffe dévotion. Il est des Gens cruels par tempérament & réligieux par crainte, qui accommodent leur Religion à leur caractère fanguinaire. Brantôme nous a confervé la Prière que faifoit Louis XI. devant l'Autel de NotreDame de Cleri pour obtenir le pardon de la mort de fon Frère. Cette Prière eft fingulière. Ah! ma bonne Dame, ma petite Maitreje, ma grande Amie, en qui

j'ai

j'ai toujours eu mon renconfort, je te prie de fuplier Dieu pour moi & être mon Avocate envers lui; qu'il me pardonne la mort de mon Frère que j'ai fait empoisonner par ce méchant Abbé de St. Jean. Je m'en confelle à Toi comme à ma bonne Maitreffe. Le même Louis XI. baifoit fort humblement une Image qu'il portoit attachée à fon chapeau, toutes les fois qu'il faifoit périr quelqu'un pour fatisfaire à sa cruelle Politique.

LES Tyrans portent ordinairement la peine de leur cruauté. Plufieurs ont péri d'une mort violente. Les commencemens de l'Empire Romain furent fertiles en Tyrans. Ils le furent auffi en Révolutions. Le Peuple & les Soldats paffant tout-à-coup de la fervitude à la fureur, maffacrèrent quelques uns de ces Souverains Barbares, & en forcèrent quelques autres de fe donner eux-mêmes la mort, L'Hiftoire moderne nous offre plufieurs exemples des Catastrophes des Princes cruels, & les Siècles avenir n'en feront pas plus exempts, que ceux qui fe font écoulés. Quelque puiffance qu'ait un Souverain, il eft toujours très dangereux pour lui de reduire le Peuple à la dure extrémité de fouffrir

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les maux les plus grands, ou de fe revol

ter.

LA cruauté a fes différents degrés. Elle ne fe porte pas d'abord au dernier point chez les Particuliers, ni chez les Princes. Les plus méchants Hommes ont commencé par l'être médiocrement, & le font devenus entièrement par l'habitude qu'ils fe font faite du crime. Les prémières années de Néron furent dignes du Règne de Titus. Racine a eu raifon de dire.

Quelques crimes toujours précèdent les grands crimes.

Quiconque a pû franchir les bornes légi

times,

Peut violer enfin les droits les plus facrés.
Ainfi que la vertu, le crime a fes degrés;
Et jamais on n'a vu la timide innocence
Paffer fubitement à l'extrême licence.
Un feul jour ne fait point d'un Mortel

vertueux

Un perfide Affaffin, un lâche Incestueux.

LA cruauté des Tyrans augmente néceffairement. Les premiers forfaits qu'ils commettent, les conduifent malgré eux à de plus grands. Comme celui qui of

fenfe

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