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rage, & comme une frénefie paffagére. Les Gens d'un génie foible font beaucoup plus colériques, que ceux dont l'efprit eft mâle & vigoureux. C'est ce qu'on voit par expérience. Les Femmes, les Vieillards, les Enfans, les Malades font plus fujets à la Colère, que les autres Hommes, parce qu'ils font dans un état plus débile.

C'EST une erreur de penfer que la Colère eft une marque de courage. Les mouvemens violens de l'Efprit marquent toujours fa foibleffe. Lorfqu'il eft ferme & courageux, il refifte à ces impreffions qui le font fortir malgré lui de fon affiète naturelle. La tranquilité eft la plus effentielle des qualités de l'Ame. Sans elle, l'Imagination est toujours agitée; elle ne peut fe fixer à rien de bon, de fage, de durable. La Colère change, pour ainfi dire, l'effence de l'Efprit la Raifon & le Jugement conftituent fa nature. Cette Raifon & ce Jugement s'évanouiffent dans les accès de Colère.

C'EST dans les occafions où les Ames foibles fe laiffent emporter, que les fortes en affectent de conferver toute leur tranquilité. Céfar étoit auffi férein

dans

dans le moment qu'on alloit livrer Bataille, qu'il l'étoit auprès de fa Maitreffe. Le grand Turenne n'avoit jamais témoigné aucun mouvement de Colère. La véritable valeur agit fans fureur, fans emportement. La timidité revoltée cherche un appui dans la Colère qui lui cache une partie du danger. Un Hom me véritablement brave, n'eft point en Colère même au milieu des Combats: il est animé, mais il eft à lui-même: il est conduit par la gloire, par l'amitié, par le devoir; mais jamais par la fureur, par la frénefie & par là rage.

RIEN n'eft plus capable de corriger les Hommes du penchant qu'ils ont à s'emporter, que de les faire refléchir fur les objets qui les font fortir fi fouvent des bornes de la modération. Les Gens qui ne domptent point le penchant qu'ils ont à la Colère, viennent infenfiblement au point d'entrer en fureur pour les plus légères bagatelles. La perte d'un Chien d'un Oifeau, d'un Verre, d'une Image, arrache certaines Gens à eux-mêmes.

ON a dit avec raifon, qu'il feroit impoffible qu'un Homme pût fe livrer à la Colère, fi, lorsqu'il fent les accès de cette Paffion, il fe regardoit dans un mi

roir. Il auroit honte de lui-même, & jugeroit de l'état où doit fe trouver fon Ame, par celui où il verroit fon Corps. Les fimptômes de la Colère approchent affez de ceux de la rage. Ils changent le vifage, enflamment les yeux, rendent le regard furieux, la bouche écumante, la langue béguayante, les dents ferrées, la voix forte & enrouée, privent de l'ouye, & répandent un feu violent dans toutes les parties du Corps.. Quelle doit être la fituation de l'Esprit dans un Corps agité de mouvemens auffi convulfifs!

IL n'eft aucune mauvaise action que la Colère ne puiffe faire commettre, & quelle ne faffe exécuter quelques fois. Les meurtres, les affaffinats en font les fuites funeftes. Aveugle comme elle eft, elle bleffe quelque-fois les Amis, les Parens, les Bienfaicteurs, & ne conferve aucun égard pour ce qu'il y a de plus faint & de plus facré.

Si la Colère eft dangereufe dans tous les Hommes, elle l'eft encore plus dans les Grands, & fur-tout dans les Souverains. Homère a dit plufieurs fois que la Colère des Rois eft terrible. Il avoit raison. Elle l'est d'autant plus, qu'on ne peut ni la pu

nir, ni l'arrêter. Elle a porté quelquefois les plus grands Princes à des crimes o dieux, & le repentir qu'ils ont eu de leur emportement, n'a pû en réparer ni le dommage, ni la honte.

Si quelque chofe rend la puiffance Souveraine dangereufe, c'eft lors qu'elle eft entre les mains d'un Prince colérique. Le pouvoir dont il jouït, peut être juftement comparé à une épée qu'on confie à un Furieux. Que de maux n'a pas caufé la Colère de quelques Princes! Elle ne s'eft pas bornée à la perte de plufieurs Particuliers; elle a détruit des Villes, défolé des Provinces, ruiné des Royaumes. On ne fauroit s'empêcher de déplorer l'état malheureux des Hom mes, lorfqu'on en voit plufieurs millions devenir les victimes innocentes de la fureur d'un feul.

CEUX qui font chargés de l'éducation des Princes doivent leur inspirer, autant qu'il eft poffible, de l'horreur pour une Paffion qui peut ternir à jamais leur réputation. Les Hiftoriens chargés de transmettre à la Poftérité les mauvaifes actions des Souverains, leurs ver tus, & leurs défauts, ne fauroient peindre avec des couleurs trop fortes les

excès que la Colère leur a fait com

mettre.

JE ne puis m'empêcher de condamner la fauffe délicateffe de quelques Perfonnes, qui blâment les Hiftoriens qui ont rapporté avec naïveté les débauches & les crimes de plufieurs Princes, dont les vices ont étonné l'Univers. J'ai lû dans les Bocleaną, qu'on a imprimés dans la dernière Edition des Oeuvres de Defpreaux, que Mr. Colbert ne pouvoit fouffrir Suétône, parce qu'il avoit rapporté avec fincérité les vices: des Empereurs dont il avoit parlé. Il prés tendoit que l'exemple de cet Hiftorien étoit dangereux. Je penfe au contraire qu'il eft fort utile, & pour les Princes & pour les Peuples. Les defcriptions des infamies les plus criantes ne fervent de rien aux mauvais Souverains; & c'est peutêtre la feule chofe qui puiffe encore les retenir. Il n'eft point de Tyran qui ne craigne les reproches que lui fera la Pof térité, lorfqu'il voit les Portraits odieux que Suétône && Tacite ont fait de quel ques Empereurs Romains, & qui ne frémiffe, en fongeant jufqu'à quel points il fera détesté. Quoi! un Prince fe livrera à la Colère, fera tuer des Innocens dans

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