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déja beaucoup que de gouter le génie d'une jolie Perfonne peu à peu il s'accoutume à fe plaire avec une autre Femme que fa Maitreffe. Lorsqu'il eft parvenu à ce point, fes plus grandes peines font finies; l'heure de fon entière liberté eft proche.

J'AI déja dit que le dépit fert autant que la Raifon à la guérifon d'un Cœur. Si l'on ne peut s'empêcher de fonger à fa Maitreffe, on peut employer utilement ce dépit à rappeller les défauts de la Perfonne que l'on veut oublier. A force d'y penfer, ils paroîtront à la fin odieux. L'Amour-propre contribuera à les peindre de la façon la plus defavantageufe. Cependant ce remède peut être dangereux; & je voudrois qu'on ne l'employat, que lorfque tous les autres ont été inutiles. Telle eft la bizarrerie du Cœur Humain, qu'il vient quelque-fois à aimer davantage ce qu'il croit avoir le plus de raifon de hair. Après avoir bien raifonné fur les défauts d'une Maitreffe, on les juftifie tout à coup, & les réfléxions qu'on y a fait n'ont fervi, qu'à enfoncer davantage le trait qu'on vouloit arracher.

JE ne puis affez le redire, l'abfence & la fréquentation du grand Monde font

les

les remèdes les plus infaillibles pour éteindre une Paffion malheureuse. Si on les trouve trop durs & trop amers, on doit fonger que l'on endure le fer & le feu pour le rétabliffement de fa fanté. Pour guérir les maux de l'Esprit, ne doit-on pas fouffrir autant que pour faire finir ceux du Corps?

LES Amans haïs ne font pas les feuls que l'Amour rende infortunés: il en est plufieurs qui font aimés tendrement, & qui font malheureux par certaines circonftances qu'ils ne fauroient empêcher, & aux quelles ils ne peuvent remédier. La fituation d'un Amant aimé eft fouvent auffi cruelle que celle d'un Amant haï. Telle eft celle où il voit fa Maitreffe paffer dans les bras d'un Rival par l'autorité d'un Père, ou par un autre pouvoir au quel il ne peut s'oppofer. Pour un Cœur véritablement tendre, la mort de l'Objet qu'il aime a fouvent moins d'horreur,que la douleur de la ceder à fon Rival. Ce fentiment eft fur-tout affez commun chez les Femmes. Racine l'a fort bien dévelopé dans ces Vers. C'est Athalide qui parle à Bajazet.

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Il est vrai, je n'ai pû concevoir fans effroi Que Bajazet put oivre, & n'être plus à moi. - Et lorfque quelque fois de ma Rivale heureuse Je me reprefentois l'image douloureufe, Votre mort (pardonnez aux fureurs des It woДmans)

Ne me paroiffoit pas le plus grand des

P

tourmens.of

LA dureté & l'entêtement des Parens font bien fouvent la caufe des travers dans les quels donnent les jeunes Gens. Les Pères violentent par caprice, par ambition , par intérêt les inclinations de leurs Enfans. Ils les mettent mal à propos dans la trifte néceffité de décider entre l'obéïffance qu'ils leur doivent, & l'Amour violent dont leur cœur eft rempli. L'Amour l'emporte, & la néceffité leur fait faire enfuite mille démarches, qui perdent également & les Pères & les Enfans. Il y a des Pères affez bizarres (& le nombre n'en eft pas petit) qui fe figurent que leurs Enfans font faits uniquement pour eux. On ne fauroit affez exhorter les Gens de cette espèce à lire la Fable quinzième du troifième Li

A

vre de Phædre, Ils y trouveront leur Portrait, & y verront que ce fage Auteur y établit avec raifon, que c'est l'amour paternel qui fait l'effence des Parens, & non pas la naiffance qu'ils donnent à leurs Enfans. Un de nos meilleurs Auteurs François a dit dans fa Tragédie de Radamiste:

Pères cruels! Vos droits ne font-ils pas les nôtres ?

Et nos devoirs font-ils plus facrés que les vôtres ?

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Nous avons une Comédie intitulée: Les Fils ingrats. Ne pouroit-on pas en faire une fous le titre des Pères Tyrans? Le Sujet me paroitroit affez abondant. J'ai connu dans ma vie beaucoup d'Enfans, dont la conduite étoit blâmable. Je crois que j'ai vu autant de Pères, à qui l'on pouvoit faire le même reproche. Puis qu'ils étoient également Hommes, ne devoient-ils pas être également fujets à Bhumanité? Je ne doute pas que ce ne fait cette réfléxion qui ait porté nos Jurifconfultes modernes à diminuer cette puiffance outrée & fans bornes que les anciens Romains avoient accordée

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aux Pères. Les Loix qui établiffent & maintiennent le refpect qu'un Fils doit à fon Père, font excellentes. Celles qui empêchent que le Fils ne foit le jouet & la victime des caprices d'un Père, ne le font pas moins.

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S. IV.

Sur l'Avarice & la Prodigalité.

E n'ai jamais été étonné qu'il y ait des Gens qui recherchent les richesses pour s'en fervir, & pour fe procurer, non feulement toutes les commodités de la vie, mais encore les chofes fuperfluës. Quoique cette conduite ne paroiffe pas raifonnable, on voit cependant fur quoi elle eft fondée. Le plaifir entraine fouvent les Hommes hors des bornes de la Raifon. Le même plaifir veut de l'argent, & ne peut exifter fans lui. Mais qu'un Homme amaffe des thréförs avec avidi té, qu'il facrifie pour les avoir le bonheur de fa vie, & qu'il n'en faffe d'autre ufage que de les enterrer; cela me paroîtra toujours incompréhenfible; & cependant rien n'eft fi commun.

JE ne fai quelque-fois, fi l'on doit regarder

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