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garder l'Avarice comme une paffion ou comme une folie. Lorfque j'examine un Homme qui devient volontairement l'efclave d'une chofe qui lui eft inutile, dont il ne fait aucun ufage, qu'il cache fouvent dans le fond de la Terre; que puis-je penfer d'un tel Homme ? Si ce n'eft qu'il a perdu la Raifon, & qu'il eft auffi infenfé que ces Indiens qui font enterrer avec eux des hardes, des provifions, de l'or & de l'argent, pour les befoins qu'ils peuvent avoir dans l'autre Monde.

L'AVARICE prive les Hommes de tous les fentimens d'honeur & de probité, dès qu'elle s'empare de leur cœur. Un Avare n'eft ni Parent, ni Ami, ni Citoyen, ni Chrétien. Il ceffe même très fouvent d'être Homme. Le GenreHumain comparé à fon profit & à l'augmentation de fes richeffes, ne lui paroît mériter aucun égard; & la Paffion de l'or eft dans lui un oubli total de l'honeur, de la gloire, de l'amitié, & de la reconnoiffance.

LA folie des Avares prend tous les jours de nouvelles forces. Cette foif de l'or, eft une espèce d'hydropifie, qui est augmentée par ce qui fembleroit devoir C 3

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l'appaifer, de même que l'eau accroit l'altération des Hydropiques. Plus un Avare a de richeffes, plus il veut les augmenter, & plus il employe de mauvais moyens pour en acquerir. Il fent que ceux qui font permis pour amaffer du bien, ne font pas fuffifans pour entaffer des thréfors. Il joint fans fcrupule la friponnerie à l'induftrie. Dans toutes les Conditions, dit la Bruyere, le Pauvre est bien proche de l'Homme de Bien, & l'Opulent n'eft guère éloigné de la friponnerie. Le favoirfaire & l'habileté ne mènent pas jufqu'auxi énormes richelles.

Il n'y a jamais eu d'Avares qui ayent mérité l'eftime des honêtes Gens, Si l'on dit que Vefpafien étoit un grand Homme, & qu'il fut cependant avari. cieux; je nierai ce fait. Cet Empereur Romain eut véritablement de très grandes vertus, mais il n'amaffa point de richeffes pour les enfouïr. Il eft vrai qu'il les chercha avec empreffement, mais Suétône nous apprend que ce fut pour en faire part à fes Amis, aux malheu reux, & à tous ceux qui en avoient befoin. Aimer les richelles pour en faire un bon ufage, pour les répandre à propos; c'eft agir très fenfément; c'est

imiter

imiter les Intelligences céleftes qui fe fervent de leur puiffance pour faire du bien aux Hommes.

IL y auroit de la folie à deffendre aux Gens vertueux de poffeder des richeffes & de les conferver. Ils doivent feulement prendre garde de ne les acquerir que par des moyens licites & honêtes. Ils font obligés de s'en fervir pour affifter ceux qu'ils croyent mériter de l'être. Le Sage, dit Sénèque, ne refufera point les biens de la Fortune. Pourquoi ne voudroit-il pas qu'ils fuffent dans un bon lieu? Il ne s'en glorifiera pas mal à propos. Il ne les enfouira pas; mais il en fera un bon ufage. Se glorifier des richeffes, c'eft le défaut d'une Ame foible; les enfermer, c'est le vice d'une Ame baffe & fervile; les employer à propos, c'est le partage d'un cœur noble & vertueux.

LES richeffes mal répanduës nè rendent guère plus heureux, que fi on les tenoit enfouïes. Un Homme peut avoir une bonne Table, habiter dans un Hotel meublé fuperbement, rouler dans un Єaroffe doré, donner des Fêtes & des Bals, jetter de l'argent dans les ruës; & ne reffentir aucun contentement dans lui-même de fes libéralités. Un Bour

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geois

geois qui prêtera vingt louïs dans le befoin à fon Ami, & qui lui rendra un fervice effentiel, fera fatisfait & goutera le plaifir d'être utile. . La raifon en eft fort naturelle. La Vertu guide le dernier; la Prodigalité & l'Oftentation conduifent le prémier. Quelques grandes que foient les actions des Hommes, dès le moment que la Vertu n'y a aucune part, elles ne contentent jamais le cœur. Il y refte toûjours un vuide, que rien ne peut remplir que la véritable probité.

LA Prodigalité eft une efpèce de fureur, caufée par une vaine gloire. On ne s'apperçoit du mal qu'elle nous cause, que lorsqu'il n'y a plus moyen de le reparer. S'il y a de la folie à ne pas fe fervir de fes richeffes, il n'y en a pas moins à les diffiper pour fatisfaire la vanité, ou pour contenter des defirs déreglés.

LES Gens qui ont été affez fous pour fe ruiner par leur prodigalité, font cent fois plus malheureux dans l'indigence, que ceux qui étant nés Pauvres, font reftés Pauvres. Le fouvenir de leur bonheur paffé les tourmente fans ceffe. Le tems, qui adoucit toutes les autres afflic

tions, a grit la leur. Ils fentent à tout moment dans le cours de leur vie l'utilité dont leur feroit le Bien qu'ils ont perdu. Vains regrets! Ils font condamnés fans efpoir de retour; & pour comble de maux, ils font tournés en ridicules par les Avares qu'ils avoient plaifantés dans le tems de leur fplendeur, & méprifés par ceux qui leur ont aidé à manger leur Bien. Les honêtes Gens les plaignent: trifte confolation dans un état qui demande quelque chofe de plus que la compaffion!

IL eft dangereux qu'un Prodigue ruiné ne devienne fripon. La coûtume qu'il avoit de contenter tous fes defirs eft un aiguillon qui le pouffe fans ceffe à la friponnerie.

J. V.

De la Colère.

A Colère eft de toutes les Paffions celle qui nous agite le plus violemment. Elle ofufque notre Ame par d'épaiffes vapeurs, & nous prive quelquefois entièrement de l'ufage de la Raifon. Je regarde la Colère comme une courte C 5

rage

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